"Silence dans les champs" de Nicolas Legendre : un réquisitoire à sens unique, peu convaincant, contre le modèle agricole breton<!-- --> | Atlantico.fr
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Le livre "Silence dans les champs" de Nicolas Legendre est à découvrir aux éditions Arthaud.
Le livre "Silence dans les champs" de Nicolas Legendre est à découvrir aux éditions Arthaud.
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Le livre "Silence dans les champs" de Nicolas Legendre est à découvrir aux éditions Arthaud.

Jean-Luc Demarty pour Culture-Pops

Jean-Luc Demarty pour Culture-Pops

Jean-Luc Demarty est chroniqueur pour Culture-Tops.​ Culture-Tops est un site de chroniques couvrant l'ensemble de l'activité culturelle (théâtre, One Man Shows, opéras, ballets, spectacles divers, cinéma, expos, livres, etc.).  Culture-Tops a été créé en novembre 2013 par Jacques Paugam , journaliste et écrivain, et son fils, Gabriel Lecarpentier-Paugam, 23 ans, en Master d'école de commerce, et grand amateur de One Man Shows.

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THÈME

A partir de 300 témoignages dont la grande majorité est anonyme, l’auteur dénonce les méfaits du modèle agricole breton et du système agro-industriel qu’il a généré.

Il accuse les entreprises agro-alimentaires privées et les coopératives agricoles d’exploiter les agriculteurs en les faisant trop travailler et en les sous-payant. L’agriculture intensive développée en Bretagne à partir du début des années 1960, fondée sur la production de porc, de volailles et de lait a conduit au productivisme, combattu par l’auteur.

Ce modèle est responsable de la disparition des haies, des talus, de la pollution des rivières et de la prolifération des algues vertes sur le rivage. Il mène également à la course effrénée à l’agrandissement des exploitations.

Les interviews, généralement anonymes, des partisans d’une autre agriculture de polyculture élevage à base d’herbe, d’animaux en plein air, de préférence bio, décrivent les pressions et les discriminations dont ils ont été l’objet de la part des partisans du modèle intensif dominant et de leurs dirigeants de coopératives qui parfois utilisent leur mandat à des fins personnelles.

Le débat entre les deux modèles peut être résumé par deux personnalités. Tout d’abord Alexis Gourvennec, homme du Léon catholique, leader syndical des années 1960, décédé à 71 ans en 2007, est devenu un gros producteur intensif de porcs et un chef d’entreprise à succès en créant la SICA Saint-Pol-de-Léon, la plus grosse coopérative légumière d’Europe et Brittany Ferries, important transporteur maritime basé à Roscoff. L’auteur lui consacre une dizaine de pages, dont la moitié de témoignages à son propos. S’il décrit son caractère énergique et travailleur, le reste est à charge, ultralibéral, brutal, méprisant les petits agriculteurs qu’il qualifie de minables, prompt à utiliser ses réseaux politiques chiraquiens. Les cinq témoignages à son propos sont tous négatifs.

De l’autre côté se trouve André Pochon, âgé de 92 ans, agriculteur retraité, le pape de l’agroécologie depuis 60 ans. L’auteur est allé lui rendre visite chez lui près de Saint-Brieuc et lui consacre vingt pages élogieuses. André Pochon est en faveur du retour à la polyculture élevage à base d’herbe avec un grand nombre de petites exploitations, de l’élevage en plein air, de l’interdiction du drainage et de l’arasement des haies et des talus, de la limitation des agrandissements, de la limitation drastique des engrais et des pesticides de synthèse. 

En conclusion l’auteur se prononce implicitement en faveur d’une décroissance qui améliorerait les conditions de vie et d’activité

POINTS FORTS

L’auteur a une excellente plume. Le recours à près de 300 interviews constitue une méthode intéressante qui donne l’apparence de l’objectivité.

Les effets négatifs sur l’environnement d’une maîtrise imparfaite du modèle de l’élevage hors sol (porcs, volailles) intensif breton sont incontestables. Le diagnostic sur d’autres éléments est également exact.

Ainsi l’hyperspécialisation dans la transformation et l’exportation de volailles de certaines entreprises bretonnes, à coup d’aides à l’exportation européennes qui ne pouvaient durer éternellement, a fragilisé les exploitations agricoles concernées et conduit les entreprises concernées à la faillite, tout en permettant à leurs dirigeants de s’enrichir. Enfin la recherche quasi exclusive de la production de masse au détriment d’une segmentation du marché en fonction de la qualité est devenue une faiblesse.

QUELQUES RÉSERVES

Le livre est à sens unique avec des interviews réalisées quasi exclusivement avec des opposants au modèle de l’agriculture bretonne. Les dirigeants de coopératives et les politiciens bretons cités et critiqués n’ont même pas été interviewés. Il y a d’un côté les bons, partisans d’un autre modèle, en faveur du bio, de petites exploitations, de l’agroécologie, de gauche face aux méchants productivistes, libéraux, de droite et ne voyant que leur intérêt personnel.

En réalité, l'auteur fait un anachronisme. Au début des années 1960 la taille moyenne des exploitations bretonnes était à peine de 10 ha. Il était impossible de gagner sa vie en polyculture élevage sur de telles exploitations. Les seules options étaient de développer l’élevage hors sol, d’agrandir les exploitations en élevage laitier, de développer les cultures légumières qui ne demandent pas de grandes surfaces et de créer des coopératives performantes pour garder le contrôle de la transformation et de la commercialisation. C’est l’origine tout à fait rationnelle du modèle breton qui a été incontestablement un succès dans l’ensemble. Ainsi le revenu des éleveurs de porcs est en moyenne le plus élevé de toutes les spécialisations agricoles, plus élevé que les céréales et le vin, avec un doublement en EUROS constants durant les trente dernières années.

Par contre cela aurait dû être fait sans détruire toutes les haies ni polluer les rivières et le rivage par les nitrates des effluents d’élevage. Il aurait suffi de traiter ces effluents, ce qui est techniquement facile, mais a un coût. Il existe depuis 1991 une directive nitrates de l’UE, plutôt rigoureuse, que la France n’a pas sérieusement appliquée pendant près de vingt ans, avant d’y être contrainte par la Cour de Justice de l’UE en 2008 sous peine d’amendes de plusieurs dizaines de millions d’EUROS. Depuis cette date, la France applique cette directive en ayant trouvé avec la Commission Européenne les moyens juridiques d’aider transitoirement les agriculteurs concernés, après une négociation complexe entre Michel Barnier, ministre de l’agriculture à l’époque, et l’auteur de cette chronique durant l’été 2008. Les taux de nitrates sont désormais redevenus normaux.

L’incohérence fondamentale des recommandations de l’auteur réside dans l’incompatibilité entre la polyculture élevage à base d’herbe et les petites exploitations qu’il promeut avec un revenu décent. Il faut au moins 120 ha alors que la taille moyenne des exploitations bretonnes, même si elle a beaucoup progressé, n’est encore que de 60 ha. Quant à la recommandation de l’élevage de porcs et de volailles en plein air, c’est assurer la contamination des porcs par la peste porcine véhiculée par les sangliers qui pullulent et celle des volailles par la peste aviaire transmise par les oiseaux sauvages.

En réalité, il est erroné de vouloir remplacer un modèle agricole, partiellement dépassé il est vrai, par un autre. Il y a de la place pour différents modèles simultanément. Ainsi les exploitations laitières bretonnes ont aujourd’hui 100 ha en moyenne dont près de la moitié de prairies naturelles où leurs vaches paissent près de huit mois par an. Ces différents modèles doivent être à la fois économiquement et écologiquement viables. Cela ne veut pas dire faire du bio partout ou mettre fin à la culture du maïs ensilage. Ainsi le prix du lait bio s’est effondré ces derniers mois au niveau de celui du lait normal, alors que le lait bio ne représente que 5% de la production bretonne.

En résumé, ce livre manque de rigueur intellectuelle. Sous couvert de l’objectivité des interviews qui excluent les contradicteurs, il promeut une approche idéologique exclusive, proche de la décroissance. La solution ne réside certainement pas dans le retour à une agriculture archaïque mythifiée des années 1950. Il pourrait cependant y avoir une place très minoritaire pour le modèle agricole de l’auteur en Bretagne, mais certainement pas sur de petites exploitations. En outre, la poursuite de l’agrandissement des exploitations est inévitable et même souhaitable. Elle n’est que la résultante de la destruction créatrice schumpétérienne appliquée à l’agriculture.

ENCORE UN MOT...

Le livre a fait l’objet d’une campagne de promotion sans précédent dans le journal Le Monde avec la parution d’extraits du livre sur deux pleines pages cinq jours de suite. Le syndicat agricole majoritaire, la FNSEA, est voué aux gémonies tandis que la Confédération Paysanne qui défend le modèle agricole de l’auteur et a participé à la récente manifestation interdite de Sainte Soline, sans désavouer les violences extrêmes qui s’y sont déroulées, est portée au pinacle. Il est difficile de ne pas voir dans ce livre la promotion d’un projet politique.

Quelle que soit l’orientation technico-économique de chaque exploitation agricole, le travail de l’agriculteur demeure difficile, nécessitant de longues heures tout au long de l’année, mobilisant de manière souvent risquée un capital personnel important. Le grand écart entre cette réalité et les 35 heures hebdomadaires effectuées par l’écrasante majorité des Français est inévitablement la source de frustrations, encore aggravées par les leçons d’agriculture données par cette majorité citadine.

UNE PHRASE

  • Un vétérinaire : « Je me mets à la place des paysans. On leur dit, d’un côté : faut y aller ! Faut produire ! Faut se moderniser ! De l’autre : vous empoisonnez tout le monde. Ils sont complètement perdus. Ils ne supportent plus que des gens extérieurs à l’agriculture leur donnent des leçons. Ils veulent plus parler. Ils courbent le dos. Ils ont le nez dans le guidon. » p. 51   
  • « Le remembrement est un écocide sans mémoire. Une guerre sans inventaire des pertes. » p. 89
  • « Après avoir quitté les lieux, je me dis qu’André Pochon est, à bien des égards, un anti-Gourvennec. Quand l’un prêchait l’agrandissement des fermes, l’autre vante les installations à taille humaine. Quand l’un prônait la disparition des « petits », l’autre considère qu’une agriculture durable ne peut aller sans paysans nombreux. Quand l’un frayait avec les huiles du RPR, l’autre s’engageait à gauche. Leur attitude diffère aussi. A Gourvennec la virilité tonitruante. A Pochon la douceur espiègle. Ces deux-là ne s’appréciaient guère - euphémisme. » p. 296 /297

L'AUTEUR

Nicolas Legendre est journaliste, écrivain et photographe. Il collabore au journal Le Monde et aux revues XXI et Géo. Il a publié Les Routes de la vodka en 2019 chez Arthaud et L'Himalaya breton en 2020 aux Editions du Coin de la Rue.

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