Si l'assassinat de John F. Kennedy était un complot, serait-il possible que le secret n'ait pas encore été éventé ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Différentes théories du complot mettent à mal la version officielle qui dit que JFK a été tué par un déséquilibré.
Différentes théories du complot mettent à mal la version officielle qui dit que JFK a été tué par un déséquilibré.
©Reuters

Paranoïa ?

Le 22 novembre 1963, le président Kennedy était tué à Dallas. Aujourd'hui encore, des zones d'ombre subsistent. Du 11 septembre à l'assassinat d'Yitzhak Rabin, l'opacité semble consubstantielle aux grands événements de l'Histoire.

Atlantico : Cette affaire continue à nourrir des théories complotistes comme dans d'autres cas tel que l'assassinat d'Yitzhak Rabin. Dans ces dossiers, comment faire la part des choses entre "doute paranoïaque" et "doute raisonnable" ? 

André Kaspi : En fonction des documents dont on dispose, il faut des faits et des témoignages sûrs et qu'une enquête sérieuse soit menée au moment des faits. Ce qui pose problème dans l'assassinat de Kennedy c'est que précisément l'enquête n'a pas été satisfaisante. Il y a eu de la part du FBI, de la CIA et d'autres autorités publiques beaucoup d'incertitudes, de contradictions et même de mensonges. Cela suscite le doute au lieu de provoquer les certitudes. Quant à l'assassin d'Ytzhak Rabin, il a été jugé publiquement et condamné. Les théories du complot relèvent donc de la pure paranoïa. En revanche, Oswald, l'assassin supposé de Kennedy, a lui-même été assassiné et n'a donc pas eu de procès. Même s'il se peut qu'il y ait des procès incomplets ou truqués, lorsqu'ils sont bien faits, ces derniers permettent généralement de faire émerger la vérité.

Michel Nesterenko :S'il y a une théorie du complot, c'est une preuve éclatante que la version officielle a laissé, pour de multiples raisons, des questions techniques et des preuves sans réponse. Pourquoi faut-il que dans de tels grands événements les experts en médecine légale doivent bâcler leur travail sous la pression des politiques, qui cherchent à imposer, dans l'urgence, une version qui les arrangent ? Il ne faut pas oublier le fait que l'armée américaine a publié un manuel très détaillé sur toutes les méthodes de manipulation de l'opinion publique civile. Dans ce type d'événement nous avons affaire à des entités étatiques qui peuvent manufacturer une "réalité", leur vérité, de toutes pièces. 

Toutes les preuves qui ne cadrent pas font simplement partie de la théorie du complot. Par exemple pour Kennedy, la calotte crânienne qui s'envole dans la direction d'arrivée de la balle qui est sensée pousser dans le sens opposé, traverse deux corps et des os et ressort comme neuve pour être retrouvée par magie sur le brancard, des heures après dans le hall de l'hôpital ! 

Finalement, les zones d'ombres font-elles tout simplement partie de l'Histoire ? Sont-elles inévitables ?

André Kaspi : Lorsqu'un homme d'Etat prend une décision, il est impossible de connaître toutes ses motivations. Il y a les motivations officielles et celles que l'on devine, mais il est évident que vous ne pénétrez pas dans son esprit. Il reste toujours une zone d'ombre. De même, pour les crises économiques. On peut déceler des raisons lointaines ou des raisons proches, mais il y a souvent un aspect qui reste négligé, qui empêche d'avoir une vue complète du dossier. Il ne faut pas imaginer que les historiens ont une certitude absolue sur chacun des faits dont ils parlent. Nous nous approchons le plus possible de la vérité mais il n'est pas certain que nous l'atteignions à tous les coups.

Les Etats doivent-ils conserver certains secrets pour maintenir la cohésion d'une société ? Toutes les vérités sont-elles avouables ?

Michel Nesterenko : Ce sont seulement les régimes totalitaires qui prospèrent dans le secret et l'opacité. Une démocratie, pour fleurir, a besoin d'ouverture, de transparence, d'une presse et une justice libre d'enquêter jusqu'au bout et sans entraves du pouvoir. La cohésion et la force d'une démocratie sont à ce prix. Le grand pouvoir attractif de l'Europe c'est justement sa diversité et son esprit d'ouverture.

André Kaspi : C'est une question à la fois morale et politique. Sur le plan de la morale, il faut que la vérité éclate. Sur le plan politique, on peut, en effet, imaginer que dans certaines circonstances, on dissimule une part de la vérité. Mais petit à petit, la vérité refait surface : des témoignages et des connaissances viennent combler les interrogations qu'on a pu avoir à tel ou tel moment. Les politiques peuvent cacher certaines choses, mais assez vite les révélations vont à l'encontre de leurs mensonges.

Quels grands secrets d’Etat ont été gardés pendant des années avant d'être révélés ?

André Kaspi : Prenons un cas très précis, celui du déclenchement de la guerre du Vietnam. En août 1964, des navires américains sont attaqués dans le Golfe du Tonkin par des patrouilleurs nord-vietnamiens. D'après la version officielle, les Etats-Unis sont victimes d'une attaque et par conséquent doivent répliquer. Peu après, l'Histoire a révélé que ces navires américains étaient là pour espionner et qu'il est vraisemblable qu'il n'y a pas eu d'attaque par les nord-vietnamiens. L’Etat américain a menti car il fallait une raison pour justifier l'intervention militaire au Vietnam. C'est également se qui s'est passé lors du déclenchement de la seconde guerre d'Irak lorsqu'on a parlé de la présence d'armes de destruction massive. Les citoyens américains étaient convaincus de l'existence de ces armes. On se souvient de Colin Powell devant le Conseil de sécurité des Nations unies qui avait montré une petite fiole qui était censée témoigner de l'armement des Irakiens. Trompé lui-même, il a trompé l'opinion.

Michel Nesterenko : Pendant combien d'années les dirigeants de l'Occident ont ils prétendu que la terre était le centre du monde ? La liste est sans fin dans tous les pays et à toutes les époques. Seule une presse au service du pouvoir permet de maintenir les secrets d'Etat, ce qui ne sert que les dirigeants, pas une population qui est fort à même de "comprendre" contrairement aux dires de certains.

Le mensonge d'Etat est aussi une manière de gouverner, pratiquée et parfois justifiée comme ce fut le cas sous le modèle soviétique. Quels mécanismes permettent de gouverner durablement de cette manière ?

Michel Nesterenko : Pour gouverner dans le mensonge d'Etat il faut un régime totalitaire n'hésitant pas à faire tuer sans procès les opposants et les journalistes gênants. La grande force de la démocratie américaine a été la liberté d'expression et la liberté de la presse protégée par la Constitution. Avec le Patriot Act, sous de faux prétextes de sécurité, le gouvernement américain a développé le secret d'Etat, comme en Union soviétique, et tente de museler la liberté de la presse, comme en témoigne l'affaire Snowden et l'espionnage tous azimuts de la NSA. Les anarchistes terroristes sont torturés "légalement" et envoyés au goulag de Guantanamo au lieu des tribunaux et prisons américaines. Cela prouve bien que cette démocratie n'est plus un Etat de droit, puisqu'il est indispensable et possible pour le gouvernement de s'affranchir du droit quand il le juge utile.

André Kaspi : Cela est possible dès lors qu'il n'y a pas de liberté de la presse et un fonctionnement correct de la démocratie. C'est-à-dire lorsque tout est fait pour que la population reste dans l'ignorance. 

Comment expliquez que les sociétés acceptent sans broncher des mensonges officiels et nourrissent par ailleurs des théories du complot ?

André Kaspi : Un certain nombre de personnes aiment imaginer que rien n'est simple et que tout est clandestin. Cela alimente leurs rêveries et ça leur permet aussi d'écrire des ouvrages, de publier des articles et de faire des conférences qui rapportent. Dans le cas de l'assassinat de Kennedy, il s'agit d'une source de profits qui n'est pas négligeable. L'ancien attaché de presse de Kennedy disait que l'assassinat du président avait véritablement engendré une industrie. Il suffit de regarder le nombre d'ouvrages qui paraissent encore aujourd'hui, ne serait-ce qu'en France, pour s'en convaincre.

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