Troquer une vie de bureau contre un atelier, un four ou un champ ? De plus en plus de cadres sautent le pas <!-- --> | Atlantico.fr
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Boulanger, mécanicien ou encore ébéniste :de plus ne plus de cadres sautent le pas et choisissent de mettre la main à la pâte.
Boulanger, mécanicien ou encore ébéniste :de plus ne plus de cadres sautent le pas et choisissent de mettre la main à la pâte.
©Flickr

Retour à la terre

Travailler de ses mains, réaliser des choses concrètes, redonner un sens à son activité, etc. Autant d'arguments pour troquer son costume trois pièces contre un bleu de travail ou encore une toque de cuisinier.

Vincent  de Gaulejac

Vincent de Gaulejac

Vincent de Gaulejac est professeur de sociologie à l'UFR de Sciences Sociales de l'Université Paris 7 Denis-Diderot.

Il est l'auteur du livre Les sources de honte (2011, Point), Travail, les raison de la colère (2011, Seuil). Il a également publié Manifeste pour sortir du mal-être au travail avec Antoine Mercier (2012, Eds. Desclée de Brouwer), Dénouer les noeuds sociopsychiques (Odile Jacob, 2020), a co-écrit La lutte des places avec Isabel Taboada-Léonetti chez Desclée de Brouwer, a collaboré à De la lutte des classes à la lutte des places. Son dernier ouvrage, Mettre sa vie en jeux: Le théâtre d'intervention socioclinique, co-écrit avec René Badache est sorti en 2021 aux Éditions Seuil.

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Atlantico : Boulanger, mécanicien ou encore ébéniste. De plus ne plus de cadres sautent le pas et choisissent de mettre la main à la pâte. Comment expliquer cet engouement pour les activités manuelles ? 

Vincent de Gaulejac : Cette tendance peut s’expliquer par deux éléments. C’est un double changement, à la fois vers le manuel : du concret vers l’abstrait. Et il y a cette volonté de posséder à nouveau ce que l’on fait. Les cadres ont de plus en plus l’impression d’être pris dans un univers où leur travail ne fait plus sens. Ils sont dans une contradiction forte entre rester malgré tout pour conserver un emploi, tout en ayant le sentiment d’être dans un paroxysme de non-sens. Paradoxe permanent qui fait que certains d’entre eux pètent les plombs. Si beaucoup se maintiennent, d’autres essayent de retrouver un univers dans lequel leur activité fait sens. Il n’est donc pas étonnant de les retrouver dans des métiers manuels.

L’intérêt du travail manuel est que l’on en voit le résultat que l'on maîtrise.  On sait si on a bien fait son travail ou non. Contrairement aux métiers de cadre, de plus en plus abstraits, déterritorialisés, pris dans des logiques gestionnaires, managériales dont ils ne voient pas l’utilité." Lorsqu’on a le nez dans le guidon, on sait qu’on va dans le mur et on va de plus en plus vite". Beaucoup de cadres sont dans cette logique.

Cela traduit-il un mal-être des cadres ?

Le mal-être des cadres est profond. On en voit les symptômes chez tous les salariés mais particulièrement chez les cadres. Stress, burn-out, dépression, épuisement professionnel, etc. C’est surtout la notion de sens qui les met en difficulté et ainsi ils sont davantage victimes de troubles psychosomatiques plutôt que physiques.

La crise a-t-elle favorisé cette tendance ?

Nous constations cette tendance avant la crise déjà. Elle n’a fait qu’accentuer ce phénomène et elle a révélé le mal-être d’une population que l’on connaissait moins bien : celle des traders. Ils sont les premiers à être touché par cette contradiction paroxystique dont je parlais plus haut. Et ce, parce qu’il gagne beaucoup d’argent pour faire quelque chose qui n’a plus de sens à leurs yeux. Il est très difficile d’abandonner une activité dans laquelle vous gagner  beaucoup d’argent même si cela vous rend fou. Parce que ce que disent les traders dans les entretiens, c’est que leur travail les rend fous. Le travail manuel est une sorte de planche de salut pour éviter de sombrer dans cette folie.

Quel sont les obstacles que rencontrent les cadres en reconversion ? 

La première difficulté est matérielle parce qu'on a acheté une maison, on a des emprunts sur le dos et l’on est habitué à avoir des revenus de 6000 euros par mois en moyenne. Non seulement on gagne beaucoup moins d’argent mais il faut également investir financièrement, physiquement et psychologiquement pour se reconstituer une activité.

L’autre difficulté relève de la reconnaissance sociale. Ce métier manuel qui refait sens, paradoxalement, d’un point de vue social est beaucoup moins reconnu. S’il est reconnu par le microcosme des personnes qui vous entourent, il ne l’est pas socialement et symboliquement.

Certains métiers sont-ils plus prisés que d’autres par les cadre ?

Il m’est difficile de répondre statistiquement  à cette question mais les interviews qualitatives que j’ai réalisées révèlent une grande hétérogénéité. Par exemple, un ancien informaticien qui vient de passer un CAP de cuisinier et qui va soit monter son restaurant, soit devenir traiteur à domicile. Un autre va se reconvertir en transformant des meubles anciens. Cela me fait penser à Eloge du carburateur : essai sur le sens et la valeur du travail de Matthew Crowford, ancien trader conseiller dans des grands cabinets de consultants et qui travaille maintenant dans un atelier de moto pour les Harley Davidson. On retrouve dans ce choix manuel des hobbies, des envies qui avaient été refoulés.

Par ailleurs, utiliser les catégories habituelles de métier serait mal venu. Ces cadres reconvertis n’exercent pas les métiers de l’artisanat comme le faisait leur grand-père par exemple, s’il viennent d’un milieu d’artisan. Ils le font à leur manière et utilisent leurs compétences de cadre pour transformer ces activités. Ils les subliment.

A noter également, que l’on peut choisir de se reconvertir à plusieurs, en montant une petite entreprise par exemple. Ce ne sera pas la même chose que de travailler seul dans son atelier. On recherchera des nouvelles formes de coopération, de façon d’être bien dans son travail. Sociologiquement, cela est très intéressant car des nouvelles formes de rapport au travail émergent alors. Les activités traditionnelles en sont transformées.

Les cadres peuvent-ils être déçus par leur choix et faire machine arrière ?

Certains d’entre eux galèrent. D’autres réussissent et sont heureux. Celadépend aussi beaucoup de la trajectoire antérieur et des modèles qu’ils ont eu dans leur enfance sur ce qu’est un métier, un travail. Et la façon dont ils ont vu dans leur vie d’enfant, leur père,leur mère, leur oncle ou leur tante travailler. 

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