Si vous croyez qu’exprimer sa colère et ses frustrations est bon pour la santé mentale, ces études vous contredisent<!-- --> | Atlantico.fr
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Un joueur de tennis laisse éclater sa colère.
Un joueur de tennis laisse éclater sa colère.
©Thomas SAMSON / AFP

Cessez de "ventiler" !

Nous sommes nombreux à penser qu’en se défoulant et en extériorisant nos problèmes, nous pourrons trouver des solutions. Pourtant, plusieurs études tendent à prouver le contraire.

Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

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Atlantico : Nous sommes nombreux à penser qu’en se défoulant et en extériorisant nos problèmes, nous pourrons trouver des solutions. Pourtant, plusieurs études tendent à prouver le contraire. Que nous apprennent-elles ? Le fait de se défouler renforce-t-il les émotions négatives ? 

Pascal Neveu : Il est devenu très tendance via des réseaux sociaux de montrer une vidéo où on se défoule, on se « ventile ». Acteurs célèbres, artistes… « crachent » leur colère, « crachent leur venin », l’exhibent en pensant se faire du bien..

Entre les frustrations avec son conjoint, son agacement avec ses enfants, qui n’est pas énervé et ne vit pas une émotion qu’il ne canalise pas ? Sauf que se défouler donne souvent l'impression que cela fonctionne pour amoindrir ou éteindre les émotions négatives… mais des articles universitaires et des travaux cliniques avec des patients montrent que ce n'est pas le cas. En fait, au contraire cela aggrave souvent les choses !

Il faut raisonner sur le plan psychique et le plan neuroscientifique. Et ce sont les neurosciences qui expliquent l’effet négatif de cette décharge « primaire » comme nous pouvions le voir dans une émission télé qui tentait de régler des problématiques systémiques au sein de familles. On frappait, on cassait, on s’insultait, et on tapait... en fait on exprimait verbalement et/ou physiquement l’amertume de son âme ainsi que ses souffrances et douleurs. Avec quels résultats à long terme ?

Insulter, faire un doigt d’honneur, casser un verre servent-ils réellement ? A part une décharge pulsionnelle d’agressivité voire un moyen, via nos mécanismes de défense psychique de ne pas commettre un passage à l’acte criminel.

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Comment les chercheurs sont-ils arrivés à de telles conclusions ? Pourquoi avons-nous pensé si longtemps qu’il était important d’extérioriser ses émotions ? En quoi cela peut-il être dommageable ?

Cela remonte à l’antiquité. Déjà Aristote évoquait les émotions et l’effet positif de la catharsis, mais Freud est celui qui a vraiment développé la notion de l’abréaction : la décharge émotionnelle qui est d’ailleurs au cœur même de la cure analytique. Tout ce que j’ai refoulé, que je me suis empêché de penser, de dire, de faire comme si on tapait dans un sac de boxeur afin de décharger nos tensions et nos pulsions négatives. Et cela nous thérapeutes travaillons afin que nos analysants expriment ce refoulé.

Je raconte toujours aux personnes que je forme des cas d’analysants qui revivent des événements en reprenant parfois la voix de leur enfance ou adolescence en exprimant une émotion, une agressivité, une colère…  refoulée. Une fois l’événement revécu et exprimé ils se libèrent. Nous sommes là dans cadre thérapeutique qui n’est pas celui de cette fameuse « ventilation » qui est questionnée car non cadrée et qui ne reste qu’une décharge dans le vide, sans revécu à nouveau, sans sujet auquel on livre son émotion bloquée, stockée intérieurement.

Il est vrai que dans les années 60, beaucoup  d'expériences notamment menées par la chercheuse Carol Tavris lui a valu de dire en 1988 : « Il est temps de mettre une balle, une fois pour toutes, au cœur de l'hypothèse de la catharsis » avec le scandale que nous pouvons imaginer suite à de tels propos.

Des universitaires chercheurs se sont amusés à « exciter » voire rendre « fous » des étudiants. Ces derniers avaient alors la possibilité de s'en prendre physiquement à un sac de boxe ou verbalement. Ensuite, les chercheurs ont vérifié si cette « ventilation » réduisait leur agressivité. Les résultats ont systématiquement démontré que ceux qui se défoulent ne présentent pas de niveaux d'agressivité ultérieurs inférieurs. En fait, leurs scores pour la colère et l'agressivité deviennent même légèrement plus élevés après l’expression de leur colère et de leurs émotions.

Lors d’une autre étude de 2002 on a critiqué et sanctionné de manière violente les épreuves écrites de 600 étudiants. On leur a également proposé de frapper un sac de boxe. Ensuite on leur a donné l'occasion de s’exprimer face à leur enseignant qui leur avait infligé une mauvaise note. Les personnes faisant partie des groupes de frappeurs de sacs ont déclaré avoir ressenti plus de colère et étaient plus susceptibles d’être encore plus agressifs que celles et ceux qui n'avaient rien fait.

Si l'hypothèse de la catharsis semblait légitime, on découvre en fait que l'effet s’orienterait dans la direction opposée et serait beaucoup plus important.

Pensons au système cérébral et notamment ce que nous appelons la plasticité neuronale, qui explique pour quelle raison cette « ventilation » renforce les émotions négatives. Représentons nous que nos circuits cérébraux sont comme des sentiers de randonnée. Ceux qui sont les plus fréquentés deviennent plus lisses, plus larges, plus profonds. Et alors les voies neuronales qui restent en « jachère » qui sont sensées se développer deviennent moins susceptibles d'être utilisées.

On devient alors obsessionnel, fixé dans ses pensées, amplifiant nos émotions négatives.

Une étude de l'Université catholique de Louvain a également montré que les amis qui répondent en vous réconfortant procurent un baume sur le moment, mais ce type de soutien n'aide pas à traiter la douleur ou le traumatisme.

C’est une sorte d’enfermement par rumination.

S’il n’est pas recommandé d’exprimer sa colère et sa frustration lorsqu’on en ressent le besoin, à quel moment devient-il préférable d’en faire part ? N’est-il parfois pas dangereux de tout garder pour soi ?

Professionnels, nous sommes surtout inquiets face à la décharge de colère et de frustration sur les réseaux sociaux. Les commentaires sont de plus en plus agressifs, violents, menaçants, et rarement positifs. Cela concerne un hôtel, un restaurant, une personne publique, une contribution dans un media presse/télé/radio.

Cela est à questionner car reflète effectivement une société angoissée, en colère qui explose à un moment donné mais concerne certaines personnes plus fragiles qui pourraient passer à l’acte.

Je ne développerai pas des actes criminels, des agressions physiques de personnalités, de politiques depuis des dizaines d’années.

Pour autant des études ont montré que nous vivions une baisse de la tension cardiaque de 10% après cette expression ventilatoire. En revanche on n’observe pas de baisse concomitante de l'hostilité. En fait, nous avons l'impression de libérer de la colère ou de la frustration, mais ce n'est aucunement le cas.

Certes on nous dit que nous devons reconnaître nos émotions et fixer des limites dans nos lieux de travail et nos relations. Cela peut paraître plus compliqué pour les hommes. Mais réaliser que « Je suis en colère » est totalement différent que de dire à quelqu'un « Je suis en colère ». Et c’est à la portée de tout le monde. Comme l'a dit un chercheur, « évacuer la colère, c'est comme utiliser de l'essence pour éteindre un incendie ». Car cela nous dessert encore davantage dans le regard de l’autre et la propagation de notre image et crée une forme d’isolation. L’incendie se propage davantage.

 Bref, si je le dis ouvertement : arrêtez de « ventiler » ! Ça ne marche pas.

Car en fin de compte, la colère est comme la fumée. Il faut s’attaquer à ce qui alimente le feu.

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