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Sortir la politique française de la préhistoire : leçon 3 - Big brother is watching you
©Reuters

Série militantisme

Vous pensiez voter en votre âme et conscience dans une démarche strictement personnelle? En réalité, c'est un peu plus compliqué que cela. Après les liens entre psychologie et abstention, et la personnalisation des campagnes, voici le troisième volet de notre série consacrée aux expériences américaines qui pourraient nous inspirer.

Amélie de Montchalin

Amélie de Montchalin

Amélie de Montchalin  diplômée d'HEC et de la Harvard Kennedy School. Elle participe au groupe de réflexion la Boîte à idées.

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 La Boîte à idées

La Boîte à idées

La Boîte à idées est un groupe de réflexion. Composée de hauts fonctionnaires et d'experts du secteur privé, elle émet régulièrement des propositions afin de peser sur la ligne politique de l'UMP.

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Loin d’être un acte purement individuel, voter est un processus collectif, qui répond aux pressions sociales qui s’exercent sur l’électeur. 

Lire les autres épisodes :

Sortir la politique française de la préhistoire : leçon 1 - A quelle heure irez-vous voter ?

Sortir la politique française de la préhistoire : leçon 2 - Être ou ne pas être électeur

Sortir la politique française de la préhistoire : leçon 4 - La force de l’habitude

A l’abri de l’isoloir, au moment de glisser dans l’enveloppe son bulletin, nous avons le sentiment de réaliser l’acte le plus personnel qui soit. Pourtant, si le vote est individuel, la démarche de voter s’inscrit en réalité dans un mouvement collectif et social. Certes, nous votons pour défendre nos convictions et nos valeurs. Mais nous votons aussi – ou surtout ? – pour « faire société ».

Aux Etats-Unis, une école de pensée économique et comportementale s’est développée sous l’impulsion de chercheurs tels que Dan Ariely au MIT, ou Richard Thaler à Harvard. Selon eux, nos actes seraient souvent la réponse personnelle et prévisible à des normes sociales.

Plus que partout ailleurs, les Américains sont constamment amenés à comparer leurs comportements à ceux de leurs concitoyens. Une comparaison qui les invite, de façon plus ou moins implicite, à se conformer à la norme. Ainsi, une compagnie d’eau ou d’électricité va comparer votre consommation à celle des habitants de votre quartier. Une commune va vous inviter à tondre votre pelouse « comme vos voisins», et les services des impôts locaux vous relanceront en cas de retard de paiement, en vous rappelant que « 80 % des habitants ont payé leurs impôts à l’heure ».

Every vote you make, I’ll be watching you

Dans le champ politique, une série d’expériences a été menée par des chercheurs de Yale en 2006, lors des primaires pour l’élection du Gouverneur du Michigan. Pour tester l’importance des normes sociales sur l’abstention, quatre courriers différents ont été envoyés avant le scrutin. Tous ces courriers incitaient les électeurs à aller voter, mais chacun appliquait un degré différent de pression sociale :

-          Le premier se bornait à rappeler que l’abstention gagnait du terrain, et appelait l’électeur à « faire son devoir » ;

-          Le second reprenait la même formulation, mais ajoutait qu’une « étude anonyme pour mieux comprendre l’abstention serait menée dans la circonscription » ;

-          Le troisième rappelait en outre que l’identité des votants et des abstentionnistes était publique, comme c’est la loi aux Etats-Unis, et incluait un récapitulatif de l’historique de participation de l’électeur lors des 3 derniers scrutins ;

-          Enfin, le quatrième courrier envoyait à l’électeur l’historique de vote de ses voisins, en prévenant que cette liste serait à nouveau envoyée à tout le quartier après la prochaine élection.

Avec un écart de 8 points entre ceux qui n’ont reçu aucun courrier et ceux qui ont reçu le plus « engageant », cette étude a eu sur les électeurs un effet radical.

Taux de participation électorale selon le degré de pression et surveillance sociale

Lecture : 31,5 % des électeurs ayant reçu un courrier les enjoignant à « faire leur devoir » ont voté, contre 29,7 % de ceux n’ayant reçu aucun courrier.

Source : Etude réalisée sur un échantillon de 180 002 ménages dans l’Etat du Michigan avant les primaires d’août 2006 pour choisir les candidats à l’élection de Gouverneur de l’Etat. Cet échantillon représentait près de 14 % du corps électoral total pour ces primaires. Source : Alan S. Gerber, Donald P. Green and Christopher W. Larimer (2008). “Social Pressure and Voter Turnout: Evidence from a Large-Scale Field Experiment.” American Political Science Review 102(1): 33-48

ð  Naturellement, ces méthodes qui recourent à la pression sociale et à l’homogénéisation « forcée » des comportements, s’éloignent de l’idéal républicain de l’accomplissement du « devoir civique », et seraient assez mal reçues en France.

 Il n’est donc pas question de transposer en l’état ces pratiques – d’autant qu’elles seraient illégales, l’historique de participation n’étant pas destiné à être utilisé auprès du grand public. Néanmoins, le principe selon lequel une forme d’émulation collective de proximité pourrait réduire l’abstention mérite réflexion.Une manière d’aller dans ce sens pourrait consister à créer des compétitions entre quartiers d’une même ville ou entre communes d’un même département, basées sur leur taux de participation. Les chaînes de télévision nationales et locales pourraient également animer ce type de concours lors de leurs soirées électorales, et offrir des récompenses, naturellement symboliques, à ses vainqueurs (des émissions en direct, un plateau local lors d’un prochain scrutin, des reportages ou interviews etc.)

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