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Suicides, dépressions, mal-être... Les terribles vérités occultées par l'omerta qui pèse sur le monde hospitalier
©Flickr/Viajar24h.com

Bonnes feuilles

En 2013, l'unique enquête nationale réalisée auprès de 1472 étudiants en médecine a permis de chiffrer les violences qu'ils subiraient durant leurs études : plus de 40 % d'entre eux ont déclaré avoir été confrontés personnellement à des pressions psychologiques, 50 % à des propos sexistes. Pour mieux comprendre cette souffrance, Valérie Auslender lance un appel à témoins en août 2015 et recueille plus d'une centaine de témoignages d'étudiants en profession de santé. Extrait de "Omerta à l’hôpital" du Dr Valérie Auslender, aux Editions Michalon (2/2).

Valérie Auslender

Valérie Auslender

Valérie Auslender est médecin généraliste attachée à Sciences Po.

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En tant qu’étudiant infirmier, j’ai subi du harcèlement moral, des menaces et des pressions pour les bilans de stage. Je sais que je ne suis pas le seul dans ma promotion, dans mon IFSI et ma région d’étude. Je peux même dire que je ne suis pas celui qui a eu le plus de problème. Durant l’année universitaire écoulée, il y a eu onze arrêts (ou reports) de formation rien que dans ma promotion. Le plus souvent suite à des stages qui ont détruit des étudiants. Notre parole ne vaut pas grand-chose face aux équipes et aux formateurs de l’institut qui nous font de beaux discours sur leurs rôles d’écoute et d’aide aux étudiants mais ils n’agissent que très rarement.

Pour mon IFSI, on remarque que cette inaction peut être liée soit directement au formateur référent du lieu de stage pour  différentes raisons (copinage avec l’équipe, anciens collègues, plaisir de démolir des étudiants, logique que l’étudiant ait toujours tort), soit à la peur de perdre un lieu de stage qui manque cruellement aux IFSI. Dans ma région, certains lieux de stage sont tellement réputés tristes que les étudiants ont peur d’y aller. Il s’agit le plus souvent d’hôpitaux avec des services qui tournent parfois avec deux infirmiers pour treize étudiants infirmiers.

Nous sommes souvent vus comme les « bons à tout faire », nous devons être sur tous les fronts, répondre à toutes les sonnettes, tout savoir mais ne jamais montrer qu’on en sait plus que l’infirmière ! Nous devons obéir – et avec le sourire – et souvent oublier nos droits. Les tâches les plus ingrates sont souvent pour nous. Nous devons montrer une détermination sans borne, ne rien dire quand une infirmière se moque de nous devant l’équipe, voire, devant les patients.

Parfois, le stage devient une épreuve, un calvaire qui nous tord les tripes tous les matins. Certains pleurent, d’autres tombent malades, d’autres arrêtent le stage ou la formation et certains se donnent la mort. Notre formation est très touchée par les suicides – nous qui apprenons à considérer les patients dans leur globalité, à être à l’écoute et considérer l’importance de la psychologie dans les soins – et nous nous retrouvons face à des professionnels qui nous détruisent. Heureusement, tous nos stages ne se passent pas ainsi, nous tombons aussi sur de bonnes équipes qui nous motivent à faire ce métier que nous avons choisi. Nous chérissons ces équipes qui nous permettent d’oublier les autres et de passer à autre chose. La Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers (FNESI) a commencé à briser l’omerta. Une enquête nationale a été faite en novembre 2014 et les chiffres furent effrayants.

Nos instituts ne sont pas démocratiques pour l’instant, contrairement aux universités. Les directions ont les pleins pouvoirs et certains en abusent, parfois aux mépris des lois malheureusement. Là aussi, la FNESI agit et nous défend régulièrement aussi bien dans nos instituts que sur les stages en nous expliquant nos droits, les lois et les actions et recours possibles.

Nous avons tous des histoires horribles à raconter. Les nôtres ou celles de nos camarades de promotion. Nous sommes nombreux à espérer que les choses changent mais témoigner ouvertement est pratiquement impossible car la loi nous interdit de parler en mal des infirmiers et des infirmières et les répercussions sur notre formation peuvent être importantes. Les violences que nous subissons ne sont pas uniquement lors de nos stages. Nos instituts sont loin d’être des paradis… Beaucoup d’étudiant(e)s n’osent pas parler. Je souhaite garder l’anonymat afin de pouvoir obtenir mon diplôme et une embauche. Je dois me protéger.

(Quelques mois plus tard)

J’ai «  évolué  ». Je suis maintenant à la FNESI et ma vision des choses a beaucoup changé. J’ai commencé à faire bouger des choses dans mon IFSI et dans ma région. J’ai cherché à faire appliquer les lois sur la formation. Cela a engendré des soucis en stage puisqu’un formateur appelait mes lieux de stage pour dire aux équipes que j’étais à la FNESI et qu’il fallait me « dégommer ».

En parallèle, j’ai aidé comme j’ai pu des étudiant(e)s avec des soucis en stage et avec leurs IFSI. Nous avons dans tous les IFSI de nombreux arrêts de formation liés aux stages, harcèlement moral, harcèlement sexuel parfois. J’ai même entendu une histoire où une étudiante de mon IFSI se faisait frapper par un infirmier. Des poursuites ont été engagées par l’IFSI contre cette personne. Dans certains services, ridiculiser les stagiaires est presque un sport, un passe-temps… Hurler sur un stagiaire devant les autres stagiaires, toute l’équipe et les patients est monnaie courante. Beaucoup d’étudiants en soins infirmiers ou aides-soignants craquent sous la pression, se mettent en arrêt, abandonnent. On apprend plus tard que certain(e)s ont fait des tentatives de suicide et/ou des dépressions.

Dans certains IFSI, les chantages illégaux sur la validation des stages sont fréquents. Un IFSI a même forcé les étudiants de deuxième année à travailler dans un EHPAD où il y avait du personnel manquant à cause d’une épidémie de gale. En cas de refus, ils ne pouvaient pas passer leurs examens. D’autres IFSI font repayer le passage des matières à partir du troisième rattrapage en plus des frais d’inscription, d’autres instituts expulsent des étudiants de manière totalement illégale. Des étudiants en difficulté financière reçoivent comme information provenant d’assistantes sociales, qu’ils doivent porter plainte contre leurs parents pour avoir de l’argent afin de poursuivre leurs études. J’ai mis le doigt sur de gros soucis comme le manque de formation des tuteurs dans ma région. La désinformation faite par beaucoup de directions – mais pas toutes, je tiens à le préciser – est impressionnante.

On s’interroge sur comment des soignants peuvent être autant destructeurs ? Les témoignages sur des sites comme infirmiers.com sont nombreux. Pourtant les choses bougent tellement lentement. Nous, les infirmiers, avons certes un passé lourd à porter avec les bonnes sœurs et une vision de l’abnégation et de l’obéissance sans borne mais en 2016, il est temps d’évoluer.

Mesdames, Messieurs, si jamais vous avez des doutes, que vous pensez que toutes ces histoires sont fausses, venez passer quelques semaines sur des lieux de stage à problèmes et vous verrez ce que l’on subit et ce qui nous détruit.

Extrait de "Omerta à l’hôpital" du Dr Valérie Auslender, aux Editions Michalon

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