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Tricheurs délibérés ou drogués à l’erreur ? Retour sur 5 années de prévisions économiques gouvernementales à côté de la plaque
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On ne leur dit pas Bercy

Depuis 2008, en moyenne, en fin d'année, le déficit budgétaire (en valeur) est 33% plus élevé que ce qu'avait prévu Bercy. Ce chiffre a même grimpé à 165% en 2009 et se montait encore à 4% l'an dernier.

Jean-Michel Rocchi

Jean-Michel Rocchi

Jean-Michel Rocchi est président de Société, auteur d’ouvrages financiers, Enseignant à Sciences Po Aix et Neoma.

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Atlantico : Le gouvernement a dévoilé ses prévisions budgétaires dans le cadre de la réduction des déficits publics à 3% en 2015. Que faut-il en penser ?

Jean-Michel Rocchi : Plus les prévisions sont éloignées et plus elles sont par essence incertaines , quelle sera la conjoncture en 2015 ? Le gouvernement semble avoir cessé de se mentir à lui même et dès lors que ce n'est pas le retour à la croissance qui va gonfler les recettes (le rendement de l'impôt) il devient incontournable de faire des économies.

En 2008 la prévision de déficit pour 2009 était de 2% il a été supérieur à 7% ... Les prévisions n'avaient pas anticipé l'impact économique de la plus grave crise depuis la grande dépression des années 30, rappelons la baisse de 42% des indices boursiers français et la forte baisse du PIB au niveau de l'économie réelle. Le traumatisme a été tel que pour 2010 la prévision initiale de 8,5% sera ramenée en exécution à 7%, il en sera de même pour 2011 ou les prévisions de 6% n'auront été que de 5,2% en réalisé. 

Lorsqu'il existe une forte variation du PIB les prévisions de recettes et de déficit deviennent très aléatoires. 

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En 2012 et 2013 on est revenu à une pratique assez courante au cours de ces 40 dernières années ou le déficit du budget en exécution (la réalité) a été moins bonne que les prévisions 

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Ce qui est certain en tout cas c'est que revenir à niveau de déficit dans les 3% du PIB (conformément au critères de Maastricht) ne sera pas tenable sans une politique énergique de réduction des dépenses publiques.  

Quel intérêt peut avoir le gouvernement à optimiser au maximum ces prévisions en question ?

Le niveau de déficit anticipé est le reflet des prévisions de dépenses et de recettes estimées.

Dans la mesure ou les dépenses doivent être votées elles ne peuvent pas être la variable d'ajustement. Dès lors il suffit d'avoir des hypothèses macroéconomiques optimistes pour parvenir à avoir des recettes fiscales élevées car certains impôts sont très corrélés à l'activité économique (TVA, IS, TIPP) et d'autres moins (IRPP...), le déficit annoncé sera alors plus acceptable. Bien évidemment, les recettes ne seront pas au rendez-vous cela permet tout à la fois d'accuser la mauvaise conjoncture et de faire passer des hausse d'impôts dans un collectif budgétaire. La ficelle est grosse, la recette éculée et pourtant les hommes politiques nous refont le coup presque chaque année. 

En théorie cela ne devrait pas se produire car les prévisions économiques et budgétaires sont censées être une chose sérieuse. Ces prévisions macroéconomiques et par voie de conséquence aussi budgétaires incombent notamment à la Commission économique de la nation (CEN). La CEN "comprend 28 membres choisis parmi les personnalités par leurs travaux et leur compétence économiques et financière. Le directeur général du Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP) et le gouverneur de la Banque de France en sont membres de droit".

Ce qui pose problème ce n'est pas la qualité des membres c'est l'absence totale d'indépendance à l'égard de la direction du Trésor et du ministre de l'Economie et des Finances qui en est le président. Le mode de fonctionnement et l'ouverture (on auditionne beaucoup) pour arrêter au final le chiffre sur lequel il existe un consensus politique au sein de la majorité au pouvoir (droite comme gauche) pose problème. 

Si l'on veut sortir de l'Etat de faillite virtuelle de la France (on rembourse les vieilles OAT par de nouvelles OAT + le solde annuel de déficit budgétaire) c'est à dire ce que le professeur Hyman Minski appelait le "Ponzi Finance" il suffirait de trois règleséconomiques simples mais demandant du courage aux hommes politiques (ce qui n'est pas leur fort) :

- voter la "règle d'or" de l'équilibre budgétaire dans la constitution

rendre constitutionnelle l'indépendance de la CEN (selon le modèle des banques centrales comme la BCE ou la Fed américaine) pour avoir des prévisions économiques avec des hypothèses réalistes afin d'éviter la ritournelle des budgets votés à l'équilibre et qui en budget d'exécution deviennent déficitaires. 

- créer une Caisse d'Amortissement de la Dette : toutes les cessions d'actifs de l'Etat seraient obligatoirement affectées au remboursement de la dette publique. Les cessions continuent souvent de financer les dépenses courantes et dès lors la dette publique nette (des avoirs de l'Etat) continue de s'accroître.      

Rappelons que l'accroissement de la dette publique n'a rien de démocratique, c'est même clairement anti-démocratique. La dette ce sera des impôts futurs, mais avec un phénomène d'inéquité intergénérationnelle. Nous créons de la dette qui sera remboursée par nos enfants. Lors d'un héritage privé si les parents laissent un patrimoine négatif (des dettes nettes) l'héritier à le droit de refuser un tel héritage. Ce droit est dénié à nos enfants s'agissant de la dette publique.

Que dire des émissions d'OAT à 50 ans de l'Agence France Trésor  (OAT 2055 et OAT de souche 25 avril 2060). Certains technocrates s'extasient sur une courbe des taux à 50 ans et sur le succès de ces émissions, ce serait presque risible si on n'avait pas perdu tout bon sens en endettant nos petits enfants. Dans le langage courant la courbe des taux à 50 ans cela s'appelle au choix : faire de la cavalerie ou bien de la fuite en avant ...  

Il est grande temps de mettre fin à une gabegie totalement antidémocratique du point de vue de l'inéquité intergénérationnelle.  

Certains continuent pourtant à défendre contre vents et marées les déficits budgétaires au nom du soutien de la consommation, alors même que cela ne fonctionne pas. 

Ils oublient le théorème de l'équivalence de Ricardo - Barro. Une relance ne pousse pas à consommer mais à épargner en prévision des hausse d'impôts futures car la dette publique devra être remboursée un jour. Une étude du Trésor (DGTPE) datant de 2004 semble largement le valider à propos du comportement des ménages de la zone euro : « une hausse de 1 point de PIB dudéficit public structurel serait compensée par une augmentation de 3/4 de point de PIB de l'épargne privée, ce qui serait cohérent avec un comportement largement ricardien des ménages de la zone euro.»

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