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70 ans après la fondation de la République populaire, le Parti communiste chinois n’est plus du tout ce qu’il était
©Greg Baker / AFP

Fausse longévité

Tout confirme le changement du Parti Communiste Chinois depuis 1949. Pourtant, le parti continue de revendiquer la continuité.

Antoine Brunet

Antoine Brunet

Antoine Brunet est économiste et président d’AB Marchés.

Il est l'auteur de La visée hégémonique de la Chine (avec Jean-Paul Guichard, L’Harmattan, 2011).

 

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Atlantico : La République Populaire de Chine fête ses 70 ans. Peut-on remettre en question la continuité que revendique un tel anniversaire ?

Antoine Brunet : Il y a une continuité manifeste : depuis 70 ans, sans discontinuité, le Parti Communiste Chinois (PCC) domine la population chinoise en lui imposant un régime politique qui est franchement totalitaire.

En 1949, le PCC s’est emparé du pouvoir à Pékin non pas à l’issue d’un processus électoral mais au terme d’une épreuve de force militaire avec le Kuomintang, un autre parti politique qui  avait combattu lui aussi l’occupant japonais et qui postulait lui aussi à exercer le pouvoir.

Ce qu’il est important de retenir, c’est que jamais la population chinoise n’a validé cette appropriation, exclusive et prolongée, du pouvoir politique par le PCC. Quand Mao proclama la victoire de son armée sur celle du Kuomintang, il se félicita de ce que son parti révolutionnaire avait ainsi atteint son objectif, la conquête du pouvoir en Chine et qu’en conséquence, le pouvoir politique lui revenait très normalement. Il se garda bien alors de procéder à quelque consultation démocratique de la population chinoise.

Depuis lors, le PCC démontre qu'il entend bien ne jamais lâcher le pouvoir absolu dont il s'est emparé. Il s'emploie à faire obstruction à toute alternance politique à la tête de la Chine : au cours des 70 années qui nous séparent de 1949, jamais aucun scrutin au suffrage universel n’a été autorisé en Chine : pas de scrutin législatif ou présidentiel ; pas non plus de scrutin territorial ou municipal ni même de scrutin d’ordre syndical ou professionnel. 

Le PCC fait par ailleurs obstruction à tout ce qui pourrait engendrer l’embryon d’un contrepouvoir. Aucune association n'est autorisée en dehors du Parti Communiste Chinois ou de ses associations filles. Toutes les religions (bouddhiste, chrétienne, musulmane, falun gong...) sont chroniquement persécutées. Même des personnalités devenues célèbres au titre de leur action humanitaire ont fait l’objet de tracasseries (ou même d’incarcération) dès lors que le PCC les jugeait dangereuses parce que trop populaires. 

Et, comme dans tout régime totalitaire, un formidable système répressif est en place pour dissuader toute forme d’opposition ou même de dissidence. Cela va du score social et des punitions sociales dont il est assorti jusqu’aux incarcérations hors de toute procédure judiciaire préalable et jusqu’aux « camps de rééducation » où des méthodes orwelliennes sont mises en œuvre pour arracher l’autocritique et la rétractation télévisées d’opposants pourtant résolus.

Cette redoutable continuité, de 1949 à 2019, du régime totalitaire chinois ne doit toutefois pas masquer une énorme discontinuité, celle qui est intervenue après la mort de Mao en 1976 et après la nomination de son successeur Deng Tchao Ping en 1979. 

Quels sont les grands axes politiques, économiques et idéologiques de cette fracture après 1979 ?

Le Parti Communiste Chinois sous Mao était très analogue au Parti Communiste d’Union Soviétique (PCUS) sous Lénine et Staline. Il avait beaucoup recruté dans les milieux populaires. Il se réclamait de la lutte des classes, de la révolution et de la construction du socialisme. Mao remplaça d’ailleurs sans délai le capitalisme par le collectivisme ( une économie qui est dirigée directement par l’Etat-Parti et qui est centralisée depuis les ministères). Le résultat fut désastreux et aboutit même à des catastrophes économiques et sociales comme la Grande Famine qui accompagna la politique dite du Grand Bond en avant (1958-1962). La survie même du Parti Communiste finit par être menacée lorsque, pour se maintenir au pouvoir en dépit de ses échecs, Mao lança la Révolution Culturelle (1966-1976) qui faisait appel au mouvement des Gardes Rouges pour le soutenir contre l’appareil du Parti Communiste.

Quand Deng succéda enfin à Mao, les cadres du Parti Communiste étaient tétanisés. Pour leur assurer que le PCC survivrait et conserverait le monopole du pouvoir, Deng leur fit admettre d’accepter et d’opérer quatre ruptures simultanées :

1) Deng et le PCC décident alors de basculer brusquement du collectivisme au capitalisme, sous la forme particulière du capitalisme d'Etat : l’économie est dorénavant organisée autour d’entreprises privées qui sont autonomes et qui recherchent le profit maximum ; toutefois, ces entreprises ne doivent jamais contrarier la stratégie du Parti et, en cas de conflit interne ou externe, elles doivent même se subordonner à la stratégie du Parti. Mais ce capitalisme d’Etat n’a pas besoin de se conjuguer à la démocratie ; il s’articule sans difficulté au régime politique totalitaire qui est maintenu intact ; au total, se forme une configuration nouvelle que l’on peut désigner comme « capitarisme ».

2) Par ailleurs, le PCC modifie brusquement son recrutement. Sa composition sociale qui s’articulait au projet collectiviste qui vient d’être abandonné n’est plus adaptée au capitalisme d'Etat fraichement installé : le PCC s'ouvre aux propriétaires et aux dirigeants des entreprises nouvellement apparues, aux officiers supérieurs, aux universitaires, aux ingénieurs et aux managers, aux scientifiques, aux artistes, aux professionnels de la santé.... En règle générale, c’est l’appareil du Parti qui prend l’initiative de proposer la cooptation aux personnes qu’il a préalablement ciblées au vu de leur compétence mais aussi de leur conformité politique. Et malheur à ceux qui, sollicités par le PCC, refuseraient de devenir membres du PCC. Grâce à ce processus, petit à petit, ce sont tous les "professionnels" de la Chine qui viennent se fédérer au sein du PCC (85 millions de membres).

3) Le PCC modifie totalement son projet fondateur et son idéologie : il n'est plus question de lutte de classe ni de construire le socialisme. Il est seulement question de construire une société dite harmonieuse. Le PCC entreprend de convaincre et en tout cas de faire admettre à la population chinoise que le régime politique totalitaire (combiné au capitalisme d’Etat) est le régime le plus approprié pour lui assurer la prospérité et pour redonner à la Chine le premier rang au monde. Tout son discours idéologique vise désormais à ce que la population chinoise accepte de renoncer à la démocratie, aux élections au suffrage universel et à toutes les libertés de base (droit d'association, droit d'expression, droit de réunion, droit de manifestation, droit de grève, droit de pratiquer la religion de son choix) et pour que la population se résigne à confier, totalement et définitivement, son destin au Parti Communiste. Le nouvel axe idéologique du PCC, c'est désormais la condamnation explicite de la démocratie et des droits de l’individu. C’est d’ailleurs cette détestation absolue de la démocratie qui amènera en 1989 le PCC à mettre fin dans le sang aux manifestations héroïques de Tian An Men

4) Enfin, le PCC procède à une quatrième rupture beaucoup moins connue. Il organise au début des années 80 une véritable dictature sur le prolétariat. De quoi s’agit-il ?Le remplacement du collectivisme par le capitalisme d’Etat a provoqué brutalement la fermeture de nombreuses usines en particulier dans les provinces intérieures. Les ouvriers et ouvrières concernés se retrouvent au chômage alors que n’existe aucun dispositif d’indemnisation. La règle, héritée des empereurs et maintenue par le PCC, c’est que les ouvriers et les paysans ne peuvent quitter sans autorisation préalable leur province natale pour ne autre province. Les provinces côtières stimulées par le capitalisme et les perspectives d’exportation connaissent un boom économique. Le PCC laisse faire les migrations massives de l’intérieur vers la côte tout en refusant d’octroyer les autorisations. Résultat ? Grâce à cela, l’industrie côtière dispose de millions de travailleurs qui sont des travailleurs sans papier, des mingong (240 millions de personnes). Ces adultes vivent loin de leurs parents et de leurs enfants. Ils sont le plus souvent logés dans de simples dortoirs à proximité des usines. Ils vivent et travaillent dans la crainte que le moindre faux pas les renvoie sans avenir dans leur province natale. Au total, ils se résignent à des salaires horaires de misère (très inférieurs même à ceux qui prévalent au Mexique). C’est cette surexploitation des ouvriers mingong qui explique le succès mondial des produits made in China et le succès de la stratégie commerciale internationale du PCC.

Au total, après ces quatre ruptures, la physionomie de la société chinoise en 2019 ne ressemble plus du tout à celle des années Mao (1949-1976). Le seul élément inchangé, c’est le monopole absolu du pouvoir politique dont dispose le PCC. A un régime totalitaire axé sur le collectivisme a succédé en 1979 un régime totalitaire axé sur le capitalisme d’Etat. Mais le totalitarisme est toujours là.

Pourquoi le parti cherche-t-il tant à revendiquer cette continuité malgré tout ?

Le PCC est mobilisé pour faire admettre sa légitimité à la population. La population sait trop bien que le Parti est tout-puissant mais il faut aussi lui faire admettre qu’il est omniscient, qu’il ne se trompe jamais. Dans les textes où le PCC analyse l’effondrement en 1989 du « parti-frère », le PCUS, il explique que l’autocritique de Staline opérée publiquement par Khrouchtchev à partir de 1956 a joué un rôle majeur. Le PCC en a tiré pour leçon qu’il ne faut jamais reconnaître publiquement les virages qu’il opère. Le Parti est passé en 1979 du collectivisme inspiré par Marx et Lénine à un capitalisme d’Etat violemment anti-ouvrier. Un virage historique considérable. Chut. Il faut tout masquer. C’est la raison pour laquelle Marx et Mao continueront à être vénérés officiellement. A n’en pas douter, si, dans le secret de son cerveau,  Xi retient encore un élément de la littérature marxiste, ce n’est certainement pas la construction du socialisme, ce serait bien plutôt la dictature du Parti que recommandait Marx.

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