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Sommet social européen : pourquoi il est urgent que les chefs d’Etat de l’Union adoptent enfin des discours et des objectifs RÉALISTES
©Reuters

Une question de réalisme

Dans une tribune, l'économiste Dani Rodrik rapporte les propos d'un dirigeant européen : "Nous accusons les populistes de formuler des promesses qu’ils ne peuvent tenir, mais nous ferions bien d’adresser cette critique à nous-mêmes". Un constat de lucidité face à des électeurs lassés des promesses non-tenues ?

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Ce vendredi 17 novembre s'ouvre le ​Sommet social de l’Union européenne, à Göteborg en Suède, notamment en présence d'Emmanuel Macron. Un sommet qui a notamment pour objectif de répondre à la problématique de la montée du populisme en Europe. Dans une tribune publiée par "project syndicate", l'économiste Dani Rodrik rapporte les propos d'un dirigeant européen en indiquant « Nous accusons les populistes de formuler des promesses qu’ils ne peuvent tenir, mais nous ferions bien d’adresser cette critique à nous-mêmes ». En quoi les dirigeants européens doivent-ils en effet accepter une telle réflexion entre les promesses de la construction européenne et la réalité du terrain en 2017 ?

Edouard Husson : La remarque de cet ancien ministre européen est lucide. L’européisme, version régionale du mondialisme, et le populisme sont des frères jumeaux: l’essor du Front National est exactement contemporain du ralliement du PS, en 1983, au programme centriste, libéral et européiste d’un Delors, qui ressemblait furieusement à la politique qu’avait menée Giscard. C’est à ce moment que droite et gauche de gouvernement sont devenues strictement interchangeables. Et le Front National s’est installé dans un droite-gauche populiste qui répondait exactement au centrisme au pouvoir. Lorsque Jean-Marie Le Pen dit en 2002, dans l’entre-deux-tours, « je suis économiquement de droite, socialement de gauche et nationalement de France », cela fait curieusement écho au triptyque giscardien, réduit à l’échelle française; c’est la France contre l’Europe. Mais, en politique, affirmer « je veux l’Europe » ou « je veux la France » ne veut strictement rien dire. C’est comme dire « je veux le beau temps » ou « je suis contre la maladie ». De quelle Europe, de quelle France parlez-vous? Au jeu populisme contre mondialisme, le mondialisme l’emporte parce qu’il tient les leviers du pouvoir et a plus d’argent. Mais les électeurs renvoient de plus en plus dos à dos populisme et mondialisme dans la mesure où les deux nous privent de ce qui fait vivre la démocratie: un débat entre une droite et une gauche. De quelle Europe? De quelle France parlons-nous? Si le débat entre droite et gauche disparaît, alors nous avons une opposition classe contre classe; les riches l’emportent sur les pauvres tandis que les classes moyennes s’évaporent et la démocratie s’étiole.

​En partant d'un tel constat, quelles seraient les propositions, sur un terrain économique et social, qui pourraient apparaître réalistes​, et ainsi en finir avec des promesses intenables par les gouvernements ? Au regard de la configuration actuelle de l'ensemble, et des jeux de pouvoirs européens, quelles sont les réformes envisageables sur ces questions ?

Par définition, la politique est l’art de choisir entre plusieurs possibilités d’organisation. Le grand politique identifie un levier, qui lui permettra de mettre en mouvement la société de manière rapide et décisive. Pardonnez-moi cette évidence mais les grands politiques sont rares car il faut des hommes et des femmes qui sachent à la fois voir loin et se concentrer, en même temps, sur les  détails qui leur permettront de débloquer des situations. Tenir les deux bouts n’est possible que si l’on a du caractère, du courage politique. Pour être politique, il faut accepter le débat, la joute; il faut assumer clivage, mise à distance. La politique vit du débat entre une droite et une gauche. La France, l’Europe, s’étiolent parce qu’on y voit aucun débat politique. Macron est l’homme du « en même temps ». Angela Merkel n’a cessé de répété « Il ‘y a pas d’alternative ». Réconcilier les peuples avec l’Europe ne dépend pas de la capacité à « faire peuple » des dirigeants. Lorsque Giscard est allé « dîner chez l’habitant » ou a invité des éboueurs au petit déjeuner à l’Elysée, cela ne lui a rapporté aucune voix; cela a même dû lui en faire perdre. Regardez Sarkozy; je me souviens d’un de ses amis d’adolescence racontant en s’amusant: « pendant longtemps, Nicolas ne connaissait que deux lieux en France, Neuilly et Saint-Tropez - peut-être trois avec la station-service à mi-chemin. »; et pourtant Sarkozy a su parler à la France tant qu’il a assumé d’être de droite et proposé des politiques tranchées. Mais, très vite, Sarkozy s’est « giscardisé »: il a pratiqué « l’ouverture »; il a accepté le Traité de Lisbonne; et il est devenu de plus en plus « franco-allemand ». Aujourd’hui, l’enjeu pour l’Europe, c’est que la France mette l’Allemagne au pied du mur: refaire Schengen; avoir une autre lecture du traité d’Union Monétaire, qui implique une politique de change active etc....

Toujours selon Dani Rodrik  "il est naturel que les électeurs se lassent des promesses qu’ils formulent, et qu’ils se laissent séduire par des candidats de l’antisystème, dont ils peuvent raisonnablement attendre un changement par rapport aux politiques habituelles". D'un point de vue politique, comment permettre une reprise de contact entre les populations et un tel projet européen "réaliste" ?

Les élites doivent tout faire pour organiser un débat en leur sein. Il est bon qu’il y ait des libéraux. Il est dommage qu’en face d’eux on ne trouve pas plus de conservateurs. La seule façon qu’aurait la droite française de déstabiliser Macron, c’est de développer un programme conservateur au sens britannique du terme. Personne n’est contre la paix et la prospérité mondiale; personne n’imagine une nouvelle guerre européenne; eh bien, justement, au nom du bien commun - du « Commonwealth »! - il est urgent d’opposer à la politique de Monsieur Macron: 1. Une renégociation de Schengen. 2. L’instauration d’une politique de change active de la zone euro 3. Une politique d’investissement massif, privé comme public, dans l’éducation et la recherche 4. Une politique de soutien aux familles. 5. L’instauration de la souveraineté des Français et des Européens sur les données numériques etc.... Sur chacun de ces dossiers, on voit bien comme le verrouillage des débats par les institutions européennes et le consensus merkelien peut être un obstacle. Tant mieux: il y aura débat; la France réapprendra à exiger la défense de ses intérêts en Europe; il y aura peut-être même cassure avec les partenaires sur tel ou tel point. Il faut être prêt à l’assumer. Et qu’on ne nous raconte pas qu’une nouvelle politique de la chaise vide mettrait en danger l’Europe! Au contraire, c’est la seule façon de la sauver. Il ne s’agit pas, d’ailleurs, de chaise vide! Angela Merkel ou un autre chancelier allemand si cette dernière ne réussissait pas à construire de coalition, arriveront profondément affaiblis par les dernières élections allemandes. La France a la chance d’avoir un président fort au moment où la chancelière est très affaiblie. Il est grand temps de restaurer politique et débat au sein des institutions européennes. C’est d’ailleurs à cette occasion que nous allons voir si notre président est vraiment fort.

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