Taxes foncières et d'habitation : qui va payer quoi au terme de la réforme<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
L'enjeu financier d'une réforme des impôts locaux est de taille.
L'enjeu financier d'une réforme des impôts locaux est de taille.
©Reuters

Impôt éternel

L'enjeu financier d'une réforme des impôts locaux est de taille. Les collectivités lèvent chaque année 120 milliards d'impôts et taxes sur les ménages et les entreprises. Des prélèvements qui visent à financer 230 milliards de dépenses et qui complètent les dotations, en baisse, qu'elles reçoivent de l'État.

Jean-Luc Boeuf

Jean-Luc Boeuf

Jean-Luc Bœuf est administrateur général. Auteur de nombreux ouvrages, son dernier livre : les très riches heures des territoires (2019), aux éditions Population et avenir. Il est actuellement directeur général des services du conseil départemental de la Drôme (26)

 

Voir la bio »

Atlantico : A la demande du Premier ministre, le comité des finances locales (CFL), composé de représentants de l'Etat et d'élus locaux étudie des pistes de réforme des impôts locaux. Le gouvernement voudrait notamment revoir le mode de calcul de la taxe d'habitation et de la taxe foncière payée respectivement par les locataires et les propriétaires. Pourquoi faut-il les moderniser ? Quelle forme pourrait prendre cette modernisation ?

Jean-Luc Bœuf : Rappelons trois choses.

  • Tout d'abord que la fiscalité locale est lourde, injuste et sujette à un nombre incalculable de dégrèvements et d'exonérations si bien que celui qui proscrit n'est pas totalement responsable et celui qui paie bénéficie d'exemptions. Au final, c'est celui qui arbitre, à savoir l'Etat, qui a plus que jamais les cartes en mains !

  • Rappelons ensuite que la fiscalité directe payée chaque année par les ménages et les entreprises se monte à près de 72 milliards d'euros, dont 50 milliards payés par les ménages. Sur cet ensemble, la taxe d'habitation représente 19 milliards d'euros et la taxe sur le foncier bâti 27 milliards d'euros.

  • Enfin, les valeurs locatives cadastrales ont plus de 40 ans. Elles sont donc largement décorrélées de la réalité économique et financière.

Face à ces constats, les gouvernements qui se sont succédé ces trente dernières années  ont toujours buté sur la question non pas du recalcul des bases mais de l'application de ces calculs aux ménages ! L'une des pistes aujourd'hui à l'étude consiste à asseoir la taxe d'habitation non pas sur la "valeur locative" du logement mais sur le revenu de ceux qui y résident. Ceci est tout simplement explosif en raison de la très forte variation du nombre d'assujettis, dans un pays où près de la moitié des foyers fiscaux ne paient pas d'impôt sur le revenu. Naturellement les contribuables qui sont dans ce cas bénéficient d'exonération partielle de leur taxe d'habitation. Mais en lecture rapide, et juste, l'équation est simple : ce sont les contribuables qui participent déjà à l'effort de hausse de l'impôt sur le revenu qui vont être, une fois de plus, sollicités.

Selon un sondage CSA, 47% des Français estiment que le montant des impôts locaux devrait être le sujet prioritaire pour les candidats aux municipales, concrètement à quoi doivent s'attendre les usagers sur leur feuille d'impôts ? Quelle catégorie de la population sera la plus concernée ?

Aujourd'hui, les choses sont simples sur un point : ce sont les collectivités locales qui sont responsables de la taxe d'habitation et de la taxe foncière. Au premier rang, ce sont les maires qui sont pointés même si, cumulés, les impôts ménages levés par les maires représentent moins de la moitié du total puisqu'il faut aussi compter les intercommunalités et les départements. Donc il est normal que, à la veille des élections municipales, ce sujet soit considéré comme central. Et, là, les électeurs ont la possibilité de se faire entendre, quitte à "voter avec les pieds" pour reprendre l'expression consacrée.

Avant d'envisager toute réforme, il a été constaté à chaque mandat électoral, que les impôts n'augmentent pas à la fin mais au début du mandat ! Pour ce qui est des réformes envisagées par le gouvernement, on peut estimer que, à la baisse, la catégorie de population la plus concernée sera celle qui réside dans les grands ensembles construis dans les années 1950 et 1960. A la hausse, il s'agira des populations des centres villes qui, soit résident dans des logements anciens, soit disposent de revenus largement supérieurs à la moyenne.

Parmi les mesures envisagées, Bercy voudrait "mettre à jour la carte de France des prix des logements", de quoi s'agit-il ? Quel impact cela aura-t-il sur le marché de l'immobilier ?

Actuellement, sur une feuille d'impôts locaux relative à la taxe d'habitation, figure la valeur locative censée représenter le loyer du bien en question. En réalité, ce montant - fictif – est inférieur de deux, trois, quatre fois par rapport au prix réel des loyers. D'où la volonté des pouvoirs publics de cette mise à jour de la carte de France des prix des logements. Elle vise à établir la meilleure corrélation possible entre la "valeur locative" qui figure sur les feuilles d'impôts locaux et les loyers effectivement payés sur le marché. Sur le montant de la taxe payée, cela ne changera rien avant réforme bien sûr.

Politiquement il est très risqué de s'attaquer à la taxe d'habitation avant une élection, le CFL rendra donc son rapport en avril, peut-on s'attendre à une réforme loin d'être appliquée ?

La question de la réforme fiscale nécessite de s'interroger sur ce qu'est une "bonne" réforme ; c'est-à-dire une réforme acceptée par nos concitoyens. Très schématiquement, on peut dire que, pour être mise en application de façon optimale, une réforme fiscale doit être le plus juste et neutre la première année d'application. Juste car elle doit corriger des inégalités flagrantes.

S'agissant de la fiscalité locale, répétons-le, les deux injustices criantes sont l'obsolescence totale des bases et un mode de calcul qui pénalise tous les logements construits depuis les années 1970. De ce côté-là existe un consensus quant à la réforme. Ce qui coince depuis toujours est la deuxième partie de l'équation, c'est-à-dire le caractère neutre de la réforme. En simplifiant à l'extrême, on peut dire que la réforme divise les contributeurs en trois catégories : ceux qui vont payer beaucoup moins ; ceux qui vont payer beaucoup plus et ceux pour lesquels le changement sera quasiment neutre. En général, ceux qui paient moins ne descendent pas dans la rue.

Quand la France était en situation de créer de la richesse supplémentaire chaque année, il pouvait être considéré que l'on affectait une partie de ces gains à "payer", tout du moins sur un, deux ou trois ans, la réforme de telle sorte que pour ceux appelés à payer plus, l'effort soit étalé dans le temps. Mais en raison de la situation financière et budgétaire de la Nation, cela n'est pas possible. Donc, oui, il est risqué de s'attaquer à une réforme fiscale quand on n'a rien à offrir en contrepartie aux classes moyennes et classes moyennes supérieures qui risquent, une fois de plus, de se retrouver les dindons de la farce.

Car n'oublions pas non plus que le coût de la suppression de la taxe professionnelle et son remplacement par la cotisation foncière des entreprises (CFE) et la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) a eu un coût, de plus de 6 milliards d'euros par an. Et que ce coût a été assumé par l'Etat, c'est-à-dire chacun des contribuables... L'application d'une réforme fiscale nécessite un consensus social minimal. Et comme le gouvernement aura en tête la question de l'écotaxe et des bonnets rouges...

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !