Terrorisme : le troublant aveu de faiblesse d’Angela Merkel qui ne présage rien de bon sur la résilience de l’Allemagne face aux attentats<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Europe
Terrorisme : le troublant aveu de faiblesse d’Angela Merkel qui ne présage rien de bon sur la résilience de l’Allemagne face aux attentats
©AFP

Un véritable choc

L'attaque d'un marché de Noël à Berlin ce lundi a profondément choqué les Allemands. Une réaction qui pourrait se traduire politiquement par une percée de l'AfD, mais également par une mise en difficulté de la candidature d'Angela Merkel aux prochaines élections fédérales.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

Voir la bio »

Atlantico : Dans un discours prononcé ce mardi suite à l'attaque, la veille, d'un marché de Noël à Berlin, Angela Merkel a reconnu son impuissance à la question "Comment pouvons-nous survivre?", affirmant "je n'ai pas de réponses à vous apporter". Quel impact cette déclaration peut-elle avoir sur la population allemande ? 

Edouard Husson : Angela Merkel est sur la défensive. Lorsqu'elle avait adressé ses voeux à l'Allemagne, le 31 décembre 2015, la chancelière avait voulu qu'ils soient aussi adressés aux réfugiés accueillis généreusement dans les mois qui avaient précédé, et son discours était sous-titré en anglais et en arabe. Elle avait alors fièrement répété sa certitude : la société qui avait fait la réunification allait réussir l'intégration des victimes des guerres du Proche et Moyen-Orient. "Wir schaffen das !". La meilleure traduction est sans doute : "Nous allons le faire !". L'année de la réussite a été en fait parsemée d'obstacles, de difficultés, d'efforts considérables pour les quelques centaines de milliers d'Allemands qui sont engagés dans l'effort, souvent bénévole, d'accueil et d'intégration. Or, ils ont eu le sentiment, ces derniers mois, que la chancelière connaissait mal la réalité du travail à effectuer sur le terrain. Et là ils doivent bien constater que la chancelière volontariste d'il y a un an a complètement disparu. Or, beaucoup d'entre eux s'étaient engagés en croyant au soutien de la chancelière. Globalement, la société l'avait suivi en faisant confiance à son jugement. Tout cela vacille.

L'attaque de ce lundi vient s'ajouter à une liste qui commence à s'allonger depuis le début de l'année. Comment peut-on juger la résilience de la population allemande face à cette série d'attaques à caractère terroriste ? Saura-t-elle être aussi résiliente que la population française face aux attaques commises depuis 2015 ?

La population allemande offre un curieux mélange de réactions depuis quelques mois. La chancelière a encore quelques supporters inconditionnels, qui jugent qu'il faut continuer l'affaire coûte que coûte : c'est un devoir d'ordre quasi-religieux pour le pays qui a rejeté le nazisme. Vous avez cependant aussi une réaction qui est à l'oeuvre - et qu'Angela Merkel, par calcul politique, laisse se déployer - : un raidissement de l'administration qui devient plus exigeante pour l'attribution des statuts de séjour et la signature d'accords de rapatriement avec certains Etats comme l'Afghanistan. Mais l'essentiel va se jouer localement : une proportion importante des réfugiés joue le jeu de l'intégration ; une autre va, d'une manière ou d'une autre, prendre le chemin du retour au pays d'origine - surtout si la guerre en Syrie s'achève. Reste une frange d'individus dont certains sont des terroristes infiltrés et d'autres des proies pour la propagande islamiste. La majorité de la population saura très bien faire la différence et éviter les slogans faciles. Il reste qu'en ne limitant pas le nombre d'entrées pendant de longs mois, la chancelière a pris le risque de dilapider les trésors de dévouement dont font preuve les Allemands. Et de rendre partiellement incontrôlable la situation.

Dans le cas où le suspect s'avérerait être un demandeur d'asile, cela ne viendrait-il pas mettre à mal toute la politique migratoire mise en oeuvre par Angela Merkel depuis 2015 ? Quel impact pourrait avoir cette dernière attaque sur sa candidature aux prochaines élections générales allemandes ?

Angela Merkel est à bout de souffle politiquement. Une interprétation favorable dira qu'elle a gaspillé de manière incompréhensible le capital de sympathie qu'elle avait accumulé. Une interprétation moins compréhensive, que l'on entend de plus en plus dans les élites européennes, et que les médias allemands finiront bien par relayer, est que la chancelière a toujours eu beaucoup de chance : l'euro, si favorable à l'Allemagne, la politique de réformes de Schröder, l'énergie de Nicolas Sarkozy à combattre la crise et relancer le moteur franco-allemand, le mythe entretenu par Obama à son égard depuis quelques années... Ces dernières années, les griefs européens se sont accumulés : la rupture avec la Russie sur l'affaire ukrainienne, la sortie accélérée de l'énergie nucléaire, la dureté du traitement infligé à la Grèce alors que les banques allemandes étaient en première ligne, et, là, la gestion brouillonne de la crise des réfugiés ! Le mythe de l'infaillibilité d'Angela Merkel est détruit. La société allemande met plus de temps à s'en rendre compte que le reste de l'Europe mais elle arrivera assez vite au même constat. Je ne sais pas si Angela Merkel pourra maintenir sa quatrième candidature à la chancellerie, annoncée il y a quelques jours. Même si elle y arrivait, elle serait pieds et poings liés par son propre parti et, surtout, son partenaire de coalition bavarois, la CSU. Elle serait obligée de mener une politique beaucoup plus à droite que ce qu'elle a fait jusqu'ici, dans tous les domaines.

Le débat public en Allemagne ne risque-t-il pas d'être complètement imprégné par ces événements au cours des semaines et des mois à venir ? Dans quelle mesure cela pourrait-il profiter à l'AfD, le parti d'extrême-droite allemand, particulièrement critique à l'égard de la politique migratoire de la chancelière ?

Attention ! L'AfD est un parti souverainiste. Il est hostile à l'euro, favorable à une politique étrangère bismarckienne de réconciliation avec la Russie et, bien entendu, il a occupé l'espace de la critique de la politique d'accueil des réfugiés d'Angela Merkel, espace délaissé par la CSU bavaroise. Avant le tragique événement de Berlin, on aurait pu pronostiquer une montée en puissance régulière. A présent, l'AfD est exposée à un danger très clair : il y a de véritables bandes néo-nazies en Allemagne, qui pourraient déclencher des violences, par exemple contre des asiles de réfugiés. L'AfD aurait alors à se démarquer, ce qui la conduirait à se recentrer ou à se discréditer. Angela Merkel en profiterait peu. En revanche, son ministre des Finances, le très respecté Wolfgang Schäuble, pourrait battre le rappel des troupes, ramener la CDU au centre-droit, adouber publiquement un candidat de la jeune garde ou même y aller lui-même, malgré sa santé fragile, accompagné d'un successeur potentiel.

>>>> A lire également sur notre site : "En Allemagne, le vocabulaire nazi refait surface dans les discours politiques"

Depuis 2014, un certain nombre de linguistes allemands ont noté la résurgence d'un vocabulaire propre au régime nazi dans les discours prononcés à l'heure actuelle par certaines personnalités politiques d'extrême-droite en Allemagne, notamment au sujet des migrants. L'attaque de ce lundi, cumulée aux autres survenues au cours de cette année 2016, pourrait-elle amplifier ce phénomène et susciter une vague de violences de nature xénophobe dans le pays ?

Il ne faut jamais oublier que le nazisme n'était pas seulement un mouvement raciste, antisémite et xénophobe. C'était le vecteur d'un impérialisme allemand exacerbé avec un projet de conquête militaire, de pillage économique et de génocides massifs à travers toute l'Europe orientale. Cette deuxième composante est absente des discours dont vous parlez. J'anticipe plutôt, pour ma part, des violences de rue, des incendies criminels contre des bâtiments où vivent des réfugiés. Elle n'a pas besoin de la droitisation du discours à laquelle vous faites allusion. Elle profitera tout simplement de la mobilisation des forces policières, occupées sur d'autres terrains par la lutte antiterroriste.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !