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Taux d'intérêts négatifs : quand la réalité produit l'exact inverse du krach obligataire redouté depuis des années (et l'erreur gravissime de diagnostic que cela révèle)
©Flikcr

(Moins que) zéro pointé

En Allemagne, au Japon ou en Suisse, les taux d'emprunts à 10 ans sont désormais négatifs. Alors qu'une partie conséquente des experts et de nos élites craignaient un crash obligataire, la réalité est simple : la BCE n'était pas trop accommodante, mais trop restrictive.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Atlantico : ​Alors que l'Allemagne, le Japon, ou la Suisse voient leurs dette à long terme s'enfoncer à des niveaux de taux d'intérêts inférieurs à 0, que peut on dire de la signification d'une telle anomalie ? S'agit il pas d'un signe évident que l'économie traverse une crise d'une nature nouvelle ? Quelle est elle ?

Mathieu Mucherie : Ce n’est pas une anomalie si les pressions déflationnistes poussent les perspectives de PIB nominal vers le bas et poussent les risques vers le haut (d’où l’afflux vers les seuls actifs considérés comme sans risque).

Depuis 2008, la brèche déflationniste n’est pas vraiment colmatée, comme en témoignent les anticipations d’inflation ; les banquiers centraux ont fait grossir leurs bilans mais au final ils ont crée très peu de monnaie nouvelle : circulation monétaire n’est pas création monétaire, et les banques commerciales sont encore incapables de créer de la monnaie comme autrefois même si elles y sont très incitées. Tout fonctionne au ralentit, la croissance de la masse monétaire comme la vitesse de circulation de la monnaie, la croissance du PIB nominal comme le commerce international. Et dire que les banques centrales sont partout dénoncées comme étant trop « accommodantes » ! Dans le même registre de l’illusion nominale la plus crasse, notons que le taux allemand 10 ans est, en termes réels, négatif de façon quasi-ininterrompu depuis fin 2011, depuis que JC Trichet a provoqué une méga-crise par ses hausses de taux et par ses chantages vis-à-vis des « périphériques ». On ne se soucie toujours que des taux nominaux… et on ose dire que l’épargne est menacée, alors qu’en fait l’épargne peu risquée s’en sort très bien depuis 2008 en comparaison des revenus d’activité et des revenus entrepreneuriaux, et elle progresse même rémunérée à 0%.

De nombreux experts se sont exprimés sur le sujet et sur le risque d'un krach obligataire. C'est notamment le cas de Jean-Claude Trichet qui estimait en 2011 que l'inflation menaçait les pays d'Europe (voir ici) ou de Patrick Arthus, pour qui l'explosion de la bulle obligataire serait pire que les subprimes​ ​(voir ici). Que peut-on dire aujourd'hui d'une telle analyse ? Où se sont trompées les Cassandre d'hier ​, comment expliquer une telle erreur ? 

Les anciennes gloires n’ont pas le bon logiciel, et faute de concurrence ils continuent (si on les obligeait à investir sur leurs scénarios depuis 2008, ils traineraient dans le métro).

Expert en récession, spécialiste reconnu des hausses de taux en pleine crise, JC Trichet a plein de choses à nous apprendre. A mon tout petit niveau, je ne suis pas capable de voir un gros risque d’inflation en pleine chute verticale de l’activité, je n’ai pas les compétences suffisantes pour briser l’économie d’un pays à hauteur de 25 points de PIB en moins de sept ans, et je ne vois pas des krach obligataires partout pour me faire une image de vieux sage à peu de frais (l’impunité est totale pour ceux qui font perdre des milliards en protections inutiles contre un risque imaginaire, alors que ceux qui ont eu raison sur la baisse des taux depuis 2008 sont encore traités comme de doux dingues).

Pour Patrick Artus, ce n’est pas très grave, puisque ce qu’il publie en fanfare à 9h30 est contredit par ce qu’il professe doctement à 12h, qui est ensuite contredit par ce qu’il annonce avec aplomb à 17h. Les effets d’éviction prévus sont restés sans effets, l’aléa moral lié au QE qui pourrait générer un surcroit de dépenses publiques a plutôt débouché sur une certaine modération sur ce front, et même la FED doit remettre les hausses à plus tard puisque l’inflation est un encéphalogramme plat. Des choses ont été faites avec les QE pour que les taux nominaux remontent (notez que ce petit bout de phrase n’est pas compris par 90% des commentateurs, alors que c’est la base de la théorie monétaire et l’évidence empirique des QE anglo-saxons), mais rien n’y fait, il faudrait une détente monétaire bien plus franche pour que les taux reviennent « à la normale ». Au fond, Patrick Artus n’a jamais aimé Milton Friedman et, pas de chance, il tombe sur une crise où le logiciel friedmanien est incontournable, bien plus performant que la pseudo « trappe » keynésienne ou les boucles prix-salaires surréalistes à partir de courbes de Phillips bidonnées. Il n’est pas le seul dans cette situation et il est sauvé par les dérives bien plus graves des analystes allemands ; c’est tout de même dommage pour le débat public hexagonal.

​Quels sont les remèdes d'un telle situation ? Comment les pouvoirs publics pourraient ils réagir efficacement​ ?

Il ne peut pas y avoir de hausse forte et durable des taux nominaux et réels dans le contexte monétaire actuel. Seule une création monétaire massive (monnaie hélicoptère ? annulation massive des dettes ? QE amplifié, vecteur de dévaluation ?) permettrait de choquer les anticipations vers le haut, mais on en est loin, sauf peut-être au Japon, et encore. Et de toute façon, cette hausse des taux là serait inoffensive, puisque gagée sur une hausse de l’activité. La hausse « méchante » des taux se fait quand l’économie est au plus mal, c’est donc une hausse liée à des craintes de défaut, des doutes sur la qualité de la signature, ou le plus souvent en occident une hausse liée au fait que le banquier central n’est plus considéré par le marché comme un rempart (comme vers 2011 pour l’Espagne et l’Italie, vues les machinations de la BCE) : une vilaine spirale peut se mettre en place, et d’autant plus rapidement que les stocks de dettes sont élevés. Mais, pour cela, il faut un banquier central qui joue contre l’économie, contre le gouvernement, soit pour suivre une parité nominale fixe idiote (la Banque de France vers 1992, d’où la récession de 1993), soit pour suivre des chimères (BCE en 2008, BCE en 2011). Et contre cela il n’y a pas grand-chose à faire puisque les banquiers centraux ont été rendus indépendants, inamovibles, et puisqu’on leur a donné tous les moyens de chantage (supervision bancaire, par exemple). Il faudrait alors pour redevenir solvables que les Etats se débarrassent de tout le fardeau indépendantiste accumulé depuis le Traité Maastricht, ce qui ne sera pas évident. Les Anglais peuvent reprendre la main, les eurolandais bien moins. Devinez pourquoi le débat outre-manche est à ce point rempli d’éléments « irrationnels »…

PS : petites parenthèses sur l’actualité british

1/ si on est authentiquement libéral, on réserve les majorités simples, 50%+1 voix, à des nominations mineures comme un président de la République française, par contre dans un dossier qui implique les générations futures (« Brexit » ou pas, Maastricht…), la décision démocratique serait plus compatible avec une majorité qualifiée, genre 2/3 (chez Wicksell et chez les autrichiens, sans doute plus). Personne n’en parle. Tout le monde s’en moque. On savait déjà qu’il n’y avait pas de libéraux à Paris, on découvre en ce moment qu’ils sont archi-minoritaires à Londres.

2/ on dit que les positions pour le Brexit sont irrationnelles. C’est ce que tout l’establishment parisien a dit pendant toutes les années 1990 à propos du refus britannique de l’euro. La City devait péricliter, etc.

3/ A titre personnel, je suis plutôt pro-Brexit, pour un vaste coup de pied dans la fourmilière. Mais ce serait très mauvais pour la France : se retrouver encore plus scotchés avec les allemands n’est pas un destin très enviable.

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