Trumpleaks : pourquoi l’étalage des conversations entre Donald Trump et des chefs d’état est dangereuse pour la démocratie américaine<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Trumpleaks : pourquoi l’étalage des conversations entre Donald Trump et des chefs d’état est dangereuse pour la démocratie américaine
©ALAIN JOCARD / AFP

Contreproductif

De nombreuses informations fuitent de la présidence américaine dans la presse. Avec plus de 2000 personnes à surveiller dans les différents ministères, les cabinets, le contrôle est difficile a assurer. Les dernières fuites concernent les conversations entre Donald Trump et Enrique Pena Nieto, le Président Méxicain. Ces fuites portent atteinte à la démocratie américaine.

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa est spécialiste des Etats-Unis et maître de conférences à l’université Assas-Paris II. Il est chercheur au centre Thucydide. Son dernier livre s'intitule Géopolitique des Etats-Unis (Puf, 2022).

Il est également l'auteur de Hillary, une présidente des Etats-Unis (Eyrolles, 2015), Qui veut la peau du Parti républicain ? L’incroyable Donald Trump (Passy, 2016), Trumpland, portrait d'une Amérique divisée (Privat, 2017),  1968: Quand l'Amérique gronde (Privat, 2018), Et s’il gagnait encore ? (VA éditions, 2018), Joe Biden : le 3e mandat de Barack Obama (VA éditions, 2019) et la biographie de Joe Biden (Nouveau Monde, 2020). 

Voir la bio »

Atlantico : Dans son édition du 3 août, le Washington post a choisi de publier la retranscription intégrale d'une conversation entre Donald Trump et Enrique Pena Nieto, Président du Mexique. Un document ayant été obtenu par le grand quotidien américain, de source anonyme, mais ne pouvant provenir que de la Maison Blanche elle même. En quoi l'opposition à Donald Trump est elle en train de franchir un nouveau palier, pouvant se révéler dangereuse pour la crédibilité de l'administration elle même ? 

Jean-Eric Branaa : Le moins que l’on puisse dire, c’est que le climat est particulièrement délétère aux Etats-Unis depuis l’accession de Donald Trump à la présidence. Dans un tel climat, les fuites se sont multipliées, y compris en provenance de la Maison-Blanche elle-même. Ce phénomène a pris de l’ampleur et les journaux se sont empressés de publier les informations qui leur étaient communiquées, presque toujours sous couvert d’anonymat. A chaque fois, cela a fait les gros titres et la présidence a été décrédibilisée : la cyberattaque russe, le dossier salace sur le voyage de Trump à Moscou, le décret sur la torture, l’appel tumultueux avec Malcom Turnbull, la discussion de Michael Flynn avec les Russes à propos des sanctions, les fuites du FBI sur l’enquête russe, les informations classées top-secret transmises par Trump à des Russes, les mémo de Comey, la fin des opérations secrètes en Syrie par la CIA, les conversations de Jeff Session avec l’ambassadeur russe et, jeudi dernier, la publication des verbatim des conversations avec Pena Nieto et John Turnbull.

Il est très difficile de s’attaquer aux fuiteurs car près de 2 000 personnes travaillent à la Maison-Blanche, sans compter toutes celles et ceux qui travaillent dans les ministères et les agences de renseignements, comme le FBI ou la CIA. Cela représente une véritable force souterraine susceptible de fuiter. Pour Donald Trump, il y a là la preuve d’un Etat profond, qui veut s’attaquer aux fondations de sa présidence et mène une vendetta continue contre son action. Des élus influents se sont rangés sur cette même ligne et avertissent qu’il y a là un danger pour le pays, car les fuiteurs empêchent le travail de renseignement et pourraient même se rendre coupables de trahison. C’est ainsi l’avis de Bob Corker, le président de la commission du renseignement du Sénat ou de Lindsey Graham, un sénateur qui n’est pourtant pas connu pour être particulièrement tendre avec Donald Trump. Le débat s’est donc ouvert dans le pays pour savoir si ces fuites sont juste « gênantes » pour l’administration ou si elles sont « illégales » et mettent en danger le pays. 

Le ministre de la justice a été personnellement mis en cause par Donald Trump pour son incapacité à stopper ce phénomène. Pourtant, les enquêtes se sont bien multipliées et quatre personnes ont déjà été inculpées pour avoir fait des révélations à la presse. Jeff Sessions a annoncé un nouveau plan qui prévoit d’intensifier encore les recherches avec la création d’une unité spéciale au sein du FBI et même d’assigner les organes de presse à comparaître afin de les obliger à révéler leurs sources. Il a ainsi pénétré un autre domaine sensible : celui de la liberté de la presse et a déclenché une nouvelle inquiétude très vive chez les journalistes.

En quoi ces pratiques peuvent elles conforter Donald Trump dans son "mode" de gestion du pays ? L'effet recherché par les opposants de Donald Trump ne risque-t-il pas d'être inverse au résultat, aussi bien en ce qui concerne Donald Trump lui même que pour ses soutiens ?

La révélation des deux conversations téléphoniques de Donald Trump, la première avec le Président mexicain Enrique Peña Nieto et la seconde avec le Premier ministre australien Malcolm Turnbull ont surpris ceux qui ne suivent pas l’actualité américaine de près. En réalité, elles étaient déjà connues. Ces deux conversations ont eu lieu une semaine après la prise de fonction de Trump et avaient d’ailleurs été largement commentées, et y compris par les intéressés eux-mêmes. 

En revanche, la publication des verbatim, émanant de la Maison-Blanche elle-même, nous apporte des renseignements précieux pour la compréhension du président des Etats-Unis et permettent une lecture absolument surréaliste de la façon dont Donald Trump traite les questions internationales et les autres leaders du monde. 

Dans sa conversation avec Peña Nieto, Trump affirme, sans plaisanter, à son homologue mexicain que sa postérité dépend du mur frontalier et que le Mexique doit donc payer « puisqu’il l’a promis ». Avec Turnbull, la conversation a mal tourné et Trump s'est emporté à propos d'un accord datant de l'ère Obama et concernant la possible réinstallation de 1 250 réfugiés hébergés provisoirement par l'Australie. Dans les deux cas, il est plus important pour Donald Trump de déterminer qui entre aux Etats-Unis et avec quel statut. Il insiste à chaque fois sur la façon dont cela va le faire percevoir par ses électeurs et cette question de l’image semble prépondérante. Il est, en revanche, imperméable au dilemme des réfugiés, malgré l'explication patiente du Premier ministre australien. Ce ne sont pas des criminels ou des personnes « mauvaises », comme le dit Donald Trump, mais des migrants qui ont été soumis à des procédures de vérification rigoureuses. Lorsque Trump suggère que l'une de ces personnes pourrait être le prochain « bombardier de Boston », Turnbull le corrige poliment en lui rappelant que ces attaquants provenaient de la Russie, et non des pays d’où viennent ces demandeurs d'asile. Mais la réponse de Trump est sans nuance: « Ils étaient d'où ils étaient ». L'indifférence est révélatrice. En public, le président est inquiet à propos des menaces qui se cachent à l'étranger. Il insiste en permanence sur sa volonté très ferme de les régler et répète que le reste du monde en bénéficiera. En privé, cependant, il est tout à fait clair que ce qui importe dans sa politique est ce qui se passe à l'intérieur plutôt qu'à l'extérieur des États-Unis. Avec une vision encore plus cynique, on pourrait penser que la seule chose qui compte vraiment est sa prochaine campagne, pour une éventuelle réélection : d’ailleurs, il n’a jamais cessé de faire campagne, même après son accession au pouvoir, et chaque prise de parole à l’intérieur ou à l’extérieur du pays semble nourrir ce seul dessein.

Si Donald Trump subit une véritable baisse dans les sondages d'opinion, l'opposition à Donald Trump profite-t-elle réellement de cette situation ? L'enjeu, pour l'opposition, n'est il pas plutôt de remporter une adhésion de la population plutôt que le simple rejet ? Certains membres de l'opposition se sont ils offusqués de telles pratiques ? 

Il n’est pas certain que ces scandales à répétition aient une véritable portée sur la présidence de Donald Trump ou sur sa popularité : on a affaire à un leader très atypique, qui traverse les épreuves depuis deux ans et demi sans sembler être jamais atteint. C’est réellement du jamais vu. Il avait lui-même déclaré pendant sa champagne qu’il pourrait tuer un de ses électeurs sur la 5e avenue [à New York] et qu’il n’y aurait aucune conséquence. Force est de constater que sa popularité ne souffre pas de toutes ses péripéties.

Car ses électeurs ont acquis la certitude qu’il y a une véritable conspiration qui a été mise en place dans le seul but de l’empêcher de réussir. C’est une certitude qu’il entretient d’ailleurs lui-même, avec ses références à un Etat profond et en entretenant le clivage qui existe entre les Démocrates et les Républicains.

Pour ce qui concerne son opposition, elle n’est en rien offusquée par ces pratiques et les a même encouragé très largement. Le problème est que, comme toujours, quand on lance un véhicule sans conducteur et qui roule à vive allure on ne sait pas quelles vont être les conséquences. Les voix qui s’élèvent chez les Démocrates font remarquer que les électeurs vont finir par rejeter les deux camps et qu’ils finiront par rejeter l’ensemble de la classe politique, et même Trump. C’est plutôt inquiétant.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !