Taxe sur les GAFA : le mauvais compromis proposé par la Commission européenne<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Europe
Taxe sur les GAFA : le mauvais compromis proposé par la Commission européenne
©DAMIEN MEYER / AFP

Argumentum ad temperantiam

La Commission européenne a présenté le 21 mars un texte portant sur la fiscalité des services numériques en Europe. Le compromis proposé par Bruxelles semble à la fois difficile à mettre en œuvre et susceptible de multiples contestations.

Julien Pellefigue et Grégoire de Vogüé

Julien Pellefigue et Grégoire de Vogüé

Julien Pellefigue est économiste Associé.

Grégoire de Vogüé est avocat Associé.

Voir la bio »

La Commission européenne a présenté le 21 mars un texte portant sur la fiscalité des services numériques en Europe. L’idée est d’imposer une taxe de 3% sur une fraction du chiffre d'affaires des entreprises du secteur numérique dépassant certains seuils de taille. Cette mesure, annoncée comme transitoire, s’accompagne d’un projet de directive plus ambitieux visant à réformer les règles utilisées pour identifier les Etats qui disposent du droit de taxer le profit des entreprises du numérique.

Ces projets de la Commission font suite au constat que certaines entreprises, regroupées dans la catégorie un peu floue de « numérique » payent fort peu d’impôt sur les sociétés en Europe. Faute d’un accord sur une réforme globale des règles de la fiscalité internationale – qui seule permettrait de résoudre durablement ce problème – la Commission considère que ces seules sociétés du numérique devraient faire l’objet d’une taxation spécifique pour assurer l’équité fiscale. Ce raisonnement est assez généralement partagé en Europe puisque plusieurs Etats membres ont déjà réfléchi à la mise en œuvre d’une « taxe Google » comparable à celle qui a été conçue par la Commission.

Trois types de commentaires peuvent être formulés concernant la démarche de la Commission.

Tout d’abord, de par sa complexité, le texte semble à la fois difficile à mettre en œuvre, et susceptible de multiples contestations devant les juridictions nationales et européennes. Comment s’assurer de la définition exacte des services concernés, sans possibilité de contournement ? Comment identifier le lieu exact de consommation de la prestation (par exemple, pour un internaute résidant habituellement à Paris qui effectue depuis Bruxelles une transaction Airbnb sur le site espagnol pour une nuit à Madrid) ? Comment identifier le chiffre d'affaires réalisé directement sur la prestation (par exemple, comment dissocier revenu de publicité et services d’analyse de données fournis par ailleurs ?) ? Et comment, en pratique, contrôler les masses de données en jeu pour mesurer ce que l’Union européenne entend ainsi taxer ?

En second lieu, alors que le projet de la Commission vise à restaurer l’équité fiscale, il conviendrait de s’assurer que cette nouvelle taxe de 3% sera bien payée par les entreprises concernées. Si ces multinationales étaient capables d’augmenter leurs prix du montant de la nouvelle taxe, celle-ci serait alors en réalité payée par les consommateurs européens, comme une nouvelle TVA, ce qui loin de restaurer l’équité fiscale aurait plutôt des effets régressifs.

Enfin, même si l’Europe s’en défend, cette nouvelle initiative de la Commission doit être replacée dans un contexte de concurrence fiscale et économique avec les Etats-Unis. Chaque grand bloc souhaite à la fois capter sa juste part des impôts dus par les multinationales, et protéger ses industries locales. Que cela soit volontaire ou non, le projet de taxe du numérique permettrait d’atteindre ces deux objectifs : les entreprises frappées par la taxe sont principalement américaines et l’existence d’un seuil d’exonération permet d’avantager les plus petites entreprises, notamment locales, contre les plus grandes. Du côté Américain, la réforme fiscale de Donald Trump peut être vue comme une mesure symétrique, quoique plus ambitieuse puisqu’elle ne se limite pas au secteur du numérique, visant à maximiser les revenus du trésor américain et à inciter à rapatrier les investissements productifs aux Etats-Unis.

Il est illusoire d’espérer que la question de la fiscalité des entreprises, en particulier du secteur numérique, puisse se régler de manière unilatérale, d’un seul côté de l’Atlantique. Au contraire, la solution passe par la définition de règles communes, ce qui exige une convergence de vues au moins partielle entre les Etats-Unis et l’Europe. C’est malheureusement tout le contraire auquel on assiste, et l’initiative de la Commission devrait encore creuser le fossé existant entre Washington et Bruxelles. Comme toujours, des politiques non coordonnés créent un risque majeur de double imposition pour les groupes, avec des conséquences sur la croissance économique dont nous pâtirons tous, européens au premier chef.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !