Trente ans après le Oui à Maastricht : tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le vrai bilan de l’euro<!-- --> | Atlantico.fr
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Quel bilan tirer de l'euro, vingt ans après son instauration ?
Quel bilan tirer de l'euro, vingt ans après son instauration ?
©INA FASSBENDER / AFP

Monnaie unique

Le 1er janvier 2002, l’euro devenait la monnaie unique de millions d’Européens dans 12 pays. 20 ans après, quel bilan tirer de cette expérience monétaire unique ?

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Atlantico : Trente ans après le "oui" à Maastricht et après avoir fêté les 20 ans de l’introduction de l’euro comme monnaie d’usage grand public, quels sont les critères qui permettent d’apprécier ce qu’on lui doit ? 

Don Diego de la Vega : Lorsque l’on cherche à faire le bilan de toute chose, il faut d’abord se remémorer les promesses initiales. 

En l'occurrence, les promesses de l’euro étaient multiples : avoir une monnaie stable, notamment pour rassurer les allemands qui renonçaient au Deutschmark. Cet objectif est un échec puisqu’on a eu un ordre d’abord inflationniste puis fortement déflationniste suite aux erreurs de Jean-Claude Trichet, directeur de la BCE entre 2003 et 2011. 

On nous avait également promis que l’euro agirait comme un bouclier, ce qui n’a pas été le cas, à la fois pendant la crise de 2008 et également pendant des crises exogènes comme la crise pandémique. A chaque crise, l’euro monte et remonte contre le dollars et donc ne nous protège pas. 

Il y a 30 ans, on nous a également vendu la croissance et l’emploi. Encore une fois, ces promesses ne se sont pas réalisées. 

Enfin, on nous avait affirmé que l’euro serait la première pierre d’une sorte de super-État européen. Mais c’est très précisément depuis qu’on a introduit l’euro que les échanges intra-européens ralentissent et que l’idée de fédéralisme se voit de plus en plus rejetée… 

Selon moi, l’euro ne remplit aucune de ses fonctions : pas de souplesse ou de résilience face aux crises, pas de rôle politique ou économique… Il est le plus grand échec inter-étatique de l’ère moderne et nous en subissons les conséquences au quotidien sans nous en rendre compte. 

Même si nous savions que les critères de la Zone Monétaire Optimale au sens de Robert Mundell n’étaient pas remplis, certains pensaient encore jusqu’en 2007/2008 que nous allions nous en approcher. Ce n’est absolument pas le cas. Mario Draghi a essayé de sauver la zone pendant des années, mais toutes les rustines mises en place sont restées sans effets. 

Si l’euro était une franche réussite, on nous aurait imité. Or les seuls pays qui nous ont rejoints sont de petits pays. Les Anglais, les Suisses, les Norvégiens, les Danois ne sont pas rentrés dans l’euro et se portent bien mieux que nous.

Tout n’étant jamais noir dans la vie, quels avantages voyez-vous à l’existence de l’euro ?

Certains intérêts ont été relativement bien servis. Trois catégories de personnes ont pu tirer un léger avantage de l’euro et peuvent apparaître comme des gagnants relatifs. 

Les premiers d’entre eux sont des pays exportateurs nets et positionnés sur le haut de gamme, comme l’Allemagne ou les Pays-Bas, qui se soucient moins de la valeur externe de la monnaie. 

La deuxième catégorie de gagnants sont les financiers et les banques d’affaires américaines. En diminuant le protectionnisme de la réglementation financière locale  et en faisant sauter un certain nombre de cloisons, les acteurs qui jouent sur des grandes masses financières peuvent tirer un certain bénéfice. 

Enfin, les personnes avantagées par la déflation, comme les rentiers qui ont des placements en accord avec ce principe, peuvent sortir gagnants. Ce sont généralement des personnes assez âgées, avec un capital élevé et qui restent assez défensifs, tout le contraire des entrepreneurs. 

Toutes les autres catégories, à commencer par les industriels de moyenne gamme et bien évidemment les Italiens ont beaucoup perdu avec l’euro. 

Un autre argument massue souvent employé en faveur de l’euro consiste à dire qu’une sortie de l’euro ferait perdre aux Français entre 30 et 40% de leur pouvoir d’achat et ferait exploser le coût de la dette. Ce discours récurrent vous paraît-il incontestable ?

Cet argument est complètement fou. Lorsque l’on regarde le Danemark, la Norvège ou la Suède, on voit bien que ces pays ne sont pas en voie de clochardisation ou de guerre civile. La période de transition pour le retour aux monnaies nationales serait parfois compliquée sur les marchés financiers, mais de là à dire qu’il y aurait une perte nette sur le pouvoir d’achat ou l’épargne des français, c’est se moquer du monde. C’est d’autant plus se moquer du monde qu’on rabâche cet argument en expliquant que les dettes exploseraient, alors que c’est précisément ce qu’il se passe en France depuis 20 ans. C’est justement dans notre système actuel que la dette s’envole.

Dans un système de monnaie nationale bien gérée, comme c’est le cas en Suisse, les contraintes externes sont moins fortes et les verrous plus importants. Surtout, la monnaie est sous contrôle. La banque centrale est autonome et ne peut pas créer un million de chômeurs du jour au lendemain. À partir de ce moment, il n’y a pas de crise monétaire tous les 10 ans. 

Dans un système monétaire plus simple et un système de change non anachronique, il y aurait moins de déséquilibres et donc moins de nécessité de les couvrir. Nous ne serions pas dans une spirale de déficit privé et public comme c’est le cas actuellement. On pourrait dire que les États-Unis connaissent les mêmes problèmes sauf qu’ils ont un contrôle sur leurs banques centrales et peuvent donc faire de grandes remises de dettes.

En fin de compte, le problème de l’euro c’est qu’il n’y a pas de porte de sortie. Ce système est très rigide et dépend énormément de l’ordre institutionnel et de l’ordre politique allemand. S’ils décident un jour de refuser de payer, l’euro explosera. 

On peut également dire qu’après 25 ans de rafistolages à tout va, si on se pose encore des questions existentielles sur l’euro, cela prouve bien que le système est loin d’être parfait. 

20 ans d’existence, est-ce une période suffisante pour conclure que l’euro est une monnaie qui est là pour durer ?

L’euro peut durer 20 ans, 50 ans… comme il peut exploser assez vite. Mais les hommes politiques invoquent un argument étonnant : avec toute l’énergie politique mise dans l’euro, la monnaie commune ne pourra jamais exploser. On peut répondre que de nombreux efforts ont été mis en place pour essayer de sauver l’URSS !

On peut également noter que le jour où l'euro explosera, les enquêtes qui cherchent à nous montrer que 68% des européens sont favorables à l’euro seront balayées du revers de la main. Ce n’est pas le peuple qui décide. En France, il l’a fait à 51% dans un référendum unique, alors que 90% des médias étaient favorables à la monnaie commune. Il n’y a donc pas d’adhésion massive et répétée. 

L’euro a permis à l’Europe de continuer à avancer, diriez-vous qu’il s’agit à minima d’un succès politique ? 

On pourra parler de succès politique lorsque l’on laissera le peuple s’exprimer et qu’il ne votera pas pour l’extrême droite. En Italie, tout le monde prie pour que Draghi ne prenne pas la présidence de façon à ce qu’il reste au Conseil pour qu’il n’y ait pas d’élections et que le pays continue à être géré par les technocrates. Bientôt le moindre secrétaire ou le moindre cadre intermédiaire de la BCE sera envoyé comme directeur de province pour diriger une région ou un ministère. C’est vraiment inquiétant. 

Je ne pense pas que l’euro soit un succès politique. Lorsque l’on se méfie de la manière dont les gens vont voter, c’est rarement bon signe. Pour le reste, l’euro a-t-il renforcé la Commission Européenne ? Non. Le seul vrai gagnant de l’euro est la BCE, qui fixe de très nombreuses règles. A l’inverse, les grands perdants de ces dernières années sont les politiques nationales et européennes. Le Parlement européen n’a jamais pris son envol. L’heure n’est plus à la construction fédérale et la véritable instance qui a pris tous les éléments de chantage et de pression est Francfort. À Bruxelles il ne reste plus grand chose, à part peut-être le droit de la concurrence. 

De nombreuses personnes peuvent gagner socialement ou économiquement à vanter les mérites de l’euro. Un tel discours est très apprécié par tout le bloc « bourgeois ». Cette catégorie de population possède une assurance vie et des actifs en euros. Elle apprécie les discours mainstream et conservateurs, et donc la conservation de l’ordre monétaire. Ce discours est aujourd’hui très défensif, du type : « si l’euro éclate, vous perdrez 30 à 40% de votre pouvoir d’achat ». C’est uniquement une possibilité pour les Allemands, les épargnants ou les industriels. Il faut d’ailleurs noter qu’il n’y a pas d’excédent commercial allemand avant l’introduction de l’euro. Il ne devient excédentaire que lorsque l’Italie et la France s’enfoncent au début des années 2000. 

Si je devais résumer ma pensée, je dirais que l’euro est un système qui tient grâce à la peur. On ne peut plus se poser de questions sous peine de faire le jeu de l’extrême gauche ou de l’extrême droite. 

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