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Plutôt que d’interdire les portables au Bac, on ferait mieux de concevoir des épreuves qui les rendent inutiles
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Mention Triche

Pour lutter contre les fraudes avec les smartphones, l'Education nationale a révélé la mise en place de détecteurs de portable. Un coup de bluff vraisemblablement peu dissuasif. La solution : trouver, pour chaque matière, des sujets pour lesquels l’informatique ou les nouvelles technologies ne serviront à rien.

Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli est professeur agrégé de lettres, enseignant et essayiste français.

 Il est l'auteur ou le co-auteur d'un grand nombre d'ouvrages parus chez différents éditeurs, notamment  La Fabrique du crétin (Jean-Claude Gawsewitch, 2005) et La société pornographique (Bourin, 2012)

Il possède également un blog : bonnet d'âne

Voir la bio »

Atlantico : les démarches prises par l’Education nationale, comme la confiscation des téléphones portables, pour empêcher la triche au Bac peuvent-elles fonctionner ?

Jean-Paul Brighelli : A l’époque du gang des Tractions Avant, la police n’a eu d’autres ripostes que de s’équiper de tractions avant… On ne peut pas aller contre le progrès.

La première solution adoptée, la mise en place de détecteurs de téléphones portables, est un coup de bluff qui n’impressionnerait pas même un enfant de 6ème ! Cela n’impressionnera que les bons élèves, justement ceux qui ne trichent pas…

Deuxième solution qui existe mais qu’on ne veut pas mettre en place en France : les brouilleurs de portables. Ce n’est pas cher mais c’est interdit car cela peut brouiller au-delà de la salle d’examen.

Troisième solution : on autorise tout et que le meilleur gagne ! C’est une solution profondément injuste dans la mesure où les élèves sont très diversement équipés en informatique. Tous n’ont pas des smartphones ou autres iPad. Il est possible qu’il y ait derrière des intérêts financiers extrêmement lourds qui visent à faire équiper, au frais de l’Etat ou des régions, tous les élèves avec le même style de matériel. Il existe déjà des Conseils généraux, par exemple en Corrèze à l’instigation de François Hollande, qui ont équipé très lourdement les élèves avec le même type de matériel. Bien entendu, je ne soupçonnerais pas les Conseils généraux ni les Régions, qui ne sont composés que de gens honnêtes, d’avoir un intérêt quelconque dans ce genre de business…

Il n'existe donc aucune solution ?

Il existe en réalité deux solutions véritables. Soit on interdit et on s’en donne les moyens, mais c’est ingérable compte tenu de la structure des salles d’examen. Il faudrait quasiment mettre un surveillant derrière chaque élève… Soit, pour chaque matière, on trouve des sujets pour lesquels l’informatique ne donnera rien.

A la fin des années 90, au Bac français, nous avons créé le « sujet d’invention », une espèce de grosse rédac’ qui consiste à écrire à peu près n’importe quoi. On pourrait par exemple très bien suggérer un exercice « à la manière de… » où l’on donnerait trois textes d’un écrivain quelconque aux élèves et on leur demanderait d’en écrire un quatrième à la manière de cet écrivain. Internet serait alors complètement inutile. Pour les sciences, je fais confiance à mes collègues scientifiques pour trouver des sujets qui dénoteraient un esprit mathématique, et où il ne s'agirait pas juste de trouver un résultat. Simplement, cela va à l’encontre de la tendance actuelle qui se calque sur le modèle américain des questions à choix multiples (QCM).

Enfin, il reste une dernière solution : la suppression du Bac et l’instauration d’une forme de contrôle continu. On le considère alors comme un examen de fin d’études et non comme le premier palier d’un diplôme universitaire que la technologie aura réduit au ridicule. On laisse à ce moment-là les facultés libres de recruter qui elles veulent, sur les critères qu’elles veulent.


Le fait de vouloir équiper les lycéens des mêmes outils technologiques n’est-il pas aussi un moyen de les préparer à l’université, où ils seront amenés à utiliser des technologies identiques, notamment dans le domaine des sciences ?

Je suis professeur en classe préparatoire et j’utilise beaucoup l’informatique en cours. L’expérience me prouve qu’en général c’est moi qui leur indique où il faut chercher ! Par eux-mêmes, ils ne savent pas. L’informatique est très discriminant : si vous n’avez pas appris très précisément où aller chercher, il est difficile de manier l’outil. Comment faire une bonne dissertation de philo avec ce qu’on trouve sur le net ? Il existe toutes sortes de saloperies sur la toile... Un collègue s’était amusé à piéger les élèves en inventant un texte d’un auteur non moins inventé et en fabriquant un corrigé (volontairement nul !) qui a été accepté les yeux fermés par deux sites de dissertations en ligne. Les corrigés ont ensuite été achetés par ses propres élèves… Ce coup, monté admirablement bien, discrédite à tout jamais l’acquisition de dissert’ en ligne. 90% de ce qu’on trouve en ligne en Français ou en philosophie est nul !

A priori, les étudiants tricheurs sont donc condamnés à échouer invariablement ?

Il m’arrive souvent, dans un lot de copies, de remarquer des choses qui ont été récupérées sur Internet. Ce n’est pas en soi criminel. Après tout à mon époque, pour les devoirs maison, on allait chercher les choses dans ce truc archaïque qui s’appelle un livre. On y prenait un renseignement, parfois on recopiait une phrase. Paul Valéry disait : « il n’y a rien de plus soi que de se nourrir d’autrui. Le lion est fait de moutons assimilés. »

Le problème est aujourd’hui la pratique du copier/coller qui n’existait pas avec les livres. Les élèves recopient maintenant de très longs paragraphes. C’est très drôle d’ailleurs, on retrouve des textes avec un paragraphe qui a été copié/collé sans faute d’orthographe et puis quelques lignes plus loin, le paragraphe de transition de l’élève avec une abondance de formules maladroites… Il suffit parfois de taper sur Google un lambeau de paragraphe pour retrouver le devoir. Dans ce cas-là, je le dis très froidement : je mets zéro !

Si les instances officielles veulent qu’on joue à ce petit jeu avec le Bac, de 85% de réussite les statistiques vont tomber à 15%...

Le lycéen d’aujourd’hui qui copie/colle des paragraphes sur Internet est-il si différent de celui d’hier qui « s’inspirait fortement » de ce qu’il pouvait trouver dans les livres ?

Il est beaucoup plus dur de recopier un passage d’un livre, iI faut quand même faire tout cela à la main. Tandis qu’aujourd’hui, en deux clics, copier et coller, le tour est joué. De plus en plus de travaux sont en fait du montage de Wikipédia qui ne mérite même pas 2 / 20. 

Imaginez un élève de 6ème qui fait un exposé sur les pyramides égyptiennes. Il tape « pyramide » sur Google et tombe sur un des 80 millions de sites qui parlent de ce sujet. J'ai fait l'expérience il n'y a pas très longtemps : sur la première page on trouve des pubs immobilières, des sites affirmant que les pyramides ont été construites par extraterrestres, puis la fiche Wikipédia... Si on ne l'aide pas, l'élève se retrouve dans un maquis extrêmement épais.

Il faut bien avoir conscience d'une chose : l'informatique n'est qu'un outil, qui se justifie parfaitement à un niveau supérieur, et auprès de gens qui ont compris que l'intérêt n'est pas tant ce qu'on trouve sur Internet mais bien ce qu'on fait avec ce qu'on trouve sur Internet. Allez expliquer ça à des gosses de 16 ou 17 ans...

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