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Terres rares : la Chine s’inquiète de ne pas pouvoir maintenir sa domination planétaire. Et voilà pourquoi ça devrait aussi nous alarmer
©STR / AFP

Moyen de pression

La Chine est le premier pays producteur mondial de minerais très utilisés dans les technologies de pointe. Un durcissement du contrôle chinois sur l'ensemble de la chaîne industrielle impliquant des terres rares semble annoncer une perte de monopole pour la Chine.

Emmanuel Lincot

Emmanuel Lincot

Professeur à l'Institut Catholique de Paris, sinologue, Emmanuel Lincot est Chercheur-associé à l'Iris. Son dernier ouvrage « Le Très Grand Jeu : l’Asie centrale face à Pékin » est publié aux éditions du Cerf.

 

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Atlantico.fr : Le durcissement du contrôle chinois sur l'ensemble de la chaîne industrielle impliquant des terres rares est-il le signe d'une perte de monopole de la Chine en la matière?

Emmanuel Lincot : Rappelons que la Chine est en position de force sur le marché des terres rares. On prête au père des réformes - Deng Xiaoping - l’aphorisme suivant : « il y a le pétrole au Moyen-Orient, il y a des terres rares en Chine ». Elles sont essentielles aux technologies de pointe. La Chine a aujourd’hui le quasi monopole de leur extraction même si les États Unis, l’Inde, la Russie et l’Australie essaient de rattraper leur retard. Il n’est pas inintéressant de se souvenir qu’en 1984, les États-Unis dominaient encore très nettement le marché, avec plus de 60 % de la production mondiale. C’est le chimiste Xu Guangxian, ancien étudiant de Columbia, associé à la fabrication de la bombe nucléaire chinoise qui, en tant que chimiste, a convaincu le régime d’exploiter les principaux gisements du pays situés pour l’essentiel au Gansu et en Mongolie intérieure (c’est-à-dire le nord et l’ouest du pays, dans les régions proches des frontières). Elles constituent pour Pékin un moyen de pression sur les pays étrangers et tout particulièrement les États-Unis avec lesquels les menaces de restriction commencent au début des années 2000. Washington s’en est ému craignant d’être totalement dépendant de la Chine pour la fabrication de ses armements par exemple. Le gouvernement fédéral a donc décidé de réouvrir à grands frais le site de Mountain Pass en Californie. En réalité, les terres rares sont nombreuses sur le globe. Y compris en Bretagne et dans le Massif central voire en Polynésie... Sauf que leur exploitation s’avère très polluante et très coûteuse. La Chine appuie là où cela fait mal en menaçant de ne pas approvisionner la chaîne de production. Et pourtant la solution existe. Il s’agit d’un retour à la souveraineté.

Quelles conséquences ces nouvelles restrictions peuvent-elles avoir sur la production mondiale utilisant des terres rares, et quelles perspectives (recyclage...) peuvent s'ouvrir à celle-ci?

La conséquence peut être une crise équivalente à celle que nous avons connu à la fin des trente glorieuses avec le premier choc pétrolier en 1973. Mais rétrospectivement, celle-ci a été bénéfique puisqu’elle a incité le gouvernement français à lancer plus que jamais sa filière nucléaire. Pour l’heure, en France, le groupe chimique Rhodia a rendu opérationnel, dans son usine de la Rochelle, un nouveau procédé, sur lequel il a travaillé pendant près de dix ans permettant de recycler ces métaux extraits des terres rares. Ainsi la réutilisation des poudres luminophores des lampes basse consommation et qui contiennent plusieurs terres rares son réutilisées. Quand on sait que le terbium - l’une de ces terres rares - est vendu plusieurs milliers d’euros le kilo, les principales ressources pour un pays comme la France consistent en la réutilisation de tous nos appareils et lampe qui équipent notre quotidien et nos bureaux. C’est à la fois un dilemme et une question de temps. Dilemme car le paradoxe est que la croissance verte accroît notre dépendance aux terres rares. Question de temps aussi car les économies vont devoir trouver des substituts à ces terres rares et avoir recours dans un premier temps à une exploitation de celles-ci en dehors même de la Chine.

Ces changements peuvent-ils remettre en cause les relations de la Chine avec les Etats-Unis ou l'Union Européenne en matière d'industrie ? Ces derniers peuvent-ils espérer un jour rivaliser avec elle ?

L’accès aux terres rares est un révélateur de tensions qui vont s’accentuer étant donnée la volonté chinoise de vouloir à son tour exploiter des gisements autres que les siens propres. Des régions aussi diverses que Madagascar, le Groenland voire l’Océanie sont convoitées par la Chine pour diversifier ses sources d’approvisionnements et parce que sa production nationale, seule, ne lui suffit plus. Mais plus fondamentalement, ce n’est pas l’accès aux matières premières qui pose un problème. C’est avant tout la fragilité des chaînes de valeurs. Que la Chine ait repoussé sine die son programme « Made in China 2025 » montre bien qu’elle a atteint un point de non retour dans son état de dépendance vis à vis de l’extérieur. Qu’est ce à dire ? C’est une puissance vulnérable. Sachant que l’Occident ne parviendra pas à normaliser ses rapports avec elle et ne pourra guère envisager de la changer politiquement non plus, l’avenir est plus que jamais  incertain.

Propos recueillis par Vincent Pons

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