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Si les traumatismes peuvent se transmettre en héritage, de nouveaux traitements pourraient-ils bloquer cet impact transgénérationnel ?
©ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

Recherche médicale

Des chercheurs étudient la transmission de traumatismes d’une génération à une autre. Ces anomalies épigénétiques interviennent dans le développement de certains cancers ou certaines maladies métaboliques.

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet est psychiatre, ancien Chef de Clinique à l’Hôpital Sainte-Anne et Directeur d’enseignement à l’Université Paris V.

Ses recherches portent essentiellement sur l'attention, la douleur, et dernièrement, la différence des sexes.

Ses travaux l'ont mené à écrire deux livres (L'attention, PUF; Sex aequo, le quiproquo des sexes, Albin Michel) et de nombreux articles dans des revues scientifiques. En 2018, il a publié le livre L'amour à l'épreuve du temps (Albin-Michel).

 

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Atlantico : Une étude du Zuckerman Institute de l’Université Columbia à New-York travaille actuellement sur la transmission de traumatismes d’une génération à une autre. Comment le stress des expériences et des environnements traumatiques peut-il être transmis par les parents à leur future progéniture ?

Jean-Paul Mialet :Caenorhabditis elegans est un petit ver d’un intérêt moyen pour le public ordinaire. Mais il aura valu le prix Nobel en 2011 à deux chercheurs qui ont démontré que lorsqu’on lui avait appris à être attiré par une odeur, cette attirance se transmettait sur trois générations. La transmission d’une forme de mémoire était ainsi établie.

Peut-on étendre le phénomène à la transmission d’un souvenir traumatique ? De nombreuses recherches ont été effectuées dans ce domaine au cours des dix dernières années. et elles plaident dans ce sens - ce aussi bien chez l’animal que chez l’homme.

On a montré, par exemple, qu’un stress chez le souriceau laisse une empreinte (modification du comportement et de la production de certaines hormones) sur sa descendance pendant au moins deux générations, même si le petit n’a eu aucun contact avec les parents et qu’il est conçu par fécondation in vitro ou mère porteuse. De même, l’exposition d’une jeune souris à un désherbant détermine une susceptibilité à cette substance dans les générations suivantes. Chez l’humain, en étudiant la longévité d’orphelins de père après la Grande Guerre, on a pu établir qu’un stress maternel prénatal affecte la durée de vie de l’enfant : les enfants dont le père est mort avant la naissance ont une durée de vie réduite de plus de 2 ans par rapport à ceux dont le père est décédé après la naissance. Et l’on a observé que des grandes famines ont des effets délétères sur les générations suivantes qui n’ont pas connu de famines : on y constate plus fréquemment des maladies cardiovasulaires, métaboliques et des atteintes rénales.

Comment expliquer cette transmission à la descendance de souvenirs qui marquent la mémoire d’un individu, mais ne modifient en principe pas son ADN et ne devraient donc pas être héritables ? La raison en est la modulation de l’ADN par des mécanismes épigénétiques transmissibles ; cette découverte récente aboutit à un véritable changement de paradigme, rendant obsolètes les modèles traditionnels de la transmission génétique.

Les travaux de l’épigénétique sont-ils prometteurs ? 

Jusqu’à présent, disons jusqu’aux années 90, la transmission héréditaire se concevait uniquement comme une transmission d’ADN, la fameuse double hélice localisée dans le noyau des cellules et correspondant à l’inscription d’une série de gènes. Des changements ne pouvaient intervenir que par mutation ou par accident.

La démonstration d’effets de facteurs d’environnement sur l’hérédité amènent à reconsidérer la question de l’expression génique et ouvre un nouveau champ de recherche, celui des mécanismes épigénétiques. Pour prendre une image, l’ADN avec sa longue séquence de gènes est conçu comme un livre dont on ne lirait pas toutes les pages (certaines restant collées), ou encore un clavier dont on ne jouerait pas toutes les touches (certaines étant fixées). Ainsi, il y a dans l’ADN des gènes qui peuvent être activés alors que d’autres seront effacés : leur chemin d’accès est bloqué. L’objectif de l’épigénétique est de comprendre ces mécanismes, jusque là ignorés, qui interviennent dans la régulation de l’expression génique. Ces mécanismes sont influencés par l’environnement, d’une façon qui peut être temporaire et réversible, ou pérenne et transmissible. Il peut s’agir de la modification d’une protéine autour de laquelle s’embobine l’ADN qui rend l’accès au gène impossible, ou du dépôt d’un « cache » chimique sur le gène qui en bloque l’expression comme le ferait un adhésif sur une bande magnétophonique.

Le nouveau chapitre sur la transmission héréditaire qui s’ouvre avec l’épigénétique est bien entendu passionnant. L’inné et l’acquis se montrent une fois de plus profondément indissociables. Et la possibilité d’agir sur des mécanismes épigénétiques pour améliorer des dispositions génétiques à certaines affections suscite de grands espoirs.

Pouvons-nous espérer que ces recherches aboutissent à un traitement ?

Il est à présent largement admis que des anomalies épigénétiques interviennent dans le développement de certains cancers ou certaines maladies métaboliques, par l’activation de certains gènes (cancérigènes par exemple) ou l’inhibition d’autres gènes (bloquant les tumeurs, par exemple). Puisque les marqueurs épigénétiques sont réversibles, on peut espérer agir sur eux à l’aide d’épi-médicaments. Cette voie de recherche très prometteuse n’a néanmoins pas encore abouti à des traitements suffisamment ciblés pour être efficaces et sans danger. Mais, rappelons-le, nous ne sommes qu’au début des explorations. La complexité des phénomènes épigénétiques a sans doute encore beaucoup à nous apprendre.

C’est d’ailleurs bien la difficulté. Dès lors qu’on découvre des mécanismes qui interviennent dans la transmission transgénérationnelle de caractères acquis ainsi que d’expériences traumatiques vécues, on conçoit que les sciences humaines s’engouffrent dans la voie. Particulièrement le Zuckerman Insitute, qui, avec brio, ne néglige aucune des clés de la science contemporaine pour décrypter les mystères de l’esprit. Ce n’est hélas pas la voie la plus simple : les déséquilibres psychologiques et la maladie mentale ne sont pas aisément réductibles à quelques variables et la notion de stress chez le sujet humain ne se prête pas à une interprétation aussi univoque que chez le souriceau. Autrement dit je doute que le rapprochement entre l’épigénétique et les sciences humaines, bien que très attractif, ait des conséquences pratiques rapides. On peut même craindre que mal digéré, il soit générateur d’une de ces pseudosciences à partir desquelles on a beau jeu de justifier des méthodes de traitement discutable. Mais la connaissance des structures cérébrales impliquées dans la mémoire émotionnelle ne peut qu’y gagner. Et notons que, dès à présent, les antidépresseurs sont tenus par certains comme des épi-traitements…

Quoiqu’il en soit, l’idée que l’on hérite d’un dictionnaire que l’on exploite différemment selon le contexte, en transmettant parfois les marque-pages que l’on a été conduit à y apposer, chemin faisant, ouvre des perspectives inédites pour la santé comme pour la réflexion anthropologique.

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