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Terrorisme : quand l’Europe est frappée au cœur, mais reste sans voix
©Reuters

Faiblesse de l’Union

Alors que des attentats meurtriers ont frappé Bruxelles ce mardi, la tragédie vécue par la capitale belge, cœur de l'Union européenne, n'a pas suscité de grandes réactions de la part de l'instance multi-étatique. Une situation qui en dit plus que ce que l'on pourrait croire.

Roland Hureaux

Roland Hureaux

Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes.

Il est l'auteur de La grande démolition : La France cassée par les réformes ainsi que de L'actualité du Gaullisme, Les hauteurs béantes de l'Europe, Les nouveaux féodaux, Gnose et gnostiques des origines à nos jours.

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Atlantico : Alors que des attentats sanglants ont frappé ce mardi Bruxelles, coeur institutionnel de l'Union européenne, cette dernière s'est montrée bien discrète, ne réagissant officiellement que par la voix de Federica Mogherini (chef de la diplomatie), qui n'a pu retenir ses larmes lors d'un déplacement à Amman. Quelle signification donner à ce "silence" selon vous ?

Roland Hureaux : Ce silence signifie tout simplement que l'Union européenne n'existe pas, n'a jamais existé et n'existera jamais.

Il y a des Belges, des Français, des Allemands  qui constituent  autant de communautés solidaires dont , en  principe, un chef peut prendre en charge les intérêts ou les émotions. Quand la France est frappée, Hollande, quoi qu'on pense de son  action, est légitime pour s'exprimer au nom de la France.  Comme le roi des Belges l'est pour parler au nom de la Belgique.

L'Union européenne, c'est  une  organisation  administrative, rien de plus. Que la cheftaine  (n'est-ce pas ainsi qu'il faut dire si l'on veut féminiser les titres ?) de la diplomatie européenne fonde en larmes, elle exprime seulement une réaction personnelle, celle de  quelqu'un qui, précisément, n'est pas préparé à gérer  le  stress puissant qui attend, dans notre mode tragique,  un homme d'Etat , mais  personne dans cette organisation n'a la capacité,  ni la légitimité de réagir au nom du peuple européen. L'Union  est apte à traiter de questions  budgétaires, juridiques mais pas de questions existentielles. Vous avez là des bureaucrates, des experts,   pas des chefs et vous n'en aurez jamais. L'Union européenne a sans doute été la cible des attentats, mais c'est la Belgique s'est trouvée frappée.

Y a-t-il une signification particulière à voir Paris et Bruxelles attaquées de la sorte à quelques mois d'intervalle ?

Je n'ai pas le dernier mot de cette affaire, pas plus que quiconque,  mais  ce n'est sûrement  pas un hasard.

Avant de donner dans la spéculation  géopolitique, soyons  d'abord positifs : les attentats du 13 novembre et ceux du 22 mars ont été préparés  tous les  deux à Bruxelles.

Bruxelles n'est  pas seulement la capitale de l'Europe , c'est une des plus  fortes concentrations d'immigrés du continent  et un des Etats les plus désorganisés qui soient, communautarisme oblige . La police belge s'est sans doute réveillée après les attentats du 13 novembre , avec l'appui de la police française, mais  en quatre mois, elle n'avait pas le temps de  surmonter les nombreuses lacunes de son dispositif .

Donc Bruxelles est une cible toute désignée car c'est le défaut de la cuirasse policière  européenne , au moins le plus voyant car je ne crois pas que le reste soit vraiment blindé.

Ensuite ces attentats ont une signification symbolique .

Paris , c'est  la ville-lumière, la capitale la plus centrale ( si on ne  considère que l'Europe occidentale)  et la plus flamboyante de l'Europe ; même si notre diplomatie est aujourd'hui  au trente-sixième dessous de nullité, cet  héritage symbolique reste . Et Bruxelles  , c'est,  comme je vous disais,  la capitale de l'Europe   administrative,  pas une réalité charnelle  mais un symbole tout de même.

Les deux attentats de Paris et de Bruxelles  se ressemblent : même volonté de tuer le plus de  monde  possible, même dimension suicidaire , mêmes réseaux probables.  Daesh est-il vraiment le commanditaire ou vient-il  seulement pour revendiquer et labelliser ? Si vous entendez Daech au sens étroit, celui de Syrie et d'Irak, je ne crois pas que tout soit parti de là. Mais si vous entendez Daech au sens large : tous ceux qui en Europe, en Afrique ou ailleurs se reconnaissent dans cette organisation, oui, Daech est au centre.

Ensuite, je ne peux pas m'empêcher, sinon d'affirmer, du moins de faire quelques rapprochements. D'abord un rapprochement  chronologique : cet attentat se produit quatre jours après la conclusion de l'accord entre l'Union européenne et la Turquie sur les réfugiés. Un accord incroyable puisqu'il comporte le droit d'entrée sans visa de 80 millions de Turcs sur le sol de l'Union européenne. Alors même qu'il continue a y avoir de mouvements terroristes en Turquie. La contrepartie est loin d'être évidente : principalement la promesse de la Turquie de reprendre les réfugiés non issus de Syrie ou d'Irak qui seraient refoulés de Grèce au terme d'une procédure au cas par cas  très compliquée à mettre en œuvre. Aucun véritable engagement de la Turquie de retenir ces réfugiés, vrais ou supposés, ni de retenir les djihadistes qui veulent se rendre en Syrie (ce n'était pas à l'ordre du jour, Bruxelles fait de l'administration, pas de la grande politique). Il est clair que si l'attentat  de Bruxelles avait eu  lieu  avant la fin des négociations, les Européens se seraient raidis, sinon par conviction au moins à cause de l'opinion publique  et n'auraient pas conclu de cette manière si incroyable, si favorable aux intérêts de la  Turquie.

Je ne peux pas m 'empêcher de faire  aussi le rapprochement avec la tournée d'Erdogan en Europe en octobre dernier, sous   prétexte de rencontrer ses compatriotes émigrés dans le cadre de la campagne  électorale. Le chef d'Etat turc s'est livré en deux endroits, à Strasbourg  (donc en  territoire français) et à Bruxelles à une attaque d'une violence terrible contre la France et contre l'Union européenne,  coupables selon lui de ne pas être assez accueillantes aux réfugiés sans que personne  réagisse à ces  propos qui s'écartaient de tous les usages diplomatiques. 

Et l'Allemagne, me direz-vous ? Précisément, le président turc  ne  s'est pas risqué à parler sur ce ton sur le territoire allemand : les Turcs d'Allemagne sont venus l'écouter à Strasbourg. Pourquoi ? Je risque une hypothèse. Non pas parce que  l'Allemagne provoquerait une sorte de crainte révérencielle , mais  parce qu'elle est déjà tenue  pour  un pays conquis, sous l'égide de  quelqu'un  comme Merkel qui  est allée soutenir Erdogan dans la campagne électorale, qui ouvre les portes de son pays et qui a imposé aux autres Européens les trois concessions majeures (sans contrepartie significative,  je le répète) par lesquelles s'est conclue la négociation de la semaine dernière : libre entrée sans visa des Turcs en Europe, reprise des négociations d'entrée dans l'UE et quelques milliards d'euros de plus.

Pourquoi Daech, étroitement allié et peut-être même inféodé à la Turquie risquerait-il de se mettre à dos une chancelière aussi complaisante ?

L'Allemagne n'a pas eu d'attentats mais elle a eu la nuit de la Saint-Sylvestre : pas d'attentat  sanglant mais un immense attentat à la pudeur,  si j'ose dire.

Si  le ministre de l'Intérieur  allemand n'avait pas dit que cette affaire répondait à une consigne centrale, je me risquerais pas à jouer les complotistes en disant  qu'elle a aussi une signification. Dans la vieille symbolique guerrière  qui demeure encore en vigueur  dans le mode arabe (et pas que là!), le viol, ce n'est pas d'abord la recherche du plaisir, c'est une humiliation délibérée,  la marque qu'on a conquis le terrain. L'Allemagne n'est  pas,  comme le dit  la tradition musulmane, la Dar al harb, le pays  en guerre  encore  à conquérir, c'est  le Dar al islam, le terrain déjà conquis, puisque Merkel, même si elle n'est pas musulmane, est dans une attitude de dhimmitude  par rapport à Erdogan. 

J'ajouterai une autre considération: la France et la Belgique ont  été les deux pays en pointe  pour refuser de reconnaître  les racines chrétiennes de l'Europe dans le traité européen. Ils sont ceux  chez qui les forces ultra-laïques, animées par une haine sans nom de l'héritage chrétien,  sont les plus puissantes. Je ne dis pas que ces pays ont reçu la punition du ciel, mais il faut savoir que leur attitude antireligieuse est  infiniment plus méprisée et haïe   par les djihadistes que l'adhésion  à une religion, quelle qu'elle soit, y compris  la religion chrétienne . Mêmes s'ils n' aiment pas les chrétiens, les djihadistes détestent infiniment plus  les ultra laïques libertaires  (avec tout ce qui va avec : mariage homosexuel, euthanasie etc.) .

Au-delà de l'émotion légitime, quels types d'action sommes-nous en droit d'attendre de la part de l'Union européenne ? Ces attaques terroristes peuvent-elles avoir un impact sur l'intervention française en Syrie, d'autant plus après le retrait russe décidé par Vladimir Poutine ?

Je vous l'ai dit : il n'y a rien à attendre de l' Union européenne. La police reste largement une compétence nationale et heureusement. Une coordination policière existe déjà au niveau de Bruxelles . La pire de chose qu'on pourrait faire serait de lui donner encore plus importance : ce serait courir le risque de mettre encore plus de pagaille.

Non, il existe une coopération franco-belge, et dans une moindre mesure une coopération avec d'autres pays moins directement menacés. Le renforcement de cette coopération franco-belge est trop récent pour avoir produit ses effets. Mais il en produira. La police française est de qualité, les services antiterroristes en charge ne contrôlent pas encore la situation mais il fait espérer qu'ils vont y arriver. A condition de contrôler les flux d'un pays l'autre, ce qui est  loin d'être encore acquis. D'une certaine manière, moins il y aura d'Europe, c'est à dire plus les frontières seront sous contrôle, moins le terrorisme aura ses chances !

L'intervention française en Syrie, il vaut mieux ne pas en parler. D'abord parce que, même quand elle battait son plein, la force française ne représentait que 4 ou 5 % de la capacité totale de "frappe" de la coalition dans la région et parce qu'on ne sait pas exactement ce que nos avions frappent.

Non, vaincre Daech est d'abord une question diplomatique avant d'être une question militaire.

Ses forces seront faciles à battre sur le terrain si  tout le monde dans la soi-disant coalition, joue le jeu, ce qui est loin d'être le cas.

Ce que devrait faire l'Europe après les attentats de Bruxelles, quand je dis l'Europe, je pense aux principales puissances qui la composent, Grande-Bretagne comprise, Brexit ou pas, ce serait de dire à nos alliés : "maintenant ça suffit, arrêtons de plaisanter, vous ne soutenez plus Daech d'aucune manière sinon vous devenez nos ennemis" . Il faudrait le dire d'abord à la Turquie qui fait passer les armes et les djihadistes vers la Syrie et qui est alliée de Daech contre les Kurdes et contre Assad. Or nous somme loin  du compte puisque je vous ai dit quelles concessions incroyables, sous l'influence d'Angela Merkel, l'Europe lui a faites  la semaine dernière.

Il faudrait le dire aussi  au Qatar, à l'Arabie saoudite, sans doute à Israël ( mais s'agissant d'Israël, les Russes le lui ont déjà dit) et surtout aux Etats-Unis qui continuent à soutenir en sous-main certaines forces islamiques. Ce faisant, ils espéraient que la Russie  s'enlise en Syrie, mais elle a échappé au piège, en se retirant du pays ou à tout le moins en faisant semblant car les avions qu'elle a retirés restent dans les parages et un avion, ça va vite.

Vous voyez que sur tous ces sujets nous sommes loin du compte. Et ce n'est pas cette pauvre Frederica Mogherini qui va donner l'impulsion ! 

Cette apathie apparente de l'Union européenne est-elle selon vous un nouveau signe du délitement de l'UE ?

Non c'est au contraire le signe de l'efficacité redoutable de l'Union européenne. Car on en s'en rend pas toujours compte, le but inavoué, peut-être inconscient mais pas pour tous, de cette organisation, c'est la déconstruction de l'Europe: déconstruction douanière avec le TAFTA, déconstruction démographique avec l'ouverture des frontières extérieures aux migrants, déconstruction économique avec les délocalisations massives et déconstruction morale avec le refus de l'histoire (notamment des racines chrétiennes) et l'encouragement au sécularisme libertaire. Et bien entendu déconstruction de cela seul qui existe : des Etats et des peuples qui constituent l 'Europe.

Comme Karl Marx le disait du communisme : "Bien creusé, vieille taupe !", ou encore "Bravo l'artiste !".

Le principe officiel de l'Europe, ce que croient les gens, c'est "l'union fait la force", "unissons nous pour mieux défendre nos intérêts communs". Mais  une union naturelle, une alliance ou une coopération étroite si vous voulez, c'est une chose et ça serait très bien ; une union sous le paravent d'une idéologie universaliste c'en est une autre, c'est même tout le contraire. Car le propre de l'idéologie c'est d'être quelque part suicidaire, de conduire à l' autodestruction de ceux qui s'y réfèrent, du fait de la mise en avant comme règle d'idéaux universels abstraits qui conduisent non pas à défendre ces intérêts communs mais à donner au contraire une préférence presque systématique aux intérêts de l'autre partie. Au nom du libre échange, aux intérêts américains ou chinois dans les négociations commerciales ; au nom des droits de l'homme, aux intérêts turcs dans les négociations sur les migrations ; au nom de la laïcité, aux intérêts musulmans dans les questions culturelles - et cultuelles etc.  

Le communisme qui était aussi une idéologie, plus cruelle sans doute, mais moins suicidaire a failli détruire la Russie ou la Chine qui heureusement se sont ressaisies, l'idéologie universaliste qui gouverne l'Europe pourrait, mine de rien, la détruire. D'une certaine manière ces attentats horribles, c'est la sonnette d'alarme. Puisse-t-elle être rapidement entendue. 

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