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Soins palliatifs : un incompréhensible retard français
©FRED DUFOUR / AFP

Une polémique peut en cacher une autre

Alors que la mort de Vincent Lambert au terme de plus d’une décennie de batailles judiciaires et médiatiques a remis la question de l’euthanasie au cœur des débats, comment expliquer notre relative indifférence générale au défi du traitement de la douleur par le système médical français ?

Alain Derniaux

Alain Derniaux

Le Dr Alain Derniaux est ancien vice-président de la SFAP.

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Atlantico.fr : Même si l'accès aux soins palliatifs a été amélioré lors des dernières décennies et pris en compte de façon plus sérieuse, le pays semble toujours en retard et plutôt limité en ce qui concerne l'accès à ces soins et, globalement la prise en compte de la douleur des patients. Quelle explication donner à ce retard ?

Alain Derniaux : Certes les soins palliatifs et la lutte contre la douleur se sont développés mais la formation des médecins dans ces deux domaines est encore insuffisante ; de plus les moyens affectés à ces domaines de soins sont eux-mêmes insuffisants.

La première enveloppe financière permettant de développer les structures de soins palliatifs n’est arrivée qu’à la suite de la loi Kouchner-Neuwirth de 1999, alors que la circulaire actant l’obligation de pratiquer les soins palliatifs a été publiée en 1986 !

Le développement des structures d’expertise(EMSP, USP, réseaux, LISP) se fait de façon hétérogène selon les territoires, certains réseaux de terrain orientés sur le domicile ont été fermés, certaines enveloppes budgétaires ont été réduites de 30%.

On considère encore trop souvent ces structures comme une « cerise sur le gâteau ».

L’ensemble des hôpitaux, sous pression financière, ont bien d’autres priorités et les temps de réflexion en sont réduits de fait !

La réflexion, le questionnement, la recherche de sens constituent le cœur du soin palliatif et nécessite du temps pour mettre en pratique les démarches interdisciplinaires.

Chaque situation est unique, les protocoles généraux d’y répondent pas.

Les professionnels de santé en soins palliatifs plaident pour considérer ces soins ultimes comme des soins majeurs et l’accompagnement de fin de vie comme la simple manifestation du respect de la dignité dus à ceux qui vont nous quitter !

Nous n’y sommes vraiment pas encore.

Au total, à peine un Français sur deux aura accès à une expertise de soins palliatifs… et encore !

Selon le directeur du Comité d'éthique, Jean-François Delfraissy, la loi Leonetti serait insuffisamment appliquée et il n'y aurait pas assez de moyens en soins palliatifs. La question des moyens explique-t-elle tout ?

Effectivement, la loi Léonetti de 2005 avait été évaluée en 2008 et cette évaluation avait pointé le manque de développement suffisant des moyens alloués et le manque très important de formation des professionnels.

Le rapport d’évaluation avait entraîné la création de l’Observatoire National de la fin de vie, avait conclu à la nécessité de poursuivre le développement des structures de soins palliatifs et d’organiser des campagnes d’information du grand public ( une seule campagne à ce jour, sur les directives anticipées en 2017… !).

A mon avis la loi Claeys-léonetti de 2016 a, elle aussi, bien du mal aussi à diffuser dans les esprits.

Tous les rapports ( CCNE, comité citoyen, conseil d’état, IGAS etc…) ont montré eux aussi l’insuffisance de moyens, donc d’accès aux structures d’expertise en soins palliatifs.

Le point positif consiste à avoir mis en avant le principe de réflexion collégiale dans le processus décisionnel à mettre en œuvre dans les situations complexes de fin de vie, malheureusement les contours de cet exercice collégial n’ont pas été suffisamment définis .

Les esprits ne sont pas préparés à la révolution que représente l’approche palliative, si singulière, si chronophage et parfois si anxiogène, tant pour les patients, les familles que les soignants, eux-mêmes non formés à la gestion des émotions suscitées par les situations auxquelles ils (elles) seront confronté(e)s.

Le manque de moyens n’explique peut être pas tout dans le sens où les questions autour de la fin de vie restent encore trop tabou et donc non anticipées suffisamment.

Les performances de la médecine permettent de penser qu’elle est toute puissante et peut (voire doit) retarder la survenue de la mort, elle-même vécue comme un échec. 

On assimile encore trop les soins palliatifs avec les derniers moments de la vie et cette confusion ne facilite pas leur intégration dans le parcours de soins.

Nous militons pour une introduction précoce des soins palliatifs dès le moment où une personne se trouve confrontée à une maladie grave, évolutive et potentiellement mortelle et ce n’est pas le cas actuellement.

Les soins palliatifs ne sont pas mortels, la maladie grave oui !

Quel pays pourrait être pris comme modèle sur ces questions ?

L’Angleterre a développé les soins palliatifs (palliative care) bien avant nous sous l’impulsion du Dr Cicely Saunders qui a créé l’hospice Saint Christopher dans la banlieue de Londres en 1966 ; elle a promu une utilisation plus optimale des opioïdes ce qui a permis de soulager l’immense majorité des patients douloureux.

Elle a initié ces pratiques et a contribué à leur diffusion universelle. 

Concernant la législation autour de ces questions, je pense que la France est très bien dotée et représente un modèle pour de nombreux pays. 

Certains pays, comme la Belgique ont légalisé l’euthanasie mais interdise le suicide assisté ; la Suisse autorise le suicide assisté mais interdit l’euthanasie.

La loi Française actuelle représente le plus juste équilibre et prône le développement de l’accompagnement et des soins palliatifs, comme une alternative crédible, ce qui renforce les piliers et les repères des métiers du soin ; savoir ne pas s’acharner d’une part (primum non nocere) et ne pas donner la mort d’autre part.

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