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Syrie : comment l’attitude des Occidentaux vis-à-vis d’el-Assad prépare des lendemains encore plus sombres que la dictature actuelle
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No future ?

Un changement de régime en Syrie n'apporterait pas nécessairement la démocratie...

Frédéric Pichon

Frédéric Pichon

Frédéric Pichon est diplômé d’arabe et de sciences-politiques. Docteur en histoire contemporaine,  spécialiste de la Syrie et des minorités, il est chercheur associé au sein de l'équipe EMAM de l'Université François Rabelais (Tours).

 Il est également l'auteur de "Syrie : pourquoi l'Occident s'est trompé" aux éditions du Rocher,  "Voyage chez les Chrétiens d'Orient", "Histoire et identité d'un village chrétien en Syrie" ainsi que "Géopolitique du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord".

Il anime en parallèle le site Les yeux sur la Syrie.

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Ce mercredi, l’appareil sécuritaire syrien a été frappé en plein cœur. Aussi spectaculaire que soit l’opération, elle révèle les limites de la rebellion, mais surtout du projet occidental pour la Syrie future. Le régime n’a pas encore dit son dernier mot.

Il est très probable que la thèse d’un kamikaze soit écartée au profit d’un « retournement » dont certains services secrets occidentaux maîtrisent parfaitement les arcanes. Mais surtout, en l’absence de soutien tactique venu de l’extérieur (OTAN, ONU), cette opposition armée se trouve condamnée à une guerre asymétrique, faite de harcèlement et d’attentats. Au passage, on appréciera l’ambiguïté française qui, par la voix du porte parole du Quai d’Orsay Bernard Valero, semblait se réjouir de façon indécente de l’événement pour expliquer que « rien n’arrêtera la marche du peuple syrien vers un avenir démocratique ». Avec ce genre de méthodes, il n’est pas sûr que le résultat soit atteint avant plusieurs siècles… Ban Ki Moon lui-même, pourtant peu suspect de complaisance envers Damas, a eu la décence de condamner l’attentat le lendemain.

Alors que les Américains comme les Russes semblent converger vers une solution « réaliste » (éviter un second Irak), c'est-à-dire l’idée d’une transition politique, les gesticulations droits-de l’hommistes de la diplomatie française risquent de nous laisser spectateurs de terribles massacres à venir. Les droits de l’homme ou la continuation de la guerre par d’autres moyens ?

Pour autant, quels scenarii sont maintenant envisageables, une fois prouvé que les Occidentaux n’ont rien fait pour empêcher la militarisation de l’opposition, parrainée par les soutiens régionaux peu regardants sur les « aspirations démocratiques »?

On peut s’attendre sûrement à une escalade de la violence de la part  du régime soudé autour de l’assabyia alaouite (encore qu’il puisse y avoir au sein même de cette communauté des divergences comme il y en a eu dans le passé). L’armée, rappelons-le, a subi de lourdes pertes depuis les débuts de la révolte et même si l’on se fie à l’unique source d’information labellisée par les médias occidentaux, l’OSDH, le total approcherait des 5000 morts. De quoi mettre toutes ses dernières forces dans la bataille et pourquoi pas l’aviation, jusqu’ici restée clouée au sol sur recommandation de Moscou. En tout état de cause, l’image du régime ne peut pas être pire que celle qu’il a déjà. Ses tentatives pour tenter d’apparaître plus crédible à l’extérieur (organisation d’élections, non utilisation de l’aviation sur les conseils de la Russie, nomination d’un ministre de la Réconciliation nationale) ont été vaines et suscité ricanements et indifférence.

Que l’on apprenne que le journaliste français Gilles Jacquier a été tué par les rebelles (comme les observateurs de la Ligue arabe l’avaient dit dès le début, c’est-à-dire en janvier 2012) n’y changera rien, que la commission d’enquête sur les « massacres » et notamment celui de Houla risquent de rendre des conclusions plus nuancées que la vulgate qui a immédiatement été assénée, peu importe : les noms d’oiseaux ont fleuri,  « boucher de Damas », « massacreur », même dans la bouche de Laurent Fabius, des gros titres tels que « Bachar el Assad s’acharne sur les journalistes ». Bref un régal pour les salles de rédaction en panne d’imagination. Mais à quoi tout cela va-t-il mener ?

Excluons d’emblée toute idée de transition politique. On a beaucoup parlé du général Tlass ces temps-ci, qui a l’heur d’être sunnite, mais on peut parier à coup sûr que le CNS et les rebelles n’accepteront jamais une telle solution, ni aucune autre d’ailleurs. Quand on se bat depuis maintenant depuis 18 mois, on ne se laisse pas voler la victoire dans la dernière ligne droite…

En l’absence d’intervention extérieure, tout naturellement vont se constituer des zones de repli, loin des grandes villes. En effet, la guerre menée est de basse intensité et entièrement tournée vers la maîtrise des espaces urbains et particulièrement meurtrière pour leurs populations. Au prix de pertes collatérales énormes et de l’échec des forces conventionnelles, trop lentes et constamment harcelées. On pense à la région de Lattaquié où pourrait se constituer facilement un réduit alaouite, étendu jusqu’à Tartous où les Russes disposent d’une base navale. S’y agrègeront probablement, comme c’est le cas depuis quelques jours, des chrétiens fuyant les grandes agglomérations et venant chercher asile dans la bien nommée Wadi al-Nasara (vallée des chrétiens), non loin de Marmarita.

Et quand les massacres commenceront, visant les alaouites, mais aussi les chrétiens (feu Daoud Rajha le ministre de la Défense était chrétien), que diront les chancelleries et les rédactions ? qu’ils l’ont bien mérité ? Ne sera-t-il pas trop tard pour regretter de n’avoir pu ni su faire émerger une opposition pacifique pourtant bien présente sur la scène syrienne et connue des chancelleries ?

Et quand le Kurdistan syrien deviendra autonome et tentera de se rapprocher de son homologue irakien, croit on que la Turquie laissera faire ? Sur un autre front, l’Iran et le Hezbollah, déjà à l’oeuvre sans doute dans l’attentat qui a visé des touristes israéliens en Bulgarie, vont-ils rester inactifs ? Bahreïn toujours occupé par les chars saoudiens s’embrasera probablement à nouveau et le Golan, jusqu’ici fermement tenu par la police et l’armée syrienne laissera déferler les djihadistes bientôt orphelins du terrain de jeu afghan, en direction de la Galilée… La crise syrienne ne fait que commencer et les Cassandre se feront une fois de plus vilipender.

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