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Toujours plus de lois pour la protection des enfants, toujours plus d’enfants malheureux : que nous arrive-t-il ?
©JOEL SAGET / AFP

Enfant roi et déprimé

Le secrétaire d’État à la protection de l’enfance Adrien Taquet a présenté, jeudi 4 mai, les grandes orientations de sa réforme de la protection de l’enfance. Une nouvelle loi pour protéger l'enfant... qui ne va pas mieux pour autant.

Florence  Millot

Florence Millot

Psychologue pour enfants.

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Nathalie Nadaud-Albertini

Nathalie Nadaud-Albertini

Nathalie Nadaud-Albertini est docteure en sociologie de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) et et actuellement chercheuse invitée permanente au CREM de l'université de Lorraine.

 

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Atlantico : Nous sommes dans une époque où d'un côté l’enfant est surprotégé, et de l'autre où il souffre de plus en plus de troubles psychologiques, de rejet scolaire, de mal-être, d'auto-mutilation... Par ailleurs, l'enfant devient de plus en plus un objet d'attention majeur. En quoi y-a-t-il aujourd'hui un paradoxe ?

Florence Millot : On réfléchit de plus en plus sur les questions de bienveillance, notamment à partir des neurosciences et du mouvement de la pédagogie positive, mais on est, à mon sens, arrivé dans un idéal d'éducation où tout est centré sur l'enfant, les besoins de l'enfant, sans forcément prendre en compte les besoins du parent en termes de fatigue, faisabilité, histoire personnelle, parce que tout le monde n'est pas capable de donner autant de bienveillance en fonction de son vécu. Il y a donc un idéal extérieur aux parents, un peu comme des règles d'éducation, des bonnes phrases à dire, des attitudes à avoir qui sont déconnectées de son corps et de ses capacités, ce qui crée une forme de tension intérieure : le parent a un idéal en tête mais n'y parvient pas, culpabilise, a l'impression d'être un mauvais parent et qu'il n'a pas donné le meilleur à son enfant. En plus de la culpabilité naturelle des parents, on vit dans une société pleine de stress et de peurs au niveau des médias (chômage, attentats etc.) Les deux font qu'il y a une peur chez les parents qui ont envie d'être bienveillants, de donner le maximum à leurs enfants et de l'autre côté, les enfants comprennent qu'il y a une raison d'avoir peur à travers le comportement de ses parents. La face immergé de l'iceberg c'est la bienveillance, mais celle-ci n'empêche pas toutes les peurs, les doutes et les angoisses des parents de se multiplier. Aujourd'hui, le parent se tait, essaie de mettre un chapeau sur sa colère et son énervement quand l'enfant n'écoute pas, et en même temps il s'efforce de dialogue avec lui, éviter de lui refuser des choses etc. L'enfant a aussi besoin d'un parent fort pour grandir, pas forcément besoin que le parent dialogue pour tout avec lui. Il a besoin d'un parent qui vit toutes ses émotions : de la colère à la tendresse.

Nathalie Nadaud-Albertini : En surprotégeant l'enfant, on lui empêche de se souder au principe de réalité. De l'autre côté, son mal-être vient du fait que pour se structurer l'enfant a besoin de savoir ce qu'il peut faire ou non, il a besoin de limites et du principe de réalité. Sinon on se noie dans une espèce de magma d'émotions, de sentiments et au bout d'un moment, comme il n'y a pas de principe de régulation, l'enfant se sent perdu devant le chaos intérieur dont il souffre. Un enfant a besoin de modèle à suivre pour savoir comment se comporter dans la vie, en dehors du cocon familial. Il a besoin d'une éducation qui le respecte en tant que personne à la fois sur le plan physique et psychologique et qui lui explique aussi comment faire, mais qui en même temps doit le laisser faire. Le plus difficile pour un parent, c'est qu'il faut savoir laisser tomber un enfant (sur le modèle essai-erreur) : il faut qu'il fasse l'expérience de l'échec, de la souffrance etc. Dans le contexte actuel, le rôle des parents se complexifie : avec l'interdiction de la fessée, on est en train de se séparer des anciens modèles éducatifs qui étaient des modèles très autoritaires, rigides, qui fonctionnaient sur la violence et non sur un rapport de personne à personne. Aujourd'hui, on entre dans une éducation plus empathique, interpersonnelle, davantage dans la pédagogie et l'explication. Les parents cherchent le modèle qui réunit tous ces impératifs, et ils ont souvent les angoisses du "bien faire". Quand son parent est angoissé, un enfant le sent et cela se répercute chez lui, et il partage cette angoisse. On est à un moment de redéfinir un modèle éducatif : on n'a pas de catégorie de pensée pour envisager ce que va être vraiment le modèle qui va venir. Le risque d'une éducation, c'est d'être soit trop autoritaire soit trop laxiste. Il faut avoir un peu d'inventivité pour stimuler l'enfant, le confronté à des difficultés sans l'inquiéter pour autant.

En surprotégeant un enfant, n'aura-t-il pas du mal par la suite avec le monde extérieur ? N'est-ce pas ca qui est à l'origine de ce paradoxe ?

Florence Millot : Aujourd'hui, on donne tellement place aux émotions que cela devient angoissant. On est dans la course au bonheur : l'enfant doit être parfait, heureux, ait confiance en lui, soit bon à l'école : c'est trop. On met aux enfants une chape de plomb dès la maternelle. Si on dit à un enfant de tout faire pour qu'il soit fort, confiant, doué dans l'avenir, c'est parce qu'on a justement peur qu'il n'y arrive pas. Un parent qui survalorise un enfant a surtout peur qu'il n'y arrive pas. Le message est une sorte de double contrainte : je veux que tu réussisses, je vais t'en donner les moyens ; parce que j'ai peur que tu échoues, parce que je n'ai pas suffisamment confiance en toi. Quand on a confiance en un enfant, on n'a pas besoin de le surprotéger, le survaloriser etc.

De nos jours, les réseaux plongent l'enfant devant des réalités crues, mais de l'autre côté, les parents et l'école le rassurent et lui expliquent le réel. Qu'on le veuille ou non, c'est aussi de leur responsabilité. Tout est expliqué aux enfants, et ce n'est pas forcément une façon de les protéger que de le faire parce que cela les pousse à se poser des questions qu'ils n'auraient jamais eu à se poser sans cela. Il faut savoir quelque chose : l'enfant n'écoute pas ce que le parent dit, mais la façon dont le dit le parent, le langage corporel etc.

Nathalie Nadaud-Albertini : Certes, en le surprotégeant l'enfant aura du mal avec le monde extérieur : il risque de prendre le principe de réalité en pleine figure. Il faut absolument qu'il soit préparé. Cependant, la surprotection n'est jamais qu'une réaction à l'ancien modèle, très dirigiste et violent : c'est une façon de s'en dégager. Quand on surprotège un enfant, on a toujours le modèle ancien en tête comme anti-modèle : on essaie de faire exactement l'inverse. Ce faisant, on le garde toujours en référence. C'est très difficile de penser un modèle éducatif indépendamment des autres.

Pour finir, comment trouver le bon curseur et rétablir une autorité qui semble nécessaire ?

Florence Millot : Il faut avant tout éviter de surprotéger un enfant. Si on cherche à surprotéger l'enfant, cela lui donne inconsciemment le message que le monde est dangereux. Et si le monde est dangereux, c'est normal qu'il ait peur. Les parents ne doivent pas céder à la peur : il faut qu'ils transmettent des messages de confiance et non de peur. Dans la réalité, les parents font ce qu'ils peuvent. Le plus important est qu'un parent s'excuse quand il dépasse les bornes et dire que ce n'est pas le comportement adéquat. Il faut que le parent et l'enfant s'engagent dans une relation de discussion etc.

Il n'a jamais été aussi dur d'être parent. On a l'impression qu'une parole ou un geste pourrait traumatiser à vie et peut avoir des conséquences importantes, même s'il s'agit d'un acte négligeable.

Nathalie Nadaud-Albertini : Là est toute la difficulté. Je prends un exemple. Une femme a un enfant impossible. Elle était assez perplexe devant le comportement de cet enfant et la maîtresse lui a proposé la "météo du comportement" : il s'agit de montrer à l'enfant comme se situe son comportement. S'il est dans quelque chose de respectueux vis-à-vis des autres, le temps est au soleil ; à l'inverse, s'il est insolent et désagréable, il faut lui montrer l'orage. Etonnamment, cela permet à l'enfant de saisir ce qu'il est en train de faire. La météo du comportement n'est pas agressive : c'est une façon de lui faire prendre conscience de ce qu'il fait. C'est vers des méthodes comme celles-là qu'il faut se diriger : faire preuve d'imagination et s'adapter à l'enfant. Parfois, ce qui fonctionne chez un enfant ne fonctionne pas avec un autre. Il faut réussir à connaître son enfant pour trouver le bon moyen de lui apprendre à la fois se respecter, respecter les autres, se structurer afin de comprendre qu'il y a des limites à ne pas dépasser sans soi-même lui montrer un mauvais modèle, en étant violent soit en acte soit en paroles etc. Quand on crie sur son enfant, on lui montrer que celui qui a le pouvoir a tous les droits sur les autres : ce n'est pas une position intelligente. C'est en adoptant un mode d'éducation à mi-chemin entre les deux que cela peut fonctionner.

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