Taliban, Islam et fait tribal : petit retour sur quelques confusions médiatiques<!-- --> | Atlantico.fr
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Un combattant taliban au milieu de la foule aux portes de Kaboul en août 2021.
Un combattant taliban au milieu de la foule aux portes de Kaboul en août 2021.
©AFP

Afghanistan

Alors que le nouveau gouvernement a été présenté en Afghanistan par les Taliban, la réalité tribale du pays est souvent méconnue.

Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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À l'été 2021, on lit dans les médias dits d'"information" les mêmes sottises sur l'Afgha­nistan, les Taliban, les gentils et méchants régionaux, que vingt ans auparavant.

Voilà, à titre correctif, l'indéniable réalité régionale, preuves à l'appui. Loin des fariboles médiatiques, connaître cette réalité permet cependant un crucial diagnos­tic, seul capable empêcher, à l'avenir, des désastres pires encore que l'actuel.

En 1992, Shah Massoud s’empare de Kaboul. Le régime communiste afghan s’ef­fondre, Mohamed Najibullah se terre. Que deviennent les généraux pachtounes de l’ex-armée rouge Afghane et du KGB afghan, le KHAD, qu’ils soient de la fraction Khalk (parti communiste pro-chinois) ou Parcham (prosoviétique) ?

 De 1990 à 1992, ces marxistes-léninistes purs et durs se laissent pousser la barbe et s'engagent discrètement chez le salafiste Gulbuddin Hekmatyar, tous Pach­tounes ! dans les coups durs, la fraternité tribale est une valeur bien plus sûre qu'une religion sur laquelle les occidentaux s’obnubilent. Exemples [1]:

- Commandant en chef l’artillerie de l’armée rouge afghane, le général Shahnawaz Ta­naï passe chez Hekmatyar en 1990 ; en 1995 chez les Taliban.

- Le chef Taliban « Mollah Borjan » (aujourd’hui décédé) est l'ex-général "communiste" Turan Abdurrahman.

- Chefs du service de renseignement des Taliban, Shah Sawar et Mohamed Akbar sont d’anciens patrons, l'un du SR militaire de l’armée rouge afghane, l'autre du KHAD.

- Mohammad Gilani, général en chef de l’« armée de l’air » des Taliban, provient aussi de l’armée communiste.

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Et s’il existait un moyen (relativement) simple de traiter le défi posé par les Talibans

Cette réalité tribale explique le soutien du Pakistan aux Taliban : en 2020, on y compte 20 millions de Pachtounes indigènes, d’abord implantés dans la Province de la frontière du Nord-ouest ou Pakhtunkhwa, plus 3 millions de Pach­tounes-afghans réfugiés - en fait, plus de Pachtounes au Pakistan qu’en Afghanistan même !

(Gros) arrangements entre... ennemis

De 1996 à 2001, les Taliban contrôlent 90 % de l’Afghanistan. Seules leur échappent deux enclaves du nord du pays, l’une peuplée d’Ouzbeks, l’autre de Tadjiks ; associées en une branlante « Alliance du Nord ». L'enclave tadjike occupe la vallée du Panshir, isolée par de hautes montagnes, percées de rares gorges. Les méchants Tali­ban y as­siègent de gentils Tadjiks dont l'émir est Shah Massoud, icône absolue des médias oc­cidentaux ; tous deux censés se combattre sans merci.

Or durant tout le « blocus », les Taliban eux-mêmes alimentent la vallée du Panshir par le trafic quotidien de centaines, voire de milliers d’ânes chargés de nourriture, pièces détachées, carburant & denrées diverses. Les témoins sont formels : ce n’est ni une ini­tiative locale, ni un trafic à l’insu des responsables du blocus, ni une tolérance ; c'est un système sophistiqué. Tout âne est taxé 10 $US la « rotation » ; en voyant passer 500 d’un coup à la seule passe de Giobah, un témoin admiratif du volume trafiqué qualifie les Taliban de business-friendly...[2]

Résumons. Pour les politiciens et médias occidentaux, à un bout de la chaîne, les mé­chants ; à l’autre les gentils ; les journalistes narrent le fanatisme et la férocité des uns, la modération et la modernité des autres. Or gentils et méchants partagent en douce les profits du trafic : l’argent déversé sur l’"Alliance du nord" alimente pour part – bien sûr, der­rière le dos des naïfs qui l'entretiennent – le budget du Mollah Omar et d'al-Qaïda.

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[1] Voir la révélatrice étude du chercheur Finlandais Anssi Kristian Kullberg, expert de l’Asie Centrale et de l’Afghanistan, Turkistan Bülteni, 19/12/2001.

[2] Voir : In conquered Kabul, Tim Judah, New York Review of Books, 20/12/2001.

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