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Si vous pensiez connaitre la liste des principales puissances économiques mondiales, les incertitudes statistiques sur les PIB pourraient bien pous étonner
©Anthony WALLACE / AFP

PIB nominal

Le PIB nominal est toujours le principal indicateur de comparaison entre les pays. Pourtant cet indicateur est loin d'être fiable si l'on se fie aux simples exemples de la Chine et de la Russie.

Laurent  Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant. Membre du think tank European Centre for International Affairs.

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Atlantico : Que cela soit Thomas Piketty concernant la Russie, ou Michael Pettis concernant la Chine, les évaluations des PIB de certains pays posent question, soit dans une sous-estimation, soit dans une surestimation des niveaux de richesses. D'un point de vue mondial, en quoi les PIB permettent, ou non, de dresser un portrait fiable de la richesse des nations ? 

Laurent Chalard : Le PIB nominal demeurant le principal indicateur de comparaison internationale de la puissance économique des pays, il convient effectivement de s’interroger sur sa fiabilité, d’autant que le fameux "taux de croissance" annuel, véritable « dieu » de notre époque, est calculé dessus. Parmi l’ensemble des indicateurs permettant de mesurer le niveau de richesse des Etats, le PIB nominal est considéré par la majorité des économistes comme l’indicateur le plus pertinent car il calcule la valeur économique réelle de la production d’un Etat à un moment donné, c’est-à-dire la somme de l’ensemble de la production monétarisée produite localement. Si d’autres indicateurs ont été proposés depuis, aucun, jusqu’ici, ne semble permettre une comparaison plus pertinente de la puissance économique réelle des Etats à un instant donné que le PIB nominal.

Cependant, comme tout autre indicateur, il est loin d’être parfait, ayant aussi ses défauts. Tout d’abord, il ne prend en compte que les biens faisant l’objet d’un échange monétaire, donc la production non monétaire comme ce qui relève de l’échange, du bénévolat ou encore de l’éducation n’est pas pris en compte. Or, suivant les pays, cela peut représenter une part plus ou moins importante de la richesse nationale. Ensuite, le PIB nominal ne tient pas compte, sauf exception, du secteur informel, qui échappe largement aux statistiques officielles. Il s’en suit que dans de nombreux pays pauvres, il est difficile de connaître la valeur réelle de la production, en particulier dans ceux où l’économie de la drogue joue un rôle considérable, comme dans les pays d’Amérique Latine. Par ailleurs, le PIB nominal est très sensible aux variations du cours des monnaies d’une année sur l’autre, l’effondrement du taux de change d’une monnaie entraînant mécaniquement un affaissement du PIB alors que son appréciation conduit à son exhaussement. Par exemple, au cours des trente dernières années, les différences de PIB entre la France et le Royaume-Uni s’expliquent autant par la variation du cours des monnaies respectives de ces deux pays que par les différences de taux de croissance. Enfin, comme pour les données démographiques, le PIB nominal est très dépendant de la qualité des données fournies par les instituts statistiques nationaux. Dans les pays développés, il est assez fiable, alors que dans les pays les moins avancés, au système statistique peu performant, les données sont à prendre avec précaution.

Quels sont les cas les plus problématiques sur cette question ?

Parmi les nombreux pays du monde, où il est légitime de s’interroger sur la fiabilité des PIB officiellement affichés, les données de deux Etats, au poids géopolitique international considérable, apparaissent plus particulièrement problématiques. 

Le premier Etat concerné est la Chine, où le PIB est probablement surestimé, comme en témoigne le caractère très linéaire des taux de croissance officiels affichés d’une année sur l’autre, qui ne correspond pas à la réalité des taux constatés dans les autres pays de la planète, où les évolutions apparaissent beaucoup plus heurtées, y compris dans les périodes de forte croissance. Dans les années 2000, certains experts suggéraient déjà une surestimation non négligeable du PIB chinois et, ces dernières années, la suspicion s’est largement répandue chez les économistes suivant avec attention la situation chinoise, qui notent un décalage certain entre le ressenti de l’évolution de l’économie réelle et le taux de croissance du PIB. Selon Michael Pettis, en Chine, deux facteurs laissent plus particulièrement à penser que le PIB a de fortes chances d’être surestimé. Tout d’abord, beaucoup d’investissements dans le domaine non productif sont comptés dans le PIB alors qu’ils n’ajoutent aucune valeur à production nationale. Ensuite, last but not least, l’honnêteté des données statistiques officielles interroge dans un pays où il est bien vu d’afficher localement les niveaux de production les plus élevés possible afin de faire plaisir aux autorités nationales, en montrant que les objectifs de production fixés par le parti communiste sont atteints, voire dépassés, sur le modèle de ce qui se passait en URSS dans les années 1980, Etat qui avait tendance à exagérer les chiffres de production pour donner l'impression de performances économiques meilleures que la réalité. Les pays communistes nous ayant toujours habitué à des données plus ou moins falsifiées, il convient donc d’éviter de prendre pour argent comptant les données officielles, sachant que la Chine a tout intérêt de donner l’image d’une puissance économique plus importante que la réalité, sa puissance à l’international reposant, à l’heure actuelle, essentiellement sur cet argument.

Le second Etat où le problème se pose est la Russie, mais, dans le sens inverse, puisqu’en l’occurrence le PIB nominal serait sous-estimé pour des raisons sensiblement différentes à la Chine. En effet, tout observateur attentif de l’économie russe constate un décalage certain entre l’ampleur du réarmement militaire, qui sous-entend des dépenses considérables, et le budget relativement peu élevé dans le domaine officiellement affiché, ainsi que de la relative faible valeur de la richesse issue du premier producteur mondial de matières premières, comparée à d’autres pays comme l’Arabie Saoudite, qui ne produit quasiment rien à côté de l’extraction des matières premières, alors que la Russie possède un niveau de production de biens manufacturés non négligeable, même s’il est sensiblement inférieur aux pays d’Europe Occidentale. Comme l’explique, entre autres, l’économiste Thomas Piketty, ce paradoxe s’explique assez simplement par le fait que les élites russes détournent une part non négligeable de la richesse issue de la production nationale, en particulier concernant l’extraction des matières premières, qui est directement placée dans des paradis fiscaux à l’étranger, n’apparaissant donc pas dans les statistiques nationales. A cela, il convient d’ajouter la richesse de la mafia russe, jugée par certains experts, comme la plus redoutable (et donc la plus riche) de la planète. La puissance russe reposant plus sur sa puissance énergétique et militaire, le relatif faible affichage du PIB nominal pose beaucoup moins de problème aux autorités qu’en Chine car ce n’est pas sur cet argument que repose la puissance du pays.

Quelles sont les causes récurrentes qui peuvent déboucher sur des sur ou sous-estimations des statistiques officielles ? 

Plusieurs causes récurrentes sont à l’origine de données de PIB nominal qui peuvent s’avérer insatisfaisantes, sachant que ces données sont plus souvent sous-estimées que surestimées, ce qui sous-entend que la richesse mondiale est probablement plus élevée que les statistiques officielles ne le laisseraient penser. Cela permettrait d’expliquer, au moins partiellement, pourquoi plusieurs milliards de personnes arrivent à survivre avec des revenus officiels misérables.

La première cause, primordiale, est l'importance de l'économie informelle. Plus un Etat est pauvre, plus le pourcentage de la production relevant du secteur informel est élevé, en particulier dans les pays producteurs de drogue et/ou les réseaux mafieux sont fortement présents. Il s’en suit que dans de nombreux Etats, le PIB nominal est sous-estimé, en gardant en tête qu’un redressement statistique tenant compte d’une estimation de la part du secteur informel peut avoir un impact sensible sur le volume du PIB, comme ce fut le cas pour l'Italie, qui, avait vu, dans les années 1990, son PIB brièvement côtoyer celui du Royaume-Uni, une fois comptabilisé le secteur informel, ce qui avait grandement offusqué les britanniques à l’époque !

 La deuxième cause est liée aux détournements d’argent par les élites de certains Etats. Dans le cadre de dirigeants prédateurs, malheureusement nombreux sur la planète, les sorties d'argent, détourné de la richesse nationale produite, vers les paradis fiscaux sont conséquentes, et non prises en compte par les données officielles. Par exemple, en Afrique subsaharienne, dans les Etats qui tirent principalement leur richesse de l’extraction des matières premières issues de leur sous-sol, le pillage par les élites est généralisé.

La troisième cause est l’inégale qualité des données fournies par les instituts statistiques nationaux, soit du fait d’un manque de moyens financiers permettant de couvrir l’ensemble de la production de la richesse nationale, soit du fait d’une mauvaise foi de la part des personnes qui fournissent les données au niveau national. Il s’en suit que le PIB peut être sous-estimé comme surestimé en fonction du contexte du pays, sachant que les deux phénomènes peuvent parfois se combiner, sans qu’il soit possible de savoir lequel l’emporte.

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