Tous écolos sauf dans les urnes : aux racines de l’échec cuisant d’Europe Ecologie les Verts <!-- --> | Atlantico.fr
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Quelles sont les racines de l’échec cuisant d’Europe Ecologie les Verts ?
Quelles sont les racines de l’échec cuisant d’Europe Ecologie les Verts ?
©wikipédia

Vert pâle

A partir de jeudi et pendant 3 jours, les Verts ouvrent leurs Journées d'été à Villeneuve d'Ascq avec en ligne de mire la Conférence internationale sur le climat, mais aussi les élections régionales. Et le climat au sein d'EELV est tendu.

Daniel Boy

Daniel Boy

Daniel Boy est directeur de recherche (FNSP) au CEVIPOF et enseignant au master de Sciences Po notamment en analyse quantitative des données.

Ses recherches se sont développées dans trois domaines : la sociologie électorale, l’écologie politique en France et en Europe, les relations entre science, technique et société.

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Frédéric Dabi

Frédéric Dabi

Frédéric Dabi est directeur général adjoint de l'Ifop et directeur du pôle Opinion et Stratégies d’entreprise.

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Atlantico: Malgré une percée électorale lors des élections municipales de 2008 et des européennes de 2009 (16.28%), les écologistes n'ont pas su transformer l'essai au sein de l'opinion, et ce, alors même que la préoccupation écologique progresse chez les Français. Quelles sont les causes principales de cette situation ?

Frédéric Dabi : Il est important de distinguer les différentes élections qui existent en France. De fait, aux élections présidentielles l’essai n’est pas transformé (Les Verts peinent à atteindre 5% de vote), et la notion de "vote utile" profite bien sûr à la gauche. D’autre part, aux élections intermédiaires, il apparaît clair que l’influence Europe-Ecologie Les Verts se renforce. Sur ces dix dernières années, la tendance est sans appel : EELV a supplanté  le PCF, voire le FDG et s’impose comme deuxième force de gauche aux côtés du PS. Si, aux départementales il était compliqué de voir l’influence du parti en raison des différents binômes, les européennes de 2014 ont crédité EELV de 8% des votes. Cela nuance l’idée d’un petit parti.

Sur le plan comptable, l’essai n’a pas été transformé vis-à-vis de l’émergence d’Europe Ecologie en 2008-2009, mais si on s’interroge sur son poids électoral sur la durée, alors on constate qu’il a évolué depuis. Pour autant, si EELV donne l’impression de ne pas progresser, c’est en raison de l’importance de l’élection présidentielle en France. Il s’agit de l’élection matrice, de référence presque. Or, pour les motifs précédemment évoqués, c’est un scrutin qui reste très compliqué à aborder pour Europe Ecologie.

Ce qui ne veut pas dire que les écologistes ne jouissent pas d’une certaine influence : il existe bel et bien une préoccupation écologique chez les Français, quand bien même celle-ci a pu jouer des tours au parti. Les électeurs ont, notamment, le sentiment qu’EELV ne parle pas assez d’environnement. D’autre part, même si préempter une thématique est un atout, l’écologie est moins visible et suscite moins d’intérêt en période de crise. C’est, évidemment, un frein à une progression du parti tant dans l’opinion qu’en vue d’élections présidentielles.

Daniel Boy : Lorsque l’on observe les études d’opinion, le parti Europe écologie les verts a une image ambigüe  auprès des électeurs. Celle-ci s'explique par la contradiction visible consistant a avoir conclu des accords avec le Parti socialiste, lors des élections présidentielles ou législatives par exemple, et dans le même temps d'être en opposition avec le gouvernement.

Cette contradiction est principalement motivée par une approche électoraliste : sans l'appui des socialistes, les Verts ne seraient pas en mesure d’obtenir des sièges. Grâce à eux, ils bénéficient d’un groupe au Parlement. On observe ce phénomène concrètement, lorsque par exemple Mme Duflot déclare soutenir la manifestation contre l’aéroport de Nantes, alors même qu’elle était ministre du gouvernement à l’initiative du projet…

Ce grand écart entre la volonté du pouvoir et une sympathie idéologique vers la gauche de la gauche est nettement perçu dans l'opinion, et en constitue la principale faille. L’un des effets de cette ambiguïté est que le parti EELV se distingue sur des sujets qui ne sont pas nécessairement liés à l’environnement. Ainsi, la sortie du gouvernement s'expliquait par des divergences avec Manuel Valls, jugé trop à droite, pourfendeurs des Roms etc. De même, leurs communiqués de presse EELV sont teintés par les questions environnementales, mais celles-ci sont parasitées par l’injection de concepts et de propositions qui découlent du libéralisme culturel par exemple.

Dans un entretien aux journaux du groupe Ebra, le député d'Europe Ecologie-Les Verts Barbara Pompili n'exclut pas une scission au sein du parti, ce dernier étant tiraillé entre partisans et adversaires d'une participation au gouvernement. Quelles seraient les conséquences d'une scission ? EELV a-t-il besoin du PS pour exister sur la scène politique française ? La participation au gouvernement a-t-il été une erreur ?

Frédéric Dabi : Pour l’heure, la scission n’est pas faite et il est donc compliqué d’évoquer de potentielles conséquences. Cependant, Barbara Pompili mets le doigt sur la situation très compliquée que connait actuellement Europe Ecologie Les Verts. Une situation à la fois compliquée, et également extrêmement spécifique : depuis  2014 et le départ de Cécile Duflot du gouvernement, on remarque la création de deux lignes au sein d’EELV. D’un côté, certains sont partisans d’un rapprochement avec le PS, voire d’une participation au sein du gouvernement (de Rugy, Placé, Pompili, entre autres), tandis que d’autres se reconnaissent plus dans la ligne indépendantiste prônée depuis les années 90 (et qui implique potentiellement un affrontement avec le PS, un rapprochement avec le Front de Gauche). De son côté, Emmanuelle Cosse tente d’incarner une synthèse. Judicieusement, elle ne s’est pas prononcée sur la sortie des Verts du gouvernement.

Mais le plus préjudiciable, c’est ce décalage entre les souhaits, les désidératas des sympathisants (différents des militants) et la ligne actuelle d’EELV. Il n’y a plus un seul représentant d’Europe Ecologie au gouvernement, mais pourtant 80% des sympathisants souhaitent voir des écologistes y participer. Ils sont 12% à préférer qu’Europe Ecologie soutienne certains des projets du gouvernement sans en faire partie tandis qu’ils sont seulement 8% à vouloir une confrontation avec le PS et un rapprochement avec le Front de Gauche. Ce qui s’avère cohérent dans la mesure où, dès le départ des ministres écologiques du gouvernement, les sympathisants regrettaient majoritairement cette décision. Cécile Duflot, qui incarnait ce départ, l’a sévèrement payé en termes de popularité. Ce constat est un fait, et les conséquences d’une scission seraient, par conséquent, très préjudiciables à Europe Ecologie Les Verts : cela matérialiserait l’un des points faibles du parti. Il jouit d’une image plutôt sympathique auprès des français et, plus encore, auprès des sympathisants de gauche. EELV, c’est un agitateur d’idées, un parti dynamique, qui propose des idées, débat… Mais aussi et surtout un parti désuni.

Une scission mettrait l’emphase sur les conflits larvés qui rongent le parti et les ferait éclater au grand jour. Seuls 22% des Français estiment qu’Europe Ecologie est un parti dont les acteurs sont unis et cohérents dans leurs prises de décisions. C’est un score catastrophique ! Même le PS ou les Républicains (tous deux rongés par des rivalités) semblent plus unis. Une vraie scission assumée, qui passeraient par la fondation d’un second parti, ce serait fondamentalement préjudiciable. D’autant plus à 3 mois des régionales, qui représentait un score important (12% sur le plan national) aux élections de 2010.

L’alternative à laquelle fait face EELV aujourd’hui, c’est le choix entre le PS et le Front de Gauche. Construire en 2016 un accord analogue à celui de Jean-Vincent Placé et Martine Aubry (qui a été très favorable puisqu’il a permis un groupe parlementaire que les écologistes n’avaient jamais connu), ou la tentation d’incarner une gauche alternative aux côtés du FdG. Il est important de savoir si EELV peut être un réceptacle des déçus du gouvernement. Depuis 2012, la réponse semble être négative : les défaites successives du PS n’ont pas profité aux forces alternatives de gauche. Les électeurs de gauche déçus du gouvernement ne sont (essentiellement) pas allés voter.

Daniel Boy : Je ne pense pas que cela a été une erreur dans la mesure où les études montrent que les sympathisants ne sont pas opposés à une participation au gouvernement, quand bien même elle mettrait en oeuvre une politique libérale. D’autant que les Verts au pouvoir ont réussi à faire passer des lois, comme la loi de transition énergétique, participer à l’action publique. Le problème de l’écologie politique des Verts est de faire passer des réformes dans la réalité. Mais ils sont sortis du gouvernement précisément au moment où il fallait finaliser cette loi, dont Ségolène Royal a repris le flambeau (et les bénéfices ?) aujourd’hui.

Pour toutes les raisons précédemment évoquées, une scission de parti avec le PS serait extrêmement compliquée à mettre en œuvre sans trop perdre au passage. Un parti ne se réduit pas à ses idées, c’est aussi une machine, qui comme une entreprise, doit atteindre des objectifs, et a des frais de fonctionnement. Et une alliance avec le FdG pour les législatives par exemple semble compromise en sachant que le PS a eu beaucoup de mal à former ses listes. Il ne resterait au mieux que les quelques députés qui peuvent compter sur leur assise locale, à l’instar de Noël Mamère.

Qui sont encore les électeurs écologistes ? Distingue-t-on des profils particuliers, ou des territoires plus favorables au mouvement? Quel est le potentiel de progression du parti EELV ?

Frédéric Dabi : En dépit du fait qu’Europe Ecologie Les Verts existe très difficilement aux élections présidentielles (une candidature de Cécile Duflot ferait 3% d’après le sondage que nous avons réalisé en fin juillet pour RTL), un vrai électorat existe. La structure du vote EELV, lors du dernier scrutin, présente de vraies performances sur certains segments de la population. Les femmes, plus que les hommes, mais également les jeunes (- de 35 ans), les cadres supérieurs (EELV atteint des scores entre 12 et 15%), ainsi que les grandes aires urbaines. En revanche, deux catégories restent opposées au vote Europe Ecologie : les personnes âgées et les catégories populaires, davantage au FN ou PS. L’influence d’EELV sur ces catégories de population reste très marginale. Fondamentalement, les catégories où Europe Ecologie surperforme ressemblent plus à un schéma du vote socialiste qu’à un schéma du vote Front de Gauche.

On assiste, depuis 2012, à un contexte d’affaiblissement général de la gauche. Par conséquent, il sera très difficile de rééditer la bonne performance de 12.5% aux élections régionales. Il faut s’attendre à la perte potentielle d’élus, d’autant plus qu’EELV s’ancre dans un principe d’alliances à configurations variables. Certaines listes seront indépendantes (comme celle d’Emmanuelle Cosse à Paris en 2010), d’autres seront construites avec le Front de Gauche et d’autres encore, avec le PS. La stratégie d’EELV est illisible pour beaucoup d’électeurs, et les deux lignes évoquées laissent les Français circonspects. Il est donc difficile de donner une idée du potentiel de progression.

Daniel Boy : Il y a toujours eu des territoires plus écologistes que d’autres. La région Rhône Alpe est un territoire où les idées écologistes trouvent indéniablement un écho favorable. Les électeurs se trouvent aussi souvent dans les grandes villes universitaires telles que Nantes, Bordeaux, Paris… D'ailleurs, la première caractéristique des électeurs écologistes ont un niveau d’étude nettement plus élevé que dans les autres électorats. Il est également un peu plus jeune, même si ce n’est pas considérable, et il n’est pas forcément plus féminin que masculin, contrairement à ce que l'on peut penser.

Son potentiel de progression ? Tout dépend de sa stratégie. Mais on observe des cycles qui sont plus ou moins favorables à l’écologie. Aujourd’hui, on pourrait dire qu’elle l’est, car le réchauffement climatique fait l’objet d’un agenda soutenu au gouvernement mais aussi sur la scène politique internationale. A l’inverse, les séquences de crise économiques leurs sont défavorables comme actuellement chez nous, les industries sont au cœur de la création d’emploi, de la richesse nationale etc.

Quand on regarde son évolution, on peut dire que EELV a bien progressé lors des élections locales, mais il lui reste à prouver qu’il peut obtenir des résultats importants par lui-même, aux élections législatives et même présidentielles si possible.

Quelle est la capacité de nuisance politique d'EELV envers François Hollande dans la course à la présidentielle de 2017, François Hollande peut-il se permettre une telle candidature à gauche ? Dans quelle mesure des électeurs déçus du PS pourraient être séduits par le parti écologiste ?

Frédéric Dabi : Du point de vue de François Hollande, comme du PS, l’objectif pour 2017 est d’avoir un champ politique le moins encombré possible à gauche. Marine Le Pen peut se vanter de très bons scores aujourd’hui et la tripolarisation FN-Républicains-PS créé un champ politique extrêmement dégagé à gauche, quand bien même une candidature de Mélenchon semble inévitable. Si Cécile Duflot pèse peu, 2 à 3%, ce sont peut-être ces quelques voix qui manqueront au candidat socialiste pour passer au deuxième tour. Assister à un deuxième 21 avril, au détriment de la gauche, serait un nouveau coup de tonnerre. Je ne parlerais donc pas de capacité de nuisance, d’autant plus quand on regarde les enquêtes, on s’aperçoit que la part des électeurs ayant voté pour François Hollande en 2012 et qui sont prêts à voter pour Duflot au premier tour en 2017 est marginale : cela ne représente guère que 6%. Soit tout juste un point. Une configuration où Cécile Duflot serait absente (ou une candidate écologique absente) permettrait à François Hollande d’avoir un score un peu supérieur. Plus l’espace politique sera dégagé à gauche, plus le candidat socialiste aura de chance d’être élu. Si ça n’est pas le cas, EELV sera peut-être en état de négocier. Néanmoins, au vu des ambitions de Cécile Duflot, il est impossible de dire si le parti accepterait un accord de 2011 amélioré contre la promesse du retrait d’une candidature. 

Daniel Boy : Les candidatures écologistes ne font que quelques pourcents… Et cela s’explique par le fait que les électeurs écologistes sont aussi bien souvent des électeurs socialistes. On observe de nombreux transferts de ce type. Avec la jurisprudence de 2002, où la gauche n'a pas réussi à accéder au second tour, les électeurs PS-Verts ne sont pas incités à voter pour EELV et donner une chance à la droite et à l’extrême droite de s’affronter. Le risque de ne pas avoir de candidat de gauche au second tour inhibe l’adhésion aux Verts.

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