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Trump, "ce tyran"... : et au fait, quel bilan réel en matière d'atteintes à la démocratie pendant 4 ans ?
©MANDEL NGAN / AFP

Affaiblissement ou renforcement ?

De nombreux commentateurs expliquent, depuis 2016, que la démocratie américaine est en danger parce que Donald Trump est à la Maison Blanche. Les chiffres montrent le contraire.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Le retour de la très creuse rhétorique antifasciste

Rien de plus banal chez les commentateurs français et européens en général que d'expliquer, depuis 2016, que la démocratie américaine est en danger parce que Donald Trump est à la Maison Blanche. En fait, le contraste est fort entre ce que disent, par exemple, les chiffres de la criminalité, en baisse régulière depuis le début des années 1990 (1,9 millions de crimes violents recensés chaque année au début des années 1990, 1,4 aujourd'hui) et les passions qui se déchaînent dans le débat public, caractérisées par une polarisation très forte du débat entre républicains et démocrates et, comme au printemps 2020, des émeutes urbaines fomentées par une extrême gauche suffisamment puissante pour prendre en otage le parti démocrate.

En fait, on observe une réédition du raisonnement manichéen de la gauche, qui consiste à qualifier de "fasciste" ce qui s'affirme fièrement de droite. On a là une construction aussi vieille que les années 1925-1935, lorsque la gauche communiste combattait systématiquement la démocratie et essayait de faire oublier que Mussolini avait été un camarade d'Internationale de Lénine en rejetant le fascisme loin de son origine idéologique - de gauche - pour en faire le terme générique d'une droite cherchant une solution autoritaire face à une société capitaliste en crise. Ce schéma, qui ne tenait pas la route intellectuellement dans les années 1930, mais avait, pour le conforter apparemment, l'exception qui confirme la règle (le basculement de la droite allemande dans l'alliance avec le nazisme au tournant des années 1930) a été régulièrement recyclé: il est passé des staliniens chez les trotskistes et les maoïstes. Il avait plus ou moins disparu dans les années 1980-1990, lorsque la droite conservatrice s'était ralliée au libéralisme économique. Et voici qu'il revient, à présent que le parti républicain américain, sous la conduite de Donald Trump, a renoué avec l'éloge des frontières, de la préférence nationale, de la réindustrialisation, des valeurs familiales. 

La tentative de "reductio ad hitlerum" de Donald Trump a connu son point culminant lors des émeutes urbaines du printemps, animées par des groupes Antifa et par Black Lives Matter, groupes d'extrême-gauche qui sont revenus aux sources de la violence totalitaire et tâchent de déstabiliser la démocratie. Les militants d'extrême gauche, les médias, le parti démocrate ont entamé en choeur le couplet du racisme, du machisme et de l'autoritarisme. Six mois plus tard, le résultat de l'élection présidentielle, avec une poussée significative de Donald Trump dans l'électorat noir (+100%), l'électorat hispanique (+25%) et chez les femmes (+15%); mais aussi avec une participation record (plus des deux tiers de l'électorat, ce qui n'était pas arrivé depuis 1960, montre la vacuité du discours de la gauche dite antifasciste. Donald Trump a réveillé l'électorat américain, pour le mobiliser en sa faveur ou contre lui-même. Si l'on fait la part des fraudes, apparemment importantes du côté démocrate, on arrive à deux blocs apparemment équivalents, de 72/73 millions pour chacun des candidats. Jamais aucun candidat à l'élection présidentielle américaine n'avait atteint de tels scores. 

Donald Trump, illustration du "chef charismatique" de Max Weber

On  a vu en fait se mettre en place un mécanisme, qui serait assez plaisant à observer, si l'anti-trumpisme n'était pas devenu une sorte de fanatisme des bien-pensants.

Régulièrement depuis bientôt cinq ans, le président Trump a utilisé des thématiques populistes, pour faire sortir de ses gonds la gauche des deux espaces côtiers du pays. A chaque fois, la radicalité de la réponse, le plus souvent militante et gauchiste, a conduit le président à tendre la main à la partie la plus conservatrice du parti républicain pour la rassurer et lui promettre sa protection contre un parti démocrate incapable de contrôler son glissement vers la gauche. C'est par la répétition de cette méthode que le président a réussi son amalgame entre populistes et conservateurs pour former un nouveau parti républicain, dont on serait bien en peine de montrer en quoi il est un danger pour la démocratie. 
- La présence d'un chef charismatique? Mais c'est précisément en analysant la politique américaine de la fin du XIXè siècle que Max Weber a forgé l'idée d'un responsable politique dont une partie de la force vient de ce que projettent sur lui ses électeurs! Le pouvoir charismatique est sans doute inhérent à une démocratie large, comme le montre l'utilisation qu'a faite le Général de Gaulle de l'élection du président au suffrage universel et du référendum. On imagine mal le Général de Gaulle tweeter s'il en avait eu l'occasion. En revanche, force est de reconnaître qu'à bien des égards Donald Trump présente des similarités avec le Charles de Gaulle de l'époque du RPF (au début des années 1950): doté d'une puissante personnalité, apparemment invulnérable aux attaques répétées que le système en place invente en permanence contre lui, il rassemble toutes les classes sociales autour d'un projet ancré fortement à droite, caractérisé par un fort anticommunisme, la volonté de purger l'Etat de ses compromissions et une forte ambition industrielle pour le pays.   

Les Démocrates entre oligarchisme et césarisme

- la capacité à rassembler un large électorat populaire? En fait, on est revenu, au bout de trente ans de "néolibéralisme" à la configuration du débat qui rappelle beaucoup le XIXè siècle: des élites libérales, prétendant avoir le monopole de la défense de la liberté et confondant leurs pulsions oligarchiques avec la démocratie, s'opposent fortement à une personnalité conservatrice, désireuse de faire entendre la voix de tous ou, comme le disait Benjamin Disraeli, de rassembler "les deux nations, celle des riches et celle des pauvres". Dans la Grande-Bretagne du XIXè siècle, c'est Benjamin Disraeli le conservateur et non William Gladstone le libéral qui se bat pour l'élargissement du suffrage et la protection sociale. Même si l'on est dans un contexte de régime semi-parlementaire à la même époque, Bismarck aura plus fait pour l'avènement du suffrage universel qu'aucun autre responsable allemand du XIXè siècle. Dans les Etats-Unis d'aujourd'hui, on est en partie dans une régression. Rappelons-nous comment Hillary Clinton avait expliqué que l'électorat de Trump était un ramassis de "déplorables". Lorsque l'on regarde les noms qui sont envisagés pour un éventuel gouvernement Biden, on voit le retour du pire des années Clinton, Bush et Obama: citons Michele Flournoy au Pentagone, Susan Rice au State Department, anciennes des équipes Clinton et Obama, ce serait le retour de l'impérialisme américain sur le devant de la scène. Lael Brainard, ancienne conseillère de Bill Clinton,qui serait au Trésor, c'est l'un des artisans de la désastreuse entrée dans la Chine dans l'OMC. Meg Whitman, au commerce, c'est une Républicaine passée chez les Démocrates, ancienne CEO de eBay et HP, aujourd'hui au conseil d'administration de DropBox et de Proctor-and-Gamble, c'est le retour de positions "big business" qui se préoccupent peu du sort de la classe ouvrière américaine. 

- Evidemment, on est aussi dans un contexte du début de XXIè siècle, la période pour laquelle Oswald Spengler avait prophétisé, pour l'Occident, une transition équivalente à celle qui mène de la République à l'Empire romain. On retiendra de l'élection 2020 - sans préjuger de son résultat à cette date du 14 novembre - que le parti républicain s'est comporté de manière exemplaire; tandis que les Démocrates ont mis en place, depuis deux ans, sous l'impulsion de Nancy Pelosi: extension maximale du "ballot harvesting", la collecte de voix en porte-à-porte; utilisation massive du vote par correspondance à la faveur de la crise du Coronavirus. Les Républicains se sont battus, dans les parlements des Etats, pour tenter d'encadrer des pratiques qui ne sont pas neuves mais que les Démocrates ont portées en cette année à leur maximum pour tenter de battre un Donald Trump dont ils sentaient bien l'assise populaire.  C'est un comportement digne - si l'on ose dire - de l'époque de corruption de la République romaine, lorsque les puissances financières respectives de Pompée, César, Crassus, alimentées par des guerres permanentes, se déployaient, en se combattant ou en s'alliant, pour détourner le suffrage à leur profit. Joe Biden est le nom de la corruption (impériale) de la démocratie par l'argent et l'amoralité tandis que Donald Trump est encore taillé dans granit des vieux Romains qui, tels Caton l'Ancien, ont fait la force de la République.

Le clôture d'un cycle abstentionniste amorcé en 1890 ? 

En somme, quand on regarde de près les Etats-Unis de 2020, on voit que la République y est paradoxalement défendue par celui que tous les médias soupçonnent d'être un dictateur en puissance; tandis que son adversaire, s'il s'installait à la Maison Blanche en janvier, y ramèneraient le pire des pratiques qui ont fait ressembler les Etats-Unis de Bill Clinton, de George W Bush et de Barack Obama à la décadence qui précéda l'avènement de l'Empire. Depuis 2016, Donald Trump a essayé de mettre fin au cycle qui avait commencé à la fin du XIXè siècle, lorsqu'un parti "populiste" fut vaincu, alors qu'il défendait le système monétaire du dollar gagé sur l'argent, au service des intérêts nationaux, des PME et de l'agriculture. Les élites économiques et financières de l'époque réussirent à imposer le dollar-or; puis elles créèrent en 1913 la Federal Reserve, système de mobilisation de la monnaie au service des grandes entreprises et aux dépens des PME. Toute la puissance américaine du XXè siècle s'est construite sur une expansion monétaire sans précédent, qui n'est plus gagée sur l'or depuis 1971. On est frappé de voir que la participation, très élevée, aux élections américaines, n'a pas cessé de baisser depuis lors: de son point haut de 80% en 1896, elle était tombée à 49% lors de la réélection de Bill Clinton. Depuis lors, la participation est remontée: elle a connu un premier pic lors de l'élection de Barack Obama, en 2008, en pleine crise du système économique et financier fondé sur la "création exubérante" de monnaie. Mais c'est Donald Trump qui aura déclenché une remontée de plus de 10 points encore, près de 70%. C'est d'ailleurs l'une des inconnues du dénouement du scrutin 2020: le résultat sera-t-il suffisamment protégé de la fraude pour répondre à l'énorme soif de remobilisation démocratique de la population américaine?  

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