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Tsunami Omicron : l’heure du lâcher prise (et de la prière…) est-elle venue ?
©Lionel BONAVENTURE / AFP

Résignation ?

Le dilemme est de taille : l’OMS a alerté ce jeudi que le variant omicron n’est pas bénin et provoque de nombreux morts dans le monde. Mais l’ampleur de la vague Omicron rend le fonctionnement quotidien de la société française quasi ingérable, de l’éducation nationale aux entreprises

Antoine Flahault

Antoine Flahault

 Antoine Flahault, est médecin, épidémiologiste, professeur de santé publique, directeur de l’Institut de Santé Globale, à la Faculté de Médecine de l’Université de Genève. Il a fondé et dirigé l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (Rennes, France), a été co-directeur du Centre Virchow-Villermé à la Faculté de Médecine de l’Université de Paris, à l’Hôtel-Dieu. Il est membre correspondant de l’Académie Nationale de Médecine. 

 

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Jérôme Marty

Jérôme Marty

Président de l'Union française pour une médecine libre, Jérôme Marty, est médecin généraliste et gériatre à Fronton, près de Toulouse.

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Atlantico : Alors que l’OMS a averti la communauté internationale face à la dangerosité d’Omicron, la pression sur notre système hospitalier demeure. Cette nouvelle variante semble difficilement contrôlable sans désorganiser complètement la société. Doit-on se résigner à « laisser filer » Omicron ?

Antoine Flahault : Il est difficile de reprocher à l’exécutif français de « se résigner à laisser filer » l’épidémie alors qu’elle flambe un peu partout en Europe, y compris dans des Etats comme les Pays-Bas ou l’Autriche qui avaient pourtant décidé des mesures fortes de confinement dès les fêtes de fin d’année. Le gouvernement français a certes cru miser sur une stratégie essentiellement vaccinale et a réussi à obtenir une couverture vaccinale parmi les plus élevées d’Europe avant de se lancer dans une campagne active pour la promotion de la troisième dose. Il n’a pas pu recueillir tous les fruits de cette stratégie en raison notamment de l’arrivée de la vague Omicron. Ce nouveau variant arrivé début décembre en Europe se répand désormais comme une trainée de poudre, en transperçant toutes les digues immunitaires, quelles qu’elles soient. Heureusement, le vaccin permet d’éviter des complications graves de l’infection, et donc des hospitalisations et des décès. Les pays d’Europe de l’est ont payé cet automne un très lourd tribut à leur moindre couverture vaccinale. Mais le phénomène qui se déroule en ce moment est inédit tant dans l’histoire de cette pandémie, que dans celle, contemporaine, des maladies infectieuses, du moins en Europe de l’ouest. Car l’île de La Réunion, tout comme ses voisines de l’Océan Indien avaient connu en 2006 avec le virus du Chikungunya, un processus épidémique voisin de celui que nous connaissons aujourd’hui. Le Chikungunya est également dû à un virus à ARN, mais transmis par un moustique, et avait causé une très forte épidémie en infectant 40% de la population de l’île en l’espace de quelques mois (les taux d’attaque avaient été plus élevés au Comores, aux Seychelles et à l’île Maurice proches). On peut même pousser l’analogie entre Covid et Chikungunya un peu plus loin car il s’agissait aussi d’un virus massivement bénin. Le Chikungunya tuait ses victimes une fois sur mille, et le plus souvent indirectement, comme le fait la grippe, chez des personnes atteintes de comorbidités lourdes pour qui le Chikungunya pouvait représenter la goutte d’eau qui les faisait basculer de la vie à trépas. Le virus du Chikungunya avait été à l’origine d’hospitalisations chez 2 à 4% des personnes contaminées et avait été à l’origine d’un pic de surmortalité sur l’île avec de pertes économiques notables, notamment dans le secteur du tourisme. Les semaines épidémiques ont causé une grande désorganisation, avec leur cortège d’arrêts-maladies, l’engorgement de l’ensemble du système de santé, ambulatoire (cabinet des médecins de ville en particulier), des services d’urgences, des hospitalisations classiques et des soins intensifs. Tout cela peut être aujourd’hui riche d’enseignements pour les gouvernements face à un phénomène voisin. On peut ainsi réfléchir sur ce qu’est capable de générer un virus, même bénin chez la plupart des personnes qu’il infecte, parce qu’il devient redoutable chez les personnes fragiles et vulnérables qui n’échappent pas à son attaque.

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Jérôme Marty : On connaîtra l’impact d’Omicron sur les hôpitaux d’ici la fin de la semaine prochaine. S’il ne se passe rien, on pourra commencer à considérer légitimement qu’il est possible de lever le pied. Le testing n’a qu’une valeur individuelle, pas une valeur collective car il n’y a pas de tracing possible vu le nombre de cas positifs. La question qui pourra se poser avec Omicron est, si on est positif mais asymptomatique, faut-il vraiment s’isoler si l’on respecte les gestes barrières pour protéger les autres. Le virus circule déjà grandement donc c’est envisageable. Là où on doit croiser les doigts, c’est en ce qui concerne Delta. Il y en a encore environ 50 000 cas par jour. Il faudrait qu’on puisse se tester pour le détecter. Le problème est que même si Omicron s’avère moins virulent il enverra quand même du monde dans les hôpitaux par effet statistique. Et il manque déjà des soignants un peu partout. C’est le résultat de politiques de l’hôpital depuis 30 ans et de l’épuisement depuis 2 ans. Il faut croiser les doigts pour que la vague Omicron n’ait pas lieu, car je ne sais pas comment on pourrait y faire face. Nous sommes, semble-t-il dans une situation où il faut attendre parfois plusieurs jours pour avoir un résultat de test, et lorsque c’est le cas, le test ne sert plus à rien.

Avec plus de 300 000 cas par jour, et des manques de tests pour maintenir les protocoles sanitaires - la SNUipp-FSU et SE-Unsa ont lancé un appel à la grève pour dénoncer un « protocole sanitaire ingérable ». Faut-il revoir nos mesures actuelles et les adapter à cette nouvelle réalité ? Des mesures plus ciblées de testing ou de criblages pourraient-elles être une solution pertinente ?

Antoine Flahault : Il est crucial de faire de bons choix dès à présent en concentrant les ressources et la résilience du pays sur quelques priorités. En dehors de ces priorités, il faudra s’en remettre explicitement à la population qui suivra les messages qu’on lui fera parvenir s’ils sont clairs, compréhensibles et consensuels. Il y a trois segments de la population qui me semblent devoir être considérés comme prioritaires. Ce sont les enfants, les patients atteints d’immunodépression et les personnes âgées. 

Les enfants sont prioritaires d’abord parce que les moins de 5 ans ne sont pas vaccinés et sont de fait plus à risque de complications que les autres. Les 6-11 ans sont également trop peu vaccinés pour espérer être protégés pour la plupart et doivent aussi être l’objet de toute notre attention.

Les patients immunodéprimés, soit du fait de leur maladie, soit de leurs traitements sont à risque extrêmement élevé de complications, même vaccinés, car leur immunité est défaillante. Ils doivent pouvoir bénéficier des derniers traitements disponibles, efficaces chez eux pour éviter les formes graves pouvant les conduire à l’hospitalisation ou au décès.

Les personnes âgées souffrent parfois d’immunosénescence et la triple vaccination chez elles peut ne pas les protéger aussi bien que les plus jeunes. Elles doivent pouvoir bénéficier des traitements disponibles, lorsque la situation l’exige.

Pour ces trois groupes, cela signifie des accès prioritaires aux masques FFP2, aux tests, aux vaccins, et aux traitements appropriés.

Il faut ajouter à ces trois groupes les personnes qui sont en contact étroits avec eux : les enseignants, les soignants et les aidants.

Il faut en effet pouvoir tester sans difficulté ceux qui prennent en charge les personnes vulnérables de notre société afin d’éviter au maximum de risquer de les contaminer. Il ne faudrait pas que l’engorgement des laboratoires submergés par les demandes, dans la panique grandissante de la population, entraîne une perte de chance chez ces personnes, en raison de retards diagnostique ou thérapeutique.

Un dernier point important. Plusieurs études montrent que les déterminants clés de la performance sanitaire, sociale et économique dans cette crise, sont la confiance envers les autorités et la sérénité des liens sociaux. Il convient donc que chacun de nous, politiques, scientifiques et citoyens nous oeuvrions à nous serrer les coudes dans la tempête. L’heure des comptes et des bilans viendra plus tard. Aujourd’hui, elle doit être à la solidarité.

Jérôme Marty : Ils sont ingérables car personne ne s’y reconnaît. Les protocoles ont été annoncés le dimanche soir pour mise en place le lundi. Il y a eu un flux viral important dans les écoles avec des nombreuses contaminations d’élèves et de profs, entraînant de nombreuses fermetures de classe, une Bérézina totale. La modification des protocoles vise à « casser le thermomètre car nous ne sommes pas capables de mettre en œuvre tout ce qui a été annoncé et notamment de tester autant que prévu (à J0, J2, J4) et de contrôler cela. Le gouvernement a ouvert les vannes et cela va augmenter la circulation. Certains disent qu’il faut laisser circuler. Mais ce que je vois c’est que les hospitalisations chez les enfants augmentent, qu’il y a des problèmes de syndromes inflammatoires multi systémiques, des covid longs, etc. 

S’il paraît de plus en plus difficile d’endiguer cette nouvelle variante, peut-on envisager de freiner un certain nombre de mesures sanitaires, dans le but de moins porter atteinte à la société ? 

Jérôme Marty : Il aurait fallu repousser la rentrée de sept ou quinze jours, nous n’avons pas demandé à fermer les écoles, seulement à permettre de faire tomber la circulation virale et éviter la chienlit dans laquelle nous sommes actuellement. Ce qui se passe n’est ni fait ni à faire. On pourrait éventuellement revenir à un protocole de fermeture au premier cas pour faire descendre le taux d’incidence mais cela aurait des conséquences sur les parents qui devraient s’organiser. Il y a une incohérence car on reporte les matchs de top 14 pour quelques cas positifs dans une équipe, mais on ne ferme pas les classes. Il y a des priorités mais elles ne sont ni sanitaires ni éducatives. Faire école à 10 élèves sur 30 n’a pas de sens. De la même manière, il y a des conséquences sur l’économie en raison des arrêts de travail. 

La vague actuelle d’Omicron semble importante mais relativement tenable à l’hôpital. Dans quelle mesure les choses peuvent-elles encore s’aggraver si l’on cesse d’agir ?

Antoine Flahault : La désorganisation de l’ensemble des rouages de la société qui s’annonce ne touchera pas seulement le système de santé, mais il sera bien sûr le premier impacté, après des mois de crise sanitaire, d’épuisement et de lassitude des personnels qui comme toute la population espérait enfin un peu de répit. On ne peut pas encore prédire avec précision jusqu’où cette vague ira, tant en termes chronologique qu’en nombre de contaminations. Il est probable qu’on ait même des difficultés à mesurer la taille et peut-être la date du pic tant le système semble arriver aux limites de ses capacités de testing. Saura-t-on identifier beaucoup plus de 400 000 cas par jour en France ? Mais peu importe, finalement, ce qui est clair aujourd’hui c’est que l’ampleur de cette vague Omicron devrait atteindre plusieurs dizaines de pourcents de la population, 20, 30 ou 40 ? Dans tous les cas cette épidémie devrait enregistrer plus de deux ou trois fois plus de contaminations que les plus fortes épidémies jamais enregistrées depuis la grippe espagnole de 1918. Les conséquences en termes de désorganisations de notre société sont donc inéluctables. Sur le plan sanitaire, même si le variant est bénin chez la plupart, on doit s’attendre à une forte surmortalité directe et indirecte. Les plus fortes épidémies de grippe saisonnières ou pandémiques n’ont jamais concerné plus de 5 à 10% de la population. Mais en France, même avec « seulement » 10% de la population atteinte, on déclenchait le plan blanc, car le système de santé était au bord de la saturation. Il est donc clair qu’il sera complètement débordé avec des niveaux encore plus élevés encore de contaminations. Il faut juste espérer que la virulence d’Omicron ne sera pas plus forte que celle de la grippe, ce qui n’est pas encore certain. Donc on peut s’attendre et on doit se préparer à des semaines à venir extrêmement difficiles, sans doute jusqu’à la fin du mois de février, et ces difficultés devraient toucher presque tous les secteurs d’activité. Ensuite, je propose que l’on partage l’optimisme d’un grand nombre de scientifiques dans le monde, c’est-à-dire que l’on bénéficie enfin d’un répit durable, au moins pendant plusieurs mois.

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