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Superstar surprise : ce qui explique vraiment l’engouement Mélenchon
©AFP

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Selon le baromètre Kantar Sofres-OnePoint publié par Le Figaro.fr, le candidat de la France Insoumise gagne 19% d'opinions favorables, et arrive donc en tête des candidats à qui les Français souhaitent donner plus de responsabilités à l'avenir. Un indice révélateur sur une certaine reconversion des électeurs qui ont besoin de renouveau. Mais aussi une victoire pour le candidat des Insoumis. Car si peu de français partagent vraiment ses opinions, son positionnement et son charisme séduisent.

Virginie Martin

Virginie Martin

Virginie Martin est Docteure en sciences politiques, habilitée à Diriger des Recherches en sciences de gestion, politiste, professeure à KEDGE Business School, co-responsable du comité scientifique de la Revue Politique et Parlementaire.

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Erik Neveu

Erik Neveu

Erik Neveu est un sociologue et politiste français, professeur des universités agrégé en science politique et enseigne à Sciences Po Rennes.

Il est l'auteur de l'ouvrage "Sociologie politique des problèmes publiques".

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Atlantico : Comment expliquer cette ascension de Jean-Luc Mélenchon, alors même que ses positions sur l'Union européenne par exemple sont loin d'être majoritaires dans l'opinion ?

Erik Neveu : N'oublions pas qu'opinions favorables et intentions de vote sont des choses différentes. Les raisons de la relative popularité de Mélenchon sont diverses. Pour les uns il est la dernière voix de gauche qui puisse faire un résultat. Pour d'autres c'est un politique qui sait à la fois parler le langage de l'émotion, mais qui peut prendre le temps d'entretenir un auditoire de sujets compliqués ou imprévus (l'économie de la mer, son plan budgétaire). Et ne pas être considéré comme un peu débile peut valoriser un public. D'autres apprécient une forme de constance, sa gouaille, le coté grande gueule un peu surjoué. Une popularité naît aussi de la moindre séduction des autres :Hamon se débat dans un feuilleton de lâchages, Le Pen inquiète jusqu'à une part de celles et ceux qui songent voter pour elle. C'est un des secrets de campagne que d’agglomérer des soutiens aux raisons pas 100% cohérentes, et donc de rendre au moins tolérables de points du programme plus clivants. Et est-il d'ailleurs sûr que l'Europe telle qu'elle est instituée suscite une telle adhésion, qu'une bonne partie des électeurs n'aient pas envie d'un dirigeant qui donne un peu du poing sur la table face à l'influence allemande en Europe ?

Peut-on parler d'une prime à la radicalité dans l'opinion ? Faut-il être "dégagiste" pour plaire aujourd'hui?

Erik Neveu : Si dégagiste veut dire qui ne souhaite pas continuer à voir gouverner les membres d'équipes qui ont exercé les fonctions gouvernementales depuis quinze ou vingt ans – et qui étaient parfois au pouvoir dès les années 80 oui ! La France est un cas qui devient pathétique de maintien des mêmes aux affaires ou dans l'attente d'y revenir jusqu'à ce que mort s'ensuive. Aux USA, en Grande Bretagne ou en Allemagne, les battus quittent la scène. Est-ce une « radicalité, terme qui suggère l'excès, la raideur ?  Ou une forme de réflexivité collective que de se rebeller ? Beaucoup d’électeurs, de groupes professionnels ou sociaux ont des motifs raisonnables de penser que la classe politique française n'est pas parvenue ne serait ce qu'à a faire modestement avancer la résolution de grands problèmes qui affectent la vie quotidienne (chômage, arrêt de l'ascenseur social, situation des banlieues populaires). L'impression est aussi puissante – et pas sans fondements : prés de 30% des députés actuels n'ont jamais eu d'autre métier que la politique- que le monde politique de haut niveau s'est clos sur lui même, est peu varié socialement, sans imagination créatrice pour identifier et s'affronter aux problèmes. Faut-il s'étonner qu'une puissante envie de faire le grand ménage existe  et que les candidats qui s'en réclament suscitent l'atttention ?

Mélenchon n'est-il pas dans le registre du professeur qui expliquerait le monde complexe dans lequel nous vivons? Peut-on dire que, paradoxalement, Mélenchon surfe sur la vague du participatif et du renouveau citoyen, mais s’impose en même temps parce qu' il réintègre de la verticalité en étant celui qui "éclaire le monde confus", complexe et en pleine évolution dans lequel nous vivons ? Quel est le bénéfice d'adopter cette position pour le candidat ?

Erik Neveu : Mais Mélenchon est un ancien enseignant, et cela ancre des dispositions. Oui il y a chez lui une capacité à entrer dans ce qu'un journaliste de télé appellerait un « tunnel », une explication un peu longue et dont on se dit qu'elle va faire décrocher. C'est parfois ce qui se passe. Mais plus souvent les publics – qui sont rarement faits de gens hostiles- apprécient. Il y a une demande de comprendre un monde complexe, opaque, où les interdépendances entre nations, économies, groupes sociaux s’enchevêtrent, ou des réalités pratiques (une usine qui ferme, un métier qui change) ont des causes lointaines ou plurielles. Faire de la politique c'est offrir des principes de vision et division du monde. Le faire avec responsabilité c'est tenter de partir d'une compréhension précise, fouillée de son temps et sa société. Mais en effet Mélenchon est aussi vertical. Il met en scène une posture de leader, d'homme qui résiste et tient bon. Il n'est pas sûr que son rapport au Parti de Gauche soit prodigieusement horizontal et participatif, même si la « France insoumise » reprend une logique participative, avec du tirage au sort, l'idée de "remontées d'idées" de la base. Être à la fois celui qui écoute, qui éclaire les raisons individuelles, qui sait trancher à la fin du processus, c'est une formule du leadership. Elle est aussi fragile parce reposant sur des tensions, exposée à se brouiller si une de ces trois composantes mange les autres.

Virginie Martin : Je trouve qu'il est plutôt dans de la théâtralisation d'un programme politique.

C'est quelque chose qui lui sert énormément parce qu'en politique, dans le contexte dans lequel nous sommes, dans cette société du spectacle, de la communication, si vous ne vous adressez pas aux émotions, aux schémas de représentation au "pathos", vous échouez.. Vous n'arriverez pas à parler à l'autre, il ne vous entend plus. Si vous êtes trop sur la démonstration, le "logos", un peu comme le fait Benoit Hamon, vous tapez dans le mur. Aujourd'hui, la communication la plus efficace est celle qui va vous pousser à toucher en plein cœur vos électeurs. Benoit Hamon a des thématiques qui sont des thématiques de "chaire", mais il le dit de manière trop rationnelle, trop logique, trop raisonnée. Jean-Luc Mélenchon, là-dessus, joue véritablement, à risque, la carte du gouvernant à terme plébiscité, et sur cette suprématie très charismatique. Il joue à fond avec les codes que demande aujourd'hui notre société de communication. Par exemple sur sa chaîne Youtube, il joue dans l'empathie, dans la sympathie. On partage des analyses, mais on s'énerve aussi. On met un peu de sentiments. Il y a quelque chose de très intime. Il manie les sentiments en permanence. Avec l'humour, de la tristesse, de la colère. Mélenchon a toujours été comme ça. Il arrive à capter l'attention.

Emmanuel Macron et Marine Le Pen sont également, à leur manière, des candidats "hors du système" qui plaisent aux Français. A quoi la France est-elle en train de se convertir ?

Erik Neveu : Dire qu'un candidat est hors-système c'est par les temps qui courent lui donner un brevet d'excellence. C'est un argument ancien des Le Pen, fondé sur le fait que le FN n'a jamais exercé le pouvoir (mais son bilan dans les mairies qu'il gère est il si prodigieux, en rupture...avec quoi?), qu'il propose une série de mesures qui le démarquent des autres formations. Venant de Macron on peut y associer la revendication de casser le clivage gauche-droite, une forme de dépassement des anciennes fractures partisanes. Mais que peut vouloir dire anti-système de la part du ministre des finances sortant, d'un ancien collaborateur de premier plan du Président, sorti du moule ENA et de l'inspection des finances, d'un ex banquier d'affaires ? La « conversion » des français est un lent processus. Faut-il une grande mémoire pour se souvenir de toutes ces soirées électorales depuis vingt ans avec forte abstention, montée du FN, plus épisodiquement de votes très à gauche. Le cercle des crocodiles, politiques et éditorialistes, y jurait main sur le cœur : « demain rien ne sera plus pareil..nous avons entendu le message ! » et tout continuait comme avant le lundi matin. Tant va la cruche à l'eau dit le fabuliste...que le désir de changer s'impose. De changer vers quoi ? Il n'est pas sur que beaucoup d’électeurs aient une claire réponse : être écoutés, voir des enjeux urgents pris en charge, en finir un monde clos de professionnels du politique aux oppositions de façade et aux consensus silencieux (ne pas changer vraiment l’impôt, laisser l'école plus ségrégative sans cesse). Ce sont là des points de convergence importants, mais ils ouvrent une immense variété de possibles !

L'Histoire de France a souvent été décrite comme étant une Histoire de passion, de révolutions, en opposition à l'Allemagne ou à l'Angleterre qui seraient des pays de "réformes". Les Français ont-ils besoin que la situation "explose" pour qu'il y a ait du changement ? Sommes-nous en train d'assister à ce phénomène, avec la montée des extrêmes qui s'affrontent ?

Erik Neveu : Il est vrai que la France est plus un pays où le conflit régule les tensions sociales, d'abord parce que le dialogue et l'écoute des gouvernés ou salariés y sont peu pratiqués, que les organisations représentatives (on peut penser aux syndicats ou partis) ont peu d’adhérents, que prévaut dans des administrations et beaucoup d'entreprises une culture d'exercice vertical et non participatif du pouvoir. Mais ne forçons pas les oppositions. Les anglais ont coupé la tête d'un de leurs rois avant nous, l’avènement du syndicalisme y fut marqué de violents affrontements. Les allemands ont eu la République de Weimar chaotique, le nazisme. Et quand aujourd'hui le syndicat IG Metal lance une gréve, ce n'est pas une petite journée de 24 heures ! Pour inverser un peu la formule de la question, les portes du changement s'ouvrent surtout en France quand les titulaires de l'autorité ont rendu la situation tendue et accumulé colère et frustrations. Colère donc explosion? C'est à voir, il a au moins autant dans l'humeur actuelle lassitude, dégoût et envie de se détourner du jeu. Cela sera t-il canalisé soit sur une offre électorale de changement qui fasse consensus ? Mais quand une part de l'argumentaire pour le vote Macron est de « barrer la route » à Marine Le Pen est-on dans l'adhésion à un projet positif ? L'éléction, nullement impossible, de Marine Le Pen ouvrirait-elle vite une phase de tensions, de polarisation idéologique : c'est une possibilité non une évidence.

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