Tour d'Europe des campagnes pour les Européennes : direction l'Italie<!-- --> | Atlantico.fr
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Beppe Grillo.
Beppe Grillo.
©Reuters

Et chez vous, comment ça va ?

Deuxième étape de notre tour d'Europe des campagnes pour les élections européennes : l'Italie, dont l'avenir économique dépend particulièrement de l'Europe. Les sondages confirment la montée en puissance du Mouvement cinq étoiles de Beppe Grillo qui prône "une autre Europe" à travers, notamment, un référendum sur l'euro.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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>>> Premier épisode à lire sur Atlantico : Tour d’Europe des campagnes pour les Européennes : direction l’Allemagne

>>> Troisième épisode à lire sur Atlantico : Tour d’Europe des campagnes pour les Européennes : direction le Royaume-Uni

Atlantico : A l'approche des élections européennes, quels sont les principaux thèmes qui occupent les débats en Italie ? Par quels partis sont-ils portés, et sont-ils focalisés sur l'Europe en elle-même, ou bien les préoccupations d'ordre national prévalent-elles ?

Christophe Bouillaud : Il me semble que le mélange entre préoccupations italiennes et préoccupations européennes est intextricable dans cette campagne : tous les grands partis parlent pour une fois d'Europe, ou plutôt de la place de l'Italie en Europe, du rapport entre politiques publiques suivies en Italie et insertion du pays dans l'ensemble européen, et, en même temps, l'élection est jouée comme une élection nationale qui va déterminer le sort du gouvernement, les rapports de force entre grands partis pour les mois à venir, et enfin la capacité de survie de toute une série de petites et moyennes entreprises politiques. Ce second effet est renforcé par la concomitance d'élections locales dans certaines villes (comme lors des élections précédentes de 2009). Le principal thème est donc double : les dirigeants italiens peuvent-ils et doivent-ils intervenir sur le policy mix choisi au niveau européen ? L'Italie peut-elle s'adapter aux choix qu'imposent, ou semblent imposer, l'insertion du pays dans l'Union européenne ? En gros, les questions sont : comment faire pour sauver l'Italie (l'économie italienne) dans l'euro ? Peut-on changer l'euro pour sauver l'Italie ? 

Quelles sont les forces en présence, et à quels résultats s'attend-on ? 

Les trois forces principales en présence sont : le Parti démocrate (PD), centre-gauche, dirigé par Matteo Renzi qui cumule la fonction de chef du gouvernement et de chef du parti ; le nouveau parti de Silvio Berlusconi, qui a repris l'ancien nom de "Forza Italia" (FI) (1994-2008) et qui est toujours dirigé par ce dernier bien qu'il soit sous le coup d'une condamnation pénale définitive et qu'il soit même censé purger sa peine sous forme de "travaux d'intérêt général" dans une maison de personnes âgées (sic !) ; et enfin, le "Mouvement 5 Etoiles" de Beppe Grillo, le comique gênois devenu homme politique, le critique le plus radical qui puisse être de tous politiciens italiens. 

Le PD assume une politique pro-européenne qui vise à faire les réformes structurelles demandées par l'UE et à respecter les critères de Maastricht, tout en critiquant par ailleurs le policy mixeuropéen, encore trop austéritaire à ses yeux. Silvio Berlusconi semble avoir décidé de faire une campagne "anti-allemande", avec une critique de l'austérité à l'allemande imposée à l'Europe, avec une tonalité trés souverainiste, et de séduire son électorat de personnes âgées en leur promettant quelques avantages sociaux supplémentaires. Beppe Grillo continue à critiquer la façon dont l'euro est géré et accuse pour l'heure essentiellement le PD de faire des réformes inutiles, absurdes, anti-sociales, etc. Tous les grands partis sont donc en fait d'accord pour dire que la façon dont l'Europe a été gérée n'est pas la bonne. C'est un peu "haro sur Angela M." ! Le conflit proprement national par contre oppose les Anciens (PD et FI) - les partis - et les Modernes (M5S) - le parti anti-partis - : en effet, la position de FI est un peu difficile à expliquer. Officiellement, FI n'a pas voté la confiance au gouvernement Renzi contrairement  à une partie de ses dissidents, mais il est d'accord avec les réformes institutionnelles que ce dernier veut mettre en oeuvre, et n'est pas très incisif dans son opposition par ailleurs au gouvernement Renzi. Il reste d'ailleurs localement allié aux gens de droite et du centre qui ont quitté FI fin 2013 pour soutenir le gouvernement Renzi. Inversement, le M5S ne cesse d'insulter le PD et d'accuser son chef d'être le plus grand bonimenteur de l'histoire italienne, après le "repris de justice" Berlusconi bien sûr. Selon les sondages, le PD serait nettement en tête avec un peu plus de 30% des suffrages, FI et le M5S seraient eux autour de 20%. En l'état, cela voudrait dire que, d'une part, FI serait durablement affaibli, et que, d'autre part, le M5S ne serait pas seulement un feu de paille lors d'une élection unique (celle des élections politiques de février 2013). On s'orienterait donc vers un changement durable et inédit des rapports de force. Ensuite, toute une série de partis tentent de survivre ou de renouer avec le succès lors de ces élections : il y a d'abord la "Ligue du Nord", dans l'opposition depuis fin 2011, qui tente de jouer à fond la ligne anti-européenne (qui est la sienne depuis 1999, mais qui ne l'a pas empêché de voter la ratification du Traité de Lisbonne en 2008) ; il y a des gens qui essayent de ressusciter un parti post-néo-fasciste sous le nom de "Frères d'Italie - Alliance nationale" (Fd'I-AN) ; il y a des centristes pro-européens qui essayent de se compter après le semi-retrait de la vie politique de Mario Monti, qui se sont alliés avec le "Nouveau centre droit" (NCD) d'Angelino Alfano qui participent au gouvernement Renzi et qui veulent montrer qu'il existe un avenir au centre-droit sans Berlusconi ;  il y a d'autres centristes très minoritaires a priori qui sont devenus anti-européens au nom des valeurs chrétiennes ; il y a enfin des partisans de la gauche de la gauche, qui essayent de faire exister en Italie la candidature d'Alexis Tsipras (candidat du Parti de la gauche européenne pour le poste de Président de la Commission). Vu le mode de scrutin (changé en 2009), toutes les petites forces risquent de ne pas avoir d'élus, mais elles tentent toutes leur chance. Du coup, l'élection européenne ressemble à y regarder de prés une révision générale de l'histoire partisane italienne, ancienne et récente.

A quel niveau de mobilisation s'attend-on ? Qu'est-ce qui incite (ou au contraire décourage) les électeurs italiens à se mobiliser ?

La mobilisation avait déjà été faible en 2009, les élections politiques de février 2013 avaient connu un record d'abstention, les élections locales qui ont suivi de même, on devrait retrouver cette même tendance à la baisse de la participation électorale en Italie cette année, même si le débat tourne beaucoup plus sur l'Europe qu'en 2009, même si la campagne électorale me parait plus longue, plus intense, plus sérieuse qu'en 2009. Le niveau de la mobilisation devrait être surtout déterminant pour les résultats : selon un sondage, FI avec son leader de 77 ans serait encore apprécié par les vieux électeurs (plus de 65 ans), et le M5S aurait du succès chez les jeunes (moins de 29 ans). Or on sait que les jeunes ont  tendance à ne pas aller voter... Cela peut jouer donc sur le résultat : les forces les plus soutenues par les électeurs de plus de 40 ans auront sans doute de meilleurs résultats que les forces votées par les moins de 40 ans. Ces différentiels de participation par âge, s'ils se confirment, montreront aussi à quel point le système démocratique est malade en Italie. 

Qu'en est-il des partis dits eurosceptiques ? Pourraient-ils, comme cela devrait-être le cas en France, effectuer une percée ? On se souvient notamment du parti de Beppe Grillo qui avait remporté un certain succès aux législatives de 2013 ; joue-t-il un rôle, ou exerce-t-il une influence dans ces élections ?

Comme je l'ai déjà dit, à en croire les sondages, le M5S de Beppe Grillo pourrait réussir à se maintenir comme une force importante de la vie politique italienne un peu au delà de 20% des suffrages. Bien sûr, il faudra que les possibles (jeunes) électeurs du M5S prennent la peine d'aller voter, sinon cela serait un échec pour ce parti. Le M5S joue un rôle important dans cette élection, ne serait-ce que parce que sa propre survie est en jeu, et aussi parce qu'il est la voix la plus critique de la politique menée par le gouvernement Renzi. 

Pour ce qui de l'euroscepticisme, il faut définir le terme : si par ce dernier, on entend dire qu'un parti critique l'Europe ou une politique publique menée sous l'égide de l'Union européenne (comme par exemple la zone Euro) sous l'un ou l'autre de ces aspects, il faut bien se rendre compte que tous les partis italiens critiquent l'état actuel de l'Europe, de ce point de vue, le score cumulé des eurosceptiques sera donc de 100% des voix en Italie ! - ce qui correspond par ailleurs au fait que plus de 95% des Italiens pensent que la situation économique du pays est mauvaise ou très mauvaise. Si on entend par contre par le terme d’eurosceptique le fait que les futurs élus d'un parti au Parlement européen se situeront très probablement dans l'opposition à la future Commission européenne, on ne trouve a priori dans ce cas, si on se limite aux listes ayant une chance raisonnable d'avoir des élus, que les possibles élus de la Liste Tsipras (Parti de la gauche européenne), ceux de la Ligue du Nord, et enfin ceux du M5S. En effet, aussi bien le PD que FI rattachés respectivement au PSE et au PPE seront sans doute dans la future majorité européenne, de même que les possibles élus centristes (de tendance post-Berlusconi ou post-Mario Monti). C'est donc tout le paradoxe : une électorat italien, plutôt désenchanté par l'Europe actuelle et ses politiques publiques, va envoyer siéger en pratique à Bruxelles une majorité d'élus qui, au delà de leur volonté affichée de tout changer, vont sans doute reconduire les politiques publiques menées depuis toujours par l'Union européenne. Sauf immense surprise électorale - qui signifierait que tous les sondages se trompent-, les vrais opposants eurosceptiques (M5S, Ligue du Nord, etc.) obtiendront une minorité des élus italiens, et aucun n'arrivera en tête du scrutin.

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