Stromae : pourquoi ses proches n'y croyaient pas au début de sa carrière <!-- --> | Atlantico.fr
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Le chanteur Stromae.
Le chanteur Stromae.
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Bonnes feuilles

Mais qui est vraiment Stromae, ce jeune homme sorti de nulle part devenu en quelques semaines une star internationale, au point d'avoir vendu plus d'un million d'albums et redressé une industrie du disque sinistrée ? Qui est cet artiste " au physique non imposant de perchiste et aux longs membres de marionnettes ", comme l'a écrit le New York Times ? Extrait de "Formidable Stromae", de Stephane Koechlin, publié aux Editions du Moment (2/2).

Stéphane Koechlin

Stéphane Koechlin

Stéphane Koechlin a écrit une vingtaine d’ouvrages dont cer - tains ont été distingués. Il est, notamment, l’auteur d’un livre somme sur Bob Dylan, Épitaphes 11 (Flammarion, 2004), de James Brown (Gallimard, 2007), Michael Jackson, la chute de l’ange (L’Archipel, 2009) et, Juré (Flammarion, 2006), un essai littéraire sur la cour d’assises qui a obtenu le prix Comte de Monte-Cristo.
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Stromae souhaite tourner un clip de la chanson « Alors on danse », il publie une annonce sur Facebook pour engager des figurants. « Nous recherchons UN MAXIMUM DE MONDE de TOUS LES ÂGES et de TOUS LES HORIZONS! » Des métis, des Blancs, des cheveux longs, des barbus, des « traits prononcés », à partir de trois ans. Le casting aimerait engager un homme de cinquante ans, plein de « prestance », afin d’interpréter l’irascible et inquiétant patron de bureau. Le tournage se déroule le 26 sep- tembre 2009. Stromae a rassemblé les ingrédients de l’ennuyeuse vie de bureau, le ventilateur, les classeurs, le téléphone à la sono- rité froide. Le jeune artiste s’amuse à jouer un salarié fatigué, quitté par sa femme, enseveli sous les documents. Il place plu- sieurs scènes dans le Oud Drogenbos, lieu magique de son quartier d’enfance. Ce « caberdouche », terme bruxellois dési- gnant un café mal fréquenté, possède la réputation des bistrots de nuit peuplés de vagabonds, de poètes. L’intérieur offre un écrin élégant de bois, où les reflets des bouteilles et de verre se fondent dans le soleil de l’après-midi. Suivre Stromae, c’est parcourir le charmant village d’Astérix, de la boutique de Havane au Prive- joke, qui fournit le dandy en vêtements, jusqu’au toit des magasins Old England où il aime déjeuner. Ses films balisent ses délicieux chemins urbains. « On sort pour oublier tous les pro- blèmes, alors on danse. »

Il ne prend pas tout de suite conscience de l’affolement des compteurs. 42 millions de regards visionneront le clip « Alors on danse ». En cette fin d’année 2009, le bonheur le porte tandis que sa route traverse encore une Belgique rurale, peu connue. Les patrons de discothèques s’arrachent le jeune artiste accessible. Un samedi d’octobre, il vient honorer un ancien contrat, au bord d’une nationale, entre Namur et Marche-en-Famenne, dans un dance club, Le Trébuchet. Une nuit profonde enveloppe la ferme en pierre, un petit château échappé de l’histoire. Les voitures rou- lent au ralenti sur un champ humide, cahoteux. Ce club, ouvert en 1978, a failli disparaître en 2012 pour des questions adminis- tratives, mais il a réussi à survivre, au grand bonheur d’un public amoureux de petites salles hors du temps, emboîtées les unes dans les autres, noyées de lumière bleue. Le patron, Olivier Trébuchet, mène depuis des années avec passion sa petite affaire de nuit, comptant sur ses contacts pour amener chez lui des personnalités attractives. Il ne cache pas sa fierté d’avoir invité la rappeuse Diam’s, alors inconnue, au début des années 2000. Il compte bien publier sur son site les photos de son autre gloire, Stromae, fier de son joli coup. Il a profité des bons offices d’un jeune indépendant namurois, Dimitri Delecaut, qui a été l’un des premiers à lui parler du phénomène et a servi d’intermédiaire. Olivier a engagé le jeune artiste belge sans se douter que son étoile grimperait en flèche. Il a diffusé une publicité à la radio car la renommée de Stromae n’a pas encore gagné tous les foyers belges. Ce soir-là, 700 personnes exaltées se pressent à la porte du club, les boissons coulent, les coeurs battent. Olivier Trébuchet se contentera d’entendre les récits des témoins. Il a quitté la Belgique afin de participer, en Allemagne, à une compétition automobile de Fun Cup, sa grande passion. Des voitures, avec des carrosseries de Coccinelle se tirent la bourre pendant près d’une heure. Il a laissé à sa femme le soin d’accueillir un Stromae disponible et généreux. « Il a l’art de réussir à surprendre. Il est sympathique et rarement à court d’idées 1 », raconte Olivier Trébuchet. « Deux mois plus tard, en décembre, afin de commémorer l’anniversaire de notre club, j’ai essayé de le faire revenir, surtout que son morceau avait continué à monter. C’était trop tard car ses prix avaient considérablement augmenté, trop chers pour les capacités de notre entreprise. » Il regrette d’ailleurs une telle surenchère. Comme les musiciens ne vendent plus de disques, ils se rattrapent sur les concerts. Ils réclament des cachets trop élevés, condamnant des clubs comme Le Trébuchet, dont la jauge limitée (800), ne l’auto- rise pas à payer les 5 000 euros, parfois plus, qu’exigent les artistes. Heureusement les bons souvenirs survivent : « Beaucoup de gens me promettent de le faire venir, mais je ne pense pas qu’il réappa- raîtra chez nous, devant 500 personnes. Pour être honnête, tout en lui trouvant des qualités, je ne pensais pas qu’on entendrait encore parler de lui quatre ou cinq ans après. »

Stromae a bravé le scepticisme de ses proches ou des premiers auditeurs. La chanson ne devait pas marcher ! « Aujourd’hui, c’est évident, dira-t-il sur une radio locale de Saint-Lô, Tendance Ouest. Mais beaucoup de gens ont l’honnêteté de me dire qu’ils n’y ont pas cru, que je chantais bizarrement, qu’on ne comprenait pas vraiment mon délire. »

Les maisons de disques – Warner, Universal – le réclament. Il commence à réfléchir, accumulant des chansons, autour d’« Alors on danse », confronté à son deuxième grand défi : l’élaboration d’une oeuvre unie, loin de la mosaïque numérique. Les critiques le jugeront sur le long terme, une notion devenue presque caduque en ces temps de zapping, d’idoles aussi vite encensées que brûlées. La pression ne l’accable pas trop de toute façon. Une partie du public a déjà entendu, grâce aux Leçons et aux coulisses, l’album à venir. Le clip « Alors on danse » s’est classé numéro un dans de nombreux pays européens, en Belgique, France, Allemagne, Suisse, Italie et Turquie. Stromae n’en revient pas de voir sa chanson en français reprise à l’étranger.

Il répond à l’invitation du NRJ Music Tour, en avril. En chemin, il glane ses lauriers royaux. Le ministre belge de la Cul- ture et de l’Audiovisuel, Fadila Laanan, lui remet le premier Award de la révélation musicale belge de l’année 2009. À toutes ces récompenses, il oppose un flegme plutôt surprenant, résolu à ne pas se laisser griser. Son calme l’aide à bien négocier avec sa maison de disques Mercury. Le patron d’Universal, Pascal Nègre, s’est montré convaincu : « J’ai été séduit par la force de ses chan- sons, le talent qui nous sautait au visage, mais aussi parce qu’il y avait un sacré début de buzz, quelque chose comme 300 000 pages vues sur son MySpace 1. »

Stromae signera à condition de pouvoir préserver sa liberté. Il monte sa propre boîte de production, Mosaert, une référence à Mozart, mais aussi l’anagramme de son pseudonyme. Il laisse à Universal le soin de promouvoir et de distribuer ses albums, mais prend en charge le reste – production, création artistique. Il veut tout superviser, de son personnage à la mise en scène, jusqu’à ses collaborateurs. Jamais il ne se séparera de sa famille, omnipré- sente en coulisses. Il se pose en protecteur des siens, essaie de les préserver de la lumière, craignant que les fans et les indiscrets profanent leur jardin privé. Il ne supporte pas d’entendre cer- taines histoires que ses proches lui rapportent. « Tu es la soeur de Stromae, et tu travailles encore ? » demandent des collègues à la jeune femme dont le frère célèbre a réussi à garder le nom bien caché.

Il consent à évoquer devant la presse ses deux frères, Dati Bendo et Luc Junior, parce qu’ils travaillent avec lui, et sa mère, pour le lien charnel qui les rapproche tant. Elle découpe tous les articles à son sujet, les range dans un classeur. Il lui a acheté une nouvelle maison, dans le village de Huizingen. Il confie son image à son frère photographe, Dati Bendo. Son autre aîné, Luc Junior, s’occupera de la direction artistique, en collaboration avec Romain Biharz. L’ami de toujours, Dimitri Borrey, se charge du management.

Extrait de "Formidable Stromae", de Stephane Koechlin, publié aux Editions du Moment, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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