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Sur l’accord CETA, ne pas se tromper de combat
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Protectionnisme

L’accord de libre échange CETA avec le Canada a été ratifié par le parlement français, ce qui rend furieux nombre d’agriculteurs français qui entre autres expriment leur colère par diverses exactions contre les permanences de leurs députés. Mais, en la matière, il convient de ne pas se tromper de combat !

Bruno Parmentier

Bruno Parmentier

Bruno Parmentier est ingénieur de l’école de Mines et économiste. Il a dirigé pendant dix ans l’Ecole supérieure d’agronomie d’Angers (ESA). Il est également l’auteur de livres sur les enjeux alimentaires :  Faim zéroManger tous et bien et Nourrir l’humanité. Aujourd’hui, il est conférencier et tient un blog nourrir-manger.fr.

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Un pays de 35 millions d’habitants peut-il vraiment menacer un continent de 510 millions ?

Si le Canada était en Europe, il aurait certainement été membre fondateur de notre Union ! Difficile en effet de trouver dans le monde un pays qui nous soit plus proche culturellement, en particulier dans sa partie francophone du Québec. De plus c’est un petit pays, l’équivalent du Bénélux. Les échanges que nous ferons avec lui seront donc par essence faibles en volume. Concrètement on parle d’exportation de viande équivalentes à 0,6 % de la production européenne ; pas de quoi déstabiliser le marché ! Cet accord est donc avant tout symbolique.

Notons d’ailleurs qu’il a été négocié à la fois par Hollande et Sarkozy, puis ratifié par Macron. Sa portée est finalement surtout politique ; il montre que l’Europe, contrairement aux USA de Trump, veut rester ouverte au monde, et d’une certaine manière est prête à établir de bonnes relations avec les pays que ce dernier rejette, même s’ils sont ces voisins, à commencer par le Canada, mais aussi le Mexique et ceux du Mercosur. On préfèrerait qu’ils se tournent vers la Russie ou la Chine ?

Les droits de douane n’ont rien à voir avec les normes sanitaires et environnementales

On évoque l’arrivée massive de viandes sales et polluantes, pleines de produits chimiques interdits en Europe. Mais… que viennent faire les droits de douane là-dedans ? Quel que soit le montant des taxes, c’est à nous les acheteurs, et en dernière instance les consommateurs, de fixer les qualités de ce qu’on désire acheter et manger. Le mouvement de croissance spectaculaire du marché du bio dans les dernières années en témoigne.

Regardons justement ce qui s’est passé avec le bœuf canadien après deux années d’application de cet accord CETA. Seuls 36 fermes ont fait acter là-bas que leurs bœufs étaient élevés sans hormones, condition nécessaire exigée par l’Europe. Et dans la réalité on a importé 1 000 tonnes, même pas 2 % de ce qu’autorisait l’accord initial ! La phobie des hormones en Europe a été plus forte que la volonté d’abaisser les droits de douane !

Continuons donc à exiger toujours plus d’informations précises sur les conditions de production et la composition exacte de ce que l’on nous propose. C’est ça le vrai combat, quel que soit le pays d’origine.

Les problèmes des éleveurs français sont bien plus importants que la concurrence canadienne

En France, la consommation de viande n’a cessé d’augmenter au XXe siècle. On est passé de 30 kilos annuels par personne dans les années 30 à 100 kilos en l’an 2000 ! Les éleveurs se sont donc mis à faire de la quantité. Puis notre appétence pour ces aliments a radicalement décru. Du coup les arguments des anti-viandes portent davantage qu’auparavant, que ce soit les questions de santé (manger trop de viande provoque obésité, cancers, athérosclérose, etc.), d’écologie (cette activité réchauffe fortement la planète, et ponctionne exagérément ses ressources), ou de bien-être animal (allant jusqu’à l’injonction de plus en plus pressante de certains végans à stopper purement et simplement ce type de consommation).

Notons bien que, dans les années 50 à 70, quand on voulait pouvoir enfin manger de la viande, personne ne se souciait de la souffrance animale, ni du réchauffement provoqué par les rôts et les pets des vaches, ni des dégâts à la santé publique d’une consommation excessive !

Mais la baisse de la consommation que nous observons depuis l’an 2000 (on est passé de 100 à 85 kilos, soit 15 % de moins), ne fait que commencer ! Nous avons encore probablement à absorber une baisse de 20 à 35 % dans les décennies à venir, la consommation finale pouvant très bien se situer entre 50 et 60 kilos par an ! Nombreuses sont les familles où on observe que les enfants mangent beaucoup moins de viande que leurs parents, et ça continuera avec les petits enfants !

La profession doit donc impérativement faire face à une gigantesque mutation, tout comme la profession viticole quand notre consommation de vin a chuté en quelques décennies de 140 litres à 40 litres par personne et par an ; pour survivre elle est passée entièrement sur une production de qualité : il n’y a plus de « gros rouge qui tache » en France, ni de litrons de vin à 80 centimes de francs, mais plus que du bon et du très bon vin, vendu nettement plus cher (et par 75 centilitres).

Dans ce contexte, se saisir d’une possibilité d’importation de viande canadienne de bas de gamme en quantité marginale n’est qu’un prétexte, une sorte de goutte d’eau qui fait déborder un vase déjà trop plein. La société doit impérativement accompagner cet effort gigantesque de toute une profession pour passer de la quantité à la qualité. Notons d’ailleurs que les filières de qualité reconnue souffrent actuellement beaucoup moins que les autres, comme par exemple le poulet de Loué, le fromage de Comté, ou le lait bio…

Si nous mangeons moins de viande, et seulement de la viande de qualité, il faut accepter de la payer plus chère, et l’Etat doit accompagner le mouvement. Ce n’est pas le cas, les éleveurs se sentent abandonnés, et cela provoque des jacqueries, compréhensibles mais qui se trompent de combat…

Les canadiens ne vont pas nous empoisonner

Qui a peur de la nourriture qu’on sert dans les restaurants quand il va au Canada ? Ceux qui par hasard seraient inquiets à Montréal ou Ottawa ne devraient plus jamais voyager, car alors que mangeraient-ils à Alger, Bamako, La Paz, Moscou ou Pékin ? L’idée que les produits canadiens sont « intrinsèquement mauvais » est absurde. Ils n’ont pas exactement les mêmes normes que nous sur tout, et alors ? Les québécois ont même une espérance de vie un peu supérieure à la nôtre ! C’est à nous d’imposer nos propres règles sanitaires sur ce que nous leur achetons, si nous y tenons vraiment, comme on l’a fait pour le bœuf aux hormones. Et c’est forcément le continent de 520 millions qui gagnera sur le pays de 35 millions ! Faire peur aux consommateurs pour leur faire cautionner un conflit commercial marginal est peut-être efficace, mais pas très honnête.

Les transports par bateau ne réchauffent pratiquement pas la planète

Un autre argument des opposants aux accords internationaux est qu’il peut sembler absurde et dangereux pour la planète de transporter de la nourriture sur des milliers de kilomètres. Mais là, il faut se demander si c’est par avion ou par bateau. Les transports par avions sont à proscrire, absolument. Arrêtons donc les fraises à Noël et les roses à la Saint Valentin !

L’empreinte carbone des bananes par exemple est finalement plus importante pour aller en camion du Havre à Rungis, puis de Rungis à Lyon que pour aller en bateau de Fort de France au Havre ! et même celle de la viande de moutons élevés exclusivement à l’herbe en Nouvelle Zélande reste inférieure à celle des moutons du centre de la France partiellement nourris aux céréales et soja…

On peut comprendre que c’est désagréable pour les agriculteurs français d’avoir sur certains créneaux et à certaines périodes de l’année un concurrent supplémentaire à cause de cet accord, mais, du point de vue de la planète il n’est absolument pas évident que, rendu à Rungis, le bœuf canadien arrivé par cargo via Le Havre soit vraiment un désastre par rapport à celui des Pyrénées…

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