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Syrie : en prenant la présidence du Conseil de sécurité de l'ONU, la France peut-elle changer la donne ?
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Allô Pékin ? Allô Moscou ?

La France prend ce mercredi la présidence tournante du Conseil de sécurité pour un mois. Un moyen de peser plus lourd dans le bras de fer pour faire accepter à la Russie et à la Chine un projet de résolution sur la Syrie ?

Colum Lynch

Colum Lynch

Colum Lynch est journaliste pour le magazine américain Foreign Policy, pour lequel il couvre les problématiques diplomatiques, notamment au sein des Nations unies.

Il a longtemps couvert, pour le Washington Post, les questions de sécurité nationale et les crises internationales. Il a notamment travaillé sur l'Afghanistan, l'Irak, le Soudan, la Somalie, le Liban ainsi que les ambitions nucléaires de l'Iran et de la Corée du Nord.

Il rapporte sur le blog Turtle Bay ce qui se passe dans les coulisses des Nations unies.

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Atlantico : Mercredi, la France prend la présidence du Conseil de sécurité des Nations unies pour un mois. Le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius a annoncé lundi son intention d'organiser une réunion d'urgence sur la Syrie dès cette semaine. Est-ce un moyen pour Paris de renforcer la pression sur le dossier syrien et pourrait-elle ainsi convaincre Pékin et Moscou d'adopter enfin une résolution ?

Colum Lynch : La France est un membre permanent du Conseil. Si elle veut qu'un sujet soit abordé, elle n'a pas besoin de la présidence. Elle a d'ailleurs été assez agressive dès le départ dans sa manière de pousser les problématiques liées à la Syrie en haut de l'agenda du Conseil. Avant le premier veto russe, elle avait déjà tout fait pour faire passer des sanctions contre le régime syrien.

Les vetos contre ces sanctions se sont multipliés au fil des différentes négociations. J'ai du mal à croire qu'en prenant la tête du Conseil, la France puisse parvenir à rompre la rupture qui existe au sein de celui-ci. Je pense qu'ils saisiront toutes les opportunités possibles pour évoquer la situation, en général, au Moyen-Orient. Mais je doute qu'ils parviennent à convaincre Moscou d’accepter les résolutions qu'ils cherchent à faire passer.

Les pays occidentaux ont beau chercher par tous les moyens à faire adopter ces mesures, la Russie reste ferme. Aucune pression politique, y compris de la part des Etats-Unis, ne semble pouvoir faire céder Moscou. Les Français parviendront peut-être à hausser le ton sur le sujet, et il est fort probable que les Allemands [NDLR : qui prendront la présidence tournante au mois de septembre] poursuivent dans la même direction, mais c'est tout.

Comment se positionnent les autres membres du Conseil de sécurité sur ce dossier ?

La première résolution écrite par les Européens a été votée en octobre dernier. La Russie et la Chine ont apposé leur veto, mais ils n'étaient pas les seuls pays à ne pas soutenir ce texte : l'Afrique du Sud, le Liban, le Brésil et l'Inde se sont abstenus. Les Indiens et les Sud-Africains, notamment, se sont montrés particulièrement sceptiques quant aux déclarations et aux rapports évoquant une guerre civile.

C'est en février que l'on remarque une évolution, avec un nouveau projet de résolution. C'est à cette période qu'ont lieu d'importants bombardements de la ville de Homs. La nature du conflit a escaladé vers une répression beaucoup plus brutale. Tous les membres du Conseil l'ont soutenue… en dehors de la Russie et de la Chine qui ont apposé leurs vetos.

En juillet, la situation a de nouveau empiré : le Pakistan et l'Afrique du Sud se sont abstenus sur le dernier vote. Kofi Annan réclamait du Conseil de Sécurité d'imposer des conséquences pour les responsables des violences.

La difficulté, dans ces projets de résolution, c'est qu'ils relèvent du chapitre 7 de la charte des Nations unies. Ce texte permet de justifier des sanctions contre un Etat. Il se compose de deux articles. Le 41, qui évoque uniquement des sanctions et des mesures économiques et le 42 qui inclut à peu près tout le reste. Depuis l'invasion de l'Irak, les Russes sont assez énervés lorsqu'il s'agit de se reposer sur une résolution pour entrer en guerre : ils exigent systématiquement que tout texte précise spécifiquement qu'il relève de l'article 41 et non du 42 afin de prévenir tout usage de la force. C'est une formule avec laquelle tout le monde est parfaitement à l'aise. Les Occidentaux ont d'ailleurs bien expliqué qu'ils voulaient des sanctions sans intervention militaire. Ils se bornent pourtant à rédiger des textes relevant du chapitre 7 dans son intégralité. Pourquoi ne pas tout simplement préciser dans le document que l'usage de la force n'est pas prévu ? On peut comprendre dans cette situation la suspicion des Russes.

Pour résumer, si l'Occident, la Russie et la Chine s'opposent fermement sur ce dossier, les autres pays évitent de trop prendre parti. Les Européens sont soudés mais les pays émergents ne veulent pas se retrouver pris entre les deux bords.

Suite au veto russo-chinois sur le dernier projet de résolution, l'ambassadrice américaine aux Nations-Unies Susan Rice dénonçait un « échec » du Conseil de sécurité et annonçait que les Etats-Unis poursuivraient l'effort diplomatique en dehors des couloirs de l'ONU. Est-ce une position qu'il est possible de tenir ? Les Occidentaux peuvent-ils protéger les populations syriennes sans l'aval du Conseil de sécurité ?

Effectivement, elle a tenu ce discours. Elle a expliqué que la diplomatie onusienne avait échoué et que tout cela avait aboutit à un cul de sac. Lorsqu'elle parle de sortir du cadre du Conseil de sécurité, elle évoque en réalité une possible intervention militaire. La Grande-Bretagne a bien précisé qu'elle ne participerait pas à une telle opération. Les Américains, en tenant une telle position, ne veulent en réalité pas changer de stratégie. Il s'agit de soutenir l'opposition sans pour autant l'armer, apporter un soutien humanitaire. Un article récent du Washington Post évoquait les difficultés des services de renseignement américains pour récolter des informations sur l'opposition syrienne : ils se reposeraient surtout sur le travail des services turcs pour savoir ce qui se passe sur place.

Les Américains n'en savent pas assez sur l'opposition pour intervenir. Je ne vois aucune indication qui puisse faire de la Syrie une priorité pour Washington, notamment dans un contexte électoral. La semaine dernière, Barack Obama a souligné ses préoccupations quant au Moyen-Orient, évoquant notamment le besoin de protéger la population en Syrie. C'est une sorte de signal pour prouver que les Etats-Unis ne cherchent pas à s'ingérer dans cette crise.

Les Européens se cramponnent à une rhétorique très dure. Ils veulent maintenir la pression au Conseil de sécurité. Pourtant, dans les faits, nous ne sommes pas dans la situation du Kosovo où ils étaient intervenus en force. Aujourd'hui, nous sommes revenus à une diplomatie se jouant au Conseil de sécurité. Au Moyen-Orient, il semble nécessaire que toute décision soit validée aussi bien par l'Occident que par la Russie.

Propos recueillis par Romain Mielcarek

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