TikTok, ce nouvel instrument de conversion à l’islam… et à l’antisémitisme<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Société
TikTok est majoritairement utilisé par les plus jeunes.
TikTok est majoritairement utilisé par les plus jeunes.
©MANJUNATH KIRAN / AFP

Viralité

TikTok est une plateforme avec une population d’utilisateurs plutôt jeunes, et son format de partage assure sa viralité. TikTok est donc un lieu incontournable pour « convaincre » et « recruter ».

Véronique Reille Soult

Véronique Reille Soult est présidente de Backbone Consulting, experte de l'opinion et de la gestion de crise. Elle a notamment publié "L'ultime pouvoir - La vérité sur l'impact des réseaux sociaux" (2023) aux éditions du Cerf.

Voir la bio »
Malik Bezouh

Malik Bezouh

Malik Bezouh est président de l'association Mémoire et Renaissance, qui travaille à une meilleure connaissance de l'histoire de France à des fins intégrationnistes. Il est l'auteur des livres Crise de la conscience arabo-musulmane, pour la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol),  France-Islam le choc des préjugés (éditions Plon) et Je vais dire à tout le monde que tu es juif (Jourdan éditions, 2021). Physicien de formation, Malik Bezouh est un spécialiste de la question de l'islam de France, de ses représentations sociales dans la société française et des processus historiques à l’origine de l’émergence de l’islamisme.

Voir la bio »
Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

Voir la bio »

Atlantico : De plus en plus de vidéos sont visibles sur TikTok pour se convertir à l'islam. Est-ce un phénomène nouveau ? Sont-elles apparues récemment ? 

Véronique Reille-Soult : Ce phénomène n’est pas nouveau. En 2013, avant même l’arrivée de TikTok, on parlait déjà de jeunes convertis à l’Islam sur les réseaux sociaux. Une affaire de fugue d’une jeune femme de 15 ans avait même défrayé la chronique cette année-là. La jeune femme, originaire de Mulhouse, après avoir adopté la religion musulmane en surfant sur les réseaux sociaux avait fugué pour retrouver à Valence son "mari" de 28 ans épousé par téléphone.
En 2020, les chiffres montraient clairement que les vidéos liées aux religions rencontraient déjà un réel succès. Sur TikTok, ce phénomène était particulièrement notable car on comptabilisait 9 milliards de citations du hashtag #ChristianTikTok  et 2 milliards pour #Diwali (Fête des lumières indienne pratiquée par les hindous, les sikhs et les jaïns) et plus de 60 milliards pour #Islam. 
En 2022 les influenceurs partageaient aussi leur conversion à l’islam, comme l’anglais Andrew Tate.

La bascule ne s’est pas faite le 7 octobre mais plutôt au moment du Covid et du confinement, les jeunes étant à la recherche de cadre et de partage communautaire.

Vous qui étudiez le "bruit" sur les réseaux sociaux. Comment sont accueillies ces vidéos ? Sont-elles partagées massivement  ? Ont-elles ont du public ? 

Véronique Reille-Soult : Le lieu où les vidéos sont partagées de façon massive est TikTok. On note que les vidéos ultracourtes promouvant une approche rigoriste de l’islam sont parmi les plus partagées. Elles utilisent les codes de la plateforme en mêlant conseils voire recommandations rigoristes, traits d’humour, mises en scènes, références musicales et développement personnel. Un mixte qui assure la viralité et qui confère à ces vidéos une force de conviction. Le public est là, avide de partager. Le principe du partage se faisant souvent dans un esprit positif pour « te faire du bien » et pour « aider l’autre » en apportant des solutions qui semblent inspirantes et qui « changent la vie en apportant du sens ».

La lettre à l’Amerique d’Oussama Ben Laden écrite il y a plus de 20 ans a récemment fait un carton sur TikTok. L’Islam a-t-il fait une percée sur ce réseau social ? Comment le mesure-t-on?

Véronique Reille-Soult : Là encore c’est le « changement de vie » par la lecture ou le visionnage d’informations mise en scène qui explique la viralité de cette « lettre ». Très peu l’ont réellement lue mais énormément l’ont partagée. Pour identifier la percée de l’islam sur TikTok, 4 mesures sont à étudier. Tout d’abord le nombre de vues évidemment, indicateur de l’intérêt, de la popularité et de l’audience d’un contenu. Ensuite il faut étudier le nombre de messages et commentaires engagés et positifs avec recommandations à la suite des vidéos. La troisième mesure porte sur le nombre de vidéos et messages initiaux. Cette mesure est importante car que les vidéos soient très vues ou non leur multiplicité est un indicateur puissant. La multiplicité multiplie les opportunités de visibilité du sujet. Enfin la dernière mesure est le nombre d’occurrence des # liés au suejt et à la thématique. Sur chacun de ces indicateurs les chiffres sont en constante croissance, le plus notable étant le nombre de commentaires et l’engagement à la suite des différentes publications sur l’islam, qu’elles soient publiées par des influenceurs reconnus ou par des anonymes.

Pourquoi cette percée de l'Islam sur Tik Tok ? Parce que c'est un réseau social qui s'adresse aux jeunes ? Est-ce stratégique ? 

Véronique Reille-Soult : Ces vidéos et « consignes » sont souvent perçues dans une logique de développement personnel et donnent un cadre qui est un besoin que de plus en plus de jeunes ressentent. Effectivement TikTok est une plateforme avec une population d’utilisateurs plutôt jeunes, mais c’est surtout le format de partage qui assure la viralité. TikTok est donc un lieu incontournable pour « convaincre » et « recruter ». C’est une vitrine efficace et persuasive où des publics assez incultes sur ces sujets sont ouverts à la découvertes et demandeurs de connaissances nouvelles et surtout partagées. Ils vérifient peu ou pas ce qui leur est dit et en font un sujet de conversation valorisant.

Une enquête démontre également que TikTok, où le #FreePalestine est le plus partagé, serait un moteur important de la montée de l'antisémitisme. Qu'en est-il ?

Véronique Reille-Soult : Ce n’est pas tant que l’antisémitisme soit plus élevé sur TikTok qu’ailleurs mais les conditions de son expression y sont plus simples et donc plus propices à son développement. Lieu de légèreté et de partage de vidéos attractives qui se transforme en lieu de conscience par l’émotion. En 2022, un usager passait en moyenne plus de 1 h 30 par jour sur la plateforme TikTok, on imagine donc la capacité de conviction possible à travers les vidéos et messages partagés. Dans son étude récemment publiée, le Kaggle (communauté mondiale de data scientists) observait que « passer au moins 30 minutes par jour sur TikTok augmenterait de 17 % la probabilité de développement d’opinions antisémites chez l’utilisateur » (contre 6 % pour Instagram et 2 % pour X). Le format direct et addictif est une des principales explications de ce phénomène, mais les arguments développés sont également une des clés de compréhension. En effet plus que des attaques contre les juifs ce sont souvent des propos anti-israéliens qui sont exposés. Ils font appels à l’émotion et sont souvent des prétextes pour exprimer une forme d’antisémitisme. On ne se révolte pas contre les juifs mais contre le sionisme, sentiment plus acceptable car dénonciateur d’une injustice perçue. En particulier avec des images de victimes dans la bande de Gaza. De plus le manque de culture politique, et la réaction instantanée, particulièrement présents sur ce réseau, sont des leviers forts. Sur TikTok on passe d’une vidéo à l’autre sans vraiment réfléchir, la force des images et la viralité des émotions sont les fondements de la viralité. Le phénomène d’addiction est une clé car la brièveté des vidéos et leur format plaît aux utilisateurs, qui deviennent accros à ce concept. Certains témoignages d’utilisateurs sont édifiants et expliquent la puissance de conviction possible « je poursuis ma navigation, n’ayant pas l’impression de perdre autant de temps. Je me dis qu’il s’agit seulement de quelques secondes, encore une, puis une autre, alors qu’en réalité́ le temps défile tellement vite  que je finis par passer plus de 3h sans m’en rendre compte ! J’ai visionné des vidéos sans vraiment m’en rendre compte, sans les avoir choisies et je finis même par les partager sans vraiment savoir pourquoi. C’est un peu comme une drogue ! ». Ce réseau répond donc à une attente, à défaut d’être un besoin. Et c’est grâce à cela que les idées se diffusent plus facilement.

Ce mode de conversion à l’Islam nous interpelle. Comment se déroule-t-elle ? 

Malik Bezouh : Le phénomène de radicalisation, en tout cas d'islamisation, par le net, c'est relativement quelque chose d'inquiétant parce que les jeunes ne prennent plus du tout le temps de lire. On est dans de la consommation. On va vite. On se laisse influencer par des discours et par des thèses. Mais ce qui est certain, c'est que les réseaux sociaux, TikTok ou d’autres, ce n'est pas un lieu naturel de conversion. 

En principe, pour se convertir, on prend le temps, on étudie, on s'interroge, on fait un travail de rétrospection, voire même une retraite. Là, ce n'est pas du tout le cas. On est un peu sur l'équivalent du McDo où on est servi très rapidement. Mais on mange le pire. 

Le problème, c’est que c’est une interprétation de l’Islam qui est diffusée sur les réseaux sociaux. C’est le wahhabisme, un islam sectaire, qui a pris le dessus. C’est cette pensée qui domine largement les réseaux sociaux. Je dis parfois que le wahhabisme est à l'islam, ce que le CO₂ est à l'atmosphère. Nous sommes dans une période de dérèglementation de la théologie islamique parce qu'elle a été profondément impactée et influencée par le wahabisme que l'Occident, en particulier les Américains, ont largement soutenus pour contrecarrer l'influence du nationalisme arabe laïque. Et le résultat, c'est que le mal s'est installé dans le monde arabe. Il s'est ensuite diffusé partout en Occident. 

Il n’y a pas de contre- théologie sur les réseaux sociaux alors qu’il y a des penseurs qui développent une théologie réformée. Mais les jeunes d'aujourd'hui n'y ont clairement pas accès parce que les réseaux sociaux sont totalement submergés par ces courants rigoristes et ultra-rigoristes. Cela peut parfois entraîner des phénomènes de rupture chez des personnes fragiles. Cette perception, cette interprétation de l'islam est catastrophique parce qu'elle tue la spiritualité et le rapprochement avec la transcendance, l'élévation spirituelle. Tout est interdit. Dans une société très libérale comme la nôtre, ça peut créer des tensions et des divergences qui mènent au séparatisme. 

Quel impact ont ces vidéos sur le cerveau des jeunes adolescents ? 

Pascal Neveu : Je veux dans un premier temps rappeler quelques chiffres concernant TikTok, car c’est plus une question psychologique que cérébral… sans oublier l’intelligence.

 C’est plus de 3,5 milliards de téléchargement de l’application. Plus d’1 milliard d’utilisateurs mensuels. 9 millions d’utilisateurs actifs mensuels en France

• 40 % sont des hommes et 60 % des femmes  

• 87% de l’audience sur TikTok a entre 18 et 44 ans 

• 42 % ont entre 18 et 24 ans 

• 31 % ont entre 26 et 34 ans

• 14 % ont entre 35 et 44 ans

En moyenne, les abonnés passent 95 minutes par jour sur l’application et 26 heures par mois (soit plus d’une journée). Plus de 64 millions de vidéos TikTok sont créées et publiées chaque mois en France. 71 % des gens admettent que les plus grandes tendances commencent sur TikTok. Et c’est ça qui peut devenir inquiétant. En effet, il existe un très grand nombre de vidéos et d’influenceurs parlant du Coran et autre. Le 24 novembre, une jeune femme a fait la promotion du Hijab : 400 000 vues, 400 partages, plus de 1500 « j’aime ». Le 27 novembre, un  Queer hystérique évoquant le Coran obtient 800 000 vues, 947 likes et 300  partages !
Le sujet est tellement surveillé par les agents des services de renseignement et la DGSI (Direction Générale du Service Intérieur) que beaucoup n’osent pas partager ou liker... mais le nombre de vues est stupéfiant ! Car le problème principal reste l’absence de discernement et de recherche de la vérité chez les jeunes. La manipulation, l’orientation d’esprit peut ainsi débuter très rapidement et facilement. J’ai lu des interprétations de sourates que des Imams sérieux n’oseraient pas diffuser. Il s’agit réellement d’en revenir à un raisonnement critique.

Dans un monde en manque de repères, où les guerres de religions font l’actualité, une société clivée, des adolescents angoissés, d’autant plus depuis la COVID et le confinement… Ils se réfugient de plus en plus dans les réseaux sociaux et tentent d’exister, de survivre via des vidéos TikTok qui diffusent tout et rien, le plus drôle comme le pire... et le plus dangereux. Rappelons- nous l’influence des professeurs de philosophie au Lycée. Et le rôle plus important de l’éducation nationale qui est sensée donner des cours d’histoire des religions.

En 2001, travaillant pour un autre media, nous sommes ressortis sidérés que les 2 grandes associations de parents d’élève avaient refusé dans nos colonnes un échange/débat sur le sujet !

La construction psychique est complexe et modulable.

Entre la topique Freudienne qui rappelle qu’il existe un Moi (la personnalité exprimée), le Ca (le monde pulsionnel) et le Surmoi (les valeurs morales)… un adolescent ou jeune adulte en proie à l’affirmation de qui il est, en détachement et refus de ses parents, reste fortement influençable.

Est-ce du lavage (soft) de cerveau ?

Pascal Neveu : Je crains que oui, et pas de manière soft.

À son lancement, les vidéos TikTok étaient principalement des lypsincs (une sorte de karaoké qui consiste à synchroniser le mouvement de ses lèvres sur les paroles d’une chanson) et de challenges de danse. Mais rapidement, les contenus se sont diversifiés pour englober des recettes de cuisine, des astuces maquillage ou des essayages vestimentaires. Mais quel que soit le sujet, le format reste le même : de courtes vidéos de quinze secondes maximum.

TikTok reste très populaire auprès des jeunes de la génération Y et Z. Aujourd’hui encore, ils représentent 40 % de ses utilisateurs. L'application est présente dans 155 pays et disponible en 75 langues. Le pire étant qu’on peut obtenir 1000 followers en payant environ 10 euros ! C’est un véritable marché ! Imaginez l’influence chez les jeunes qui vont assimiler et « introjecter » des vidéos, propos sans sens critique ! La propagande n’est pas loin, d’autant plus que le taux d’engagement est de quasi 15%, dépassant tous les autres réseaux sociaux.

Les guerres religieuses se vivent hélas dans des pays… mais elles se jouent via les réseaux sociaux, avec un embrigadement dont les médias parlent.

Si j’ai un message à faire passer… C’est de rechercher la vérité au delà des propos de ce qui est devenu une mode… et même un métier « les influenceurs ». Et rester critique via les religions, discuter avec de vrais prêtres, imams, pasteurs, rabbins… L’adolescence est vulnérable et la cible de ceux qui veulent diviser et entraîner le chaos.

Vivre et advenir peut passer par un cheminement de foi… mais en ne cédant pas à des aberrations qui ne sont pas questionnées, remises en question.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !