Tribune des généraux : vieux barbons contre antifascistes en panique, le match des nuls ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Florence Parly, la ministre des Armée, à l'issue du Conseil des ministres. Florence Parly a demandé des sanctions contre les signataires de la tribune de militaires relayée par Valeurs Actuelles.
Florence Parly, la ministre des Armée, à l'issue du Conseil des ministres. Florence Parly a demandé des sanctions contre les signataires de la tribune de militaires relayée par Valeurs Actuelles.
©LUDOVIC MARIN / AFP

Déni du réel ?

La tribune de militaires pour appeler à lutter contre le « délitement » de la France et relayée par Valeurs Actuelles est au coeur d'une vive polémique au sein de la classe politique. Après avoir fustigé dimanche une « tribune irresponsable », la ministre des armées, Florence Parly, a demandé des sanctions contre les signataires.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).   

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Atlantico : La tribune de généraux relayée par Valeurs Actuelles provoque une tempête politique : le contenu de ce texte est-il donc si nouveau ou si dérangeant ? En quoi se distingue-t-il fondamentalement de propos sur l'état de la France et de ses fractures prononcés par Gérard Collomb, Manuel Valls ou même François Hollande en leur temps ? Et surtout, s'agit-il vraiment d'une feuille de route crédible : la dénonciation des délitements auxquels est confrontée la France peut-il tenir lieu de solution ?

Arnaud Benedetti : Cette tribune révèle d’abord l’extrême nervosité de la société française, et un phénomène au demeurant assez significatif : la crise sanitaire a produit une glaciation des principaux débats politiques, à l’exception d’un seul qui continue sous le virus à prospérer, celui qui touche à l’identité de la France, au pacte républicain, et évidemment aux enjeux de sécurité et d’ordre public. Cela signifie qu’il y a là une fournaise qui, elle, ne cesse de brûler, en dépit de la situation pandémique. Le contenu de cette tribune s’il avait été signé par une toute autre catégorie que des militaires, en retraite faut-il le souligner, n’eut provoqué aucune polémique et aurait immanquablement rejoint la longue cohorte des diagnostics partagés par bien des politiques et autres observateurs. Dans cette « affaire », l’indignation sonne faux, elle est prétexte et rien d’autre : la position calculée des insoumis et d’une partie de la gauche qui trouvent là, au moment d’un énième attentat, le moyen de faire diversion, alors que nombre de leurs adversaires les renvoient quant à leurs ambivalences lorsqu’il s’agit de condamner fermement le péril islamiste ; la réaction de la ministre qui leur emboîte le pas avec retard et qui réclame des sanctions, mais qui se fait la sous-traitante du President qui du fait du soutien de Marine Le Pen aux signataires, s’offre ainsi un brevet de " résistance républicaine " aussi factice que grotesque. Le texte des signataires, quant à lui, n’a d’autre valeur ajoutée que le  statut de ses signataires ; il n’offre ni renouvellement du constat, encore moins de solutions ou de perspectives. Ce sont là des lanceurs d’alerte d’une alerte qui n’en finit plus... Force est de constater que les militaires en France ont été la plupart du temps des politiques assez maladroits, à l’exception notable de Bonaparte et de De Gaulle. Mais là n’est pas la question, car s’il fallait trouver une signification à cette expression publique, c’est d’abord la confirmation en effet qu’aux yeux des corps les plus régaliens de l’Etat régalien les dirigeants politiques n’incarnent plus qu’imparfaitement la fonction régalienne. Ce qui est vrai des militaires l’est tout autant des policiers, mais si aujourd’hui ces deux catégories le laissent percer avec plus de visibilité, c’est qu’elles sentent aussi que les opinions publiques les accompagnent, voire les précèdent dans ce sentiment et cette perception...

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Edouard Husson : Dire qu'il s'agit d'une tribune des "généraux" n'est qu'une partie de la réalité. Il est très frappant de voir que la tribune a été signée aussi par des officiers supérieurs, des sous-officiers et des hommes de troupe. Nous avons affaire à un échantillon de l'armée qui est très significatif. Ensuite, dans un Etat de tradition républicaine, l'armée est la "Grande Muette". Il en faut beaucoup pour que l'armée prenne la parole. Mais il faut bien reconnaître que la classe politique, Madame Le Pen compris, est d'une affligeante passivité face à la situation réelle du pays. Depuis janvier 2015, nous sommes entrés dans le cycle cauchemardesque "attentat-dénonciation incantatoire-absence quasi-totale de mesures-nouvel attentat". Il faut se rappeler qu'Emmanuel Macron a osé affirmer, à la veille du premier tour de la présidentielle, alors qu'il y avait une tentative d'attentat sur les Champs-Elysées, qu'on n'improvisait pas un programme de lutte contre le terrorisme. Il n'en avait pas. Et en quatre ans, il n'a rien fait de plus que son prédécesseur.  D'une manière générale, dans la classe dirigeante, on continue à pratiquer le déni de réalité. Le patronat ne cherche pas, malgré quelques velléités individuelles, à organiser la droite - je veux dire toute la droite, LR + RN - pour redresser le pays: il se demande quel est le candidat alternatif à Emmanuel Macron qui va bien pouvoir sauver le système. Et Madame Le Pen se complait dans l'affrontement entre la France des métropoles et celle de la périphérie. Ce qui est essentiel dans le geste des militaires, c'est précisément que des généraux, qui appartiennent à l'élite du pays, se mettent à parler la même langue que la troupe.  

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Parmi les opposants à la tribune, ceux qui appellent à des sanctions pour ses signataires semblent obnubilés par le fait qu'un "militaire ne devrait pas dire ça" plus que par le constat de fond. Sommes-nous face à un énième épisode de déni du réel, une sorte de pensée magique consistant à croire que le fait de taire certains aspects de la réalité finirait par les effacer ?

Arnaud Benedetti : Le fantasme du «pronunciamento », du « péril fasciste » recrédite à bon compte l’imaginaire de ceux qui n’ont plus grand chose à dire ou à proposer. Il constitue par ailleurs un « imaginaire-écran » qui permet  de déplacer l’attention vers une « menace potemkine » pendant que l’on n’apparaît pas en mesure de traiter les risques authentiques auxquels la société est confrontée, à commencer par celui de la subversion islamiste et de la panne du moteur assimilationniste. Parce que le réel qui nous saute à la figure ne nous plait pas, alors inventons un autre réel, en puisant dans des figures d’un passé « recomposé » pour les besoins d’une cause de circonstances qui vise exclusivement à dissimuler l’impuissance du politique. C’est de la tartufferie communicante. Combien de politiques en privé, de droite comme de gauche, partagent le point de vue , sans le formuler forcément dans les mêmes  termes, des signataires de cette tribune. Pour une partie de la gauche en voie d’extrêmisation, c’est un mélange de déni du réel au sens psychanalytique et de calcul parfois sordidement électoral, les deux s’auto-alimentant. Ceux là ont troqué l’universalisme républicain pour le retour à un ancien régime post-moderne, « cet agrégat  de communautés désunies » auquel Mirabeau associait la France d’avant la révolution. On conviendra que pour ceux qui se veulent les héritiers de la révolution c’est là une curieuse conception d’en défendre l’héritage. Gageons que si les grands républicains de gauche revenaient aujourd’hui ils ne se reconnaîtraient certainement pas dans celles et ceux qui se réclament d’eux... Pour la majorité, qui marche sur des « oeufs » si je puis dire , il s’agit de faire tenir justement les deux bouts de l’omelette macroniste. Cela tombe bien : on a Madame Parly, ancienne du PS aux armées, qui est envoyé au front subliminal de « l’anti-putschisme » pour nous expliquer que ces militaires là, tous en retraite à ma connaissance, restent soumis à un devoir de neutralité car ressortissant de la réserve. Soit... C’est oublier que De Gaulle, lui-même, ne s’est jamais privé de positions publiques, y compris lorsqu’il est encore dans les cadres de l’active. Durant toute l’entre-deux guerres , ils publient livres et tribunes, y compris dans une revue civile, comme la nôtre en 1932 , où il définit sa conception de l’armée de métier contre la doctrine officielle de l’époque. Conclusion uchronique : le pouvoir d’aujourd’hui  eut sanctionné De Gaulle. Ce télescopage par l’absurde nous dit que nous n’avons jamais été aussi éloigné aujourd’hui de la conception que se faisait le fondateur de la Vème République de la responsabilité politique. Lequel lui-même porté au pouvoir en 1958 par le général Salan , entre autres, n’hésitera pas par la suite à mater la rébellion militaire en 1961... Mais comparons ce qui est comparable : nous ne sommes pas en 1961, même si cette tribune est publiée un 21 Avril... 

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Edouard Husson : La présidence Macron a commencé par le limogeage brutal du chef d'Etat-Major des armées. Et il se termine avec une sorte de retour de bâton. Le Général de Villiers était-il l'arbre cachant la forêt d'une troupe que Macron n'a pas voulu voir? Le déni de réalité remonte aux années 1980. Le peuple français a commencé à crier sa souffrance au quotidien et Jean-Marie Le Pen s'est fait son porte-parole, qu'il s'agisse de la dénonciation de l'immigration, de la désindustrialisation, de l'insécurité. Ce renégat de la droite qu'était François Mitterrand a organisé, alors, le théâtre d'ombres dans lequel nous vivons actuellement, suscitant régulièrement un antifascisme de pacotille pour décrédibiliser le patriotisme. Malheureusement, la droite est entré dans le jeu du Grand Manipulateur. Jean-Marie Le Pen s'est appliqué à correspondre au rôle d'épouvantail qu'il devait jouer; Jacques Chirac s'est prostitué à l'antifascisme officiel; et les jeunes générations du RPR et de l'UDF, se sont appliquées consciencieusement à dresser un mur entre les électorats encore plus qu'entre les partis politiques de droite. Nicolas Sarkozy a compris instinctivement qu'il s'agissait d'un jeu mortifère pour le pays mais il n'est malheureusement pas allé jusqu'au bout, en actes. A vrai dire, vous y faisiez allusion, une partie de la classe politique, progressivement, prend acte de la réalité délitée du pays.  Mais cela ne change malheureusement rien aux actes. Emmanuel Macron est très représentatif d'un monde dirigeant qui pense que l'on puisse "en même temps" voir et ne pas voir, dire et taire, promettre et ne rien faire.  

De quel mélange de cynisme électoral ("remobilisez-vous, le danger fasciste est à nos portes) et de panique morale (mais qu'avons-nous donc à proposer comme autre solution que l'armée face au même constat) est faite la réaction de la gauche ou d'une partie de LREM ?

Arnaud Benedetti : Il faut rappeler que régulièrement lorsqu’est abordé la question du maintien de l’ordre dans un certain nombre de territoires « perdus », des élus, y compris à gauche, évoquent le recours à l’armée. Notons au passage que ce sont bien plus souvent les civils qui préconisent potentiellement cette hypothèse que les cadres militaires qui estiment qu’en fin de compte cette mission n’est pas fondamentalement de leur ressort. La gauche qui a enfanté la république en marche et Emmanuel Macron , faut-il quand même le rappeler aussi, a besoin de se draper dans des vertus de circonstances pour réactiver une posture historique, en lieu et place de ce que fut une partie de son histoire. Emmanuel Macron , par la voix de sa ministre des Armées, courre pour la première fois derrière Jean-Luc Mélenchon qui lui a tendu un piège aussi habile que sulfureux. De ce piège, il tente d’en faire une ressource pour se recréditer dans le rôle du meilleur rempart à Marine Le Pen, laquelle a soutenu hâtivement des militaires qui pour nombre des signataires du texte apparaissent assez proche de ses positions. Il eut été simple pour elle de ne rien dire, de laisser dire, de ne pas sursouligner, puisque de toutes les façons ces soldats retournés à leurs jardins validaient ses thèses. Pour Emmanuel Macron, il est temps de « rediaboliser » juste ce qu’il faut Marine Le Pen pour en faire sa « candidate idéale » de second tour... Cette polémique de basse intensité lui en offre en partie l’occasion, mais avec un risque cependant : les français aiment leur armée, et le Président s’est déjà abîmé en début de mandat avec le départ du général de Villiers, sans compter que des segments entiers de l’opinion font leur l’inquiétude des militaires co-auteurs du texte. 
Edouard Husson : A vrai dire, je n'accorderais pas beaucoup d'importance à l'agitation et à tout l'antifascisme de pacotille d'un Mélenchon ou de quelques autres. Le même Mélenchon qui dénonce les militaires factieux aujourd'hui appelait, en novembre 2018, au soulèvement de l'armée pour défendre les Gilets Jaunes. Non, ce qui est beaucoup plus grave, c'est le blocage au sein de la France établie. Je me permets de vous rappeler un épisode, ô combien significatif. Le 4 avril 2017, on est en pleine campagne présidentielle; Sarah Halimi est assassinée. Le crime est bien évidemment, à motif antisémite; cela se voit immédiatement. Eh bien Emmanuel Macron se tait - il ne faudrait pas perdre l'électorat musulman; François Fillon se tait: on n'est sûr de rien me déclare-t-on à l'époque dans l'équipe de campagne quand je les supplie de faire une déclaration, moins par électoralisme que par devoir envers la France de Dreyfus et de Péguy. C'est Marine Le Pen qui, seule, appelle les choses par leur nom ! Cela en dit tellement long sur le mal qui ronge notre classe politique. Surtout, si nos dirigeants étaient sincères, cela aurait dû définitivement tourner la page de la mauvaise opérette antifasciste imaginée par François Mitterrand dans les années 1980. Mais rien de tel ne se passe. Et la décomposition politique, économique, sociale, culturelle continuent. L'état de droit et la démocratie continuent à être bafoués quotidiennement.  En fait, mettez bout à bout l'actualité depuis quelques jours: l'effondrement moral de l'entreprise Evian devant l'islamisme, le refus de faire un procès à l'assassin de Sarah Halimi, l'attentat de Rambouillet; ajoutez-y la violence permanente dans les banlieues, les frontières toujours grand-ouvertes à l'immigration, l'activisme des islamo-gauchistes dans les universités etc...C'est plutôt que la grande Muette n'ait toujours pas grogné qui apparaîtrait étonnant. Ensuite, le problème reste entier tant que la classe politique ne s'organise pas pour répondre enfin à tous les défis de l'heure.     

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