Si Facebook était un pays, ce serait une quasi-dictature et il serait temps que nous nous en préoccupions<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
High-tech
Facebook a mené à leur insue une étude sur un certain nombre de "cobayes" utilisateurs du réseau social.
Facebook a mené à leur insue une étude sur un certain nombre de "cobayes" utilisateurs du réseau social.
©Reuters

Kim-Jong Zuckerberg ?

Après avoir appris que la société Facebook avait mené une étude sur un certain nombre de "cobayes", la toile s'est enflammée : un demi-million d'utilisateurs écrivant en anglais ont été soumis à un "mur" d'actualité manipulé, visant à provoquer des émotions négatives ou positives et à les observer.

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe, docteur d’État, hdr., est directeur de recherche à l’IRIS, spécialisé dans la communication, la cyberstratégie et l’intelligence économique, derniers livres : « L’art de la guerre idéologique » (le Cerf 2021) et  « Fake news Manip, infox et infodémie en 2021 » (VA éditeurs 2020).

Voir la bio »

Atlantico : Le comparatif est toujours facile, mais en quoi la référence à Big Brother peut-elle trouver son sens dans la récente affaire d'espionnage des émotions internautes par Facebook ?

François-Bernard Huyghe : Dans le roman d'Orwell "1984", Big Brother exige que chaque citoyen soit bien conscient qu'il est observé et peut être puni. Ce système vise à ce que chacun, se sachant surveillé à chaque seconde, n'ose même pas esquisser le projet d'une révolte ni imaginer une volonté autonome. Google ne nous menace pas ni ne nous impose de discipline. Au contraire, c'est notre désir qui l'intéresse : plus les consommateurs que nous sommes sont prévisibles, plus ils peuvent générer de profit.

Les connaître en croisant de multiples données, c'est déjà un atout commercial énorme. Si, en plus, il est possible manipuler leur humeur et les mettre dans les prédispositions désirées - en leur présentant une environnement d'informations stimulantes ou déprimantes sans qu'ils en soient conscients -, ils deviennent non seulement prévisibles, mais aussi influençables plus sûrement que par le vieux marketing ou la vieille publicité.

Connaissance de la vie intime, censure systématisée de certaines publications, absence d'organes de contrôle indépendants… jusqu’où peut-on aller dans le comparatif avec un régime politique intrusif, proche de la dictature ?

Là encore, il s'agit de deux logiques différentes. Une dictature espère nous rendre interchangeable donc disciplinés. Une grande compagnie du Net comme Google agit à notre insu en nous persuadant que nous sommes tous différents, que nous vivons dans un monde d'échanges toujours ouverts, et que nous pouvons toujours davantage désirer et consommer. Ses algorithmes en analysant des données personnelles voire en sélectionnant l'environnement informationnel jouent plus subtilement. Du reste, Google passe son temps à nous expliquer que tout cela est fait pour notre bien : nous connaître mieux pour mieux nous satisfaire, c'est une façon délicate de nous annoncer que nous serons rentabilisés.

La charte de confidentialité est extrêmement longue, répartie sur de multiples onglets. Facebook pratiquerait-il la technique de "l'enfumage bureaucratique" ? Quelle est la stratégie à l'œuvre ?

Comme nous entretenons une relation contractuelle, et, apparemment gratuite, avec Facebook, il faut bien que tout cela s'inscrive dans le cadre du droit privé. Bien entendu, il faudrait un temps et des efforts considérables pour bien comprendre à quoi on s'engage souvent d'un simple clic. Très peu de gens font l'effort. Nous sommes piégés par ce consentement implicite, tout simplement faute de temps ou d'obstination.

Au quotidien, il est devenu très handicapant de ne pas avoir un compte Facebook, car on risque de passer à côté de certains événements organisés par ses "amis", et de ne pas être tenu au courant des dernières nouvelles les concernant. Le citoyen jeune, en ne participant pas au phénomène Facebook, se met-il au ban de la société ? Peut-on parler d'ostracisme tacite ?

Le narcissisme (suis-je aimé ? populaire ? branché ?) fait bon ménage avec le conformisme chez ces internautes qui réclament par dessus tout la reconnaissance du groupe. Chez les adolescents en particulier qui ne peuvent se construire qu'avec l'approbation de leurs pairs l'exclusion est vécue comme l'angoisse suprême : à l'ado révolté contre l'autorité se substitue l'ado perpétuellement inquiet de ne pas être dans le courant dominant, donc dépendant du réseau. C'est tout sauf un progrès

Le temps passé par les jeunes sur Facebook est considérable, à tel point qu'on en est arrivé à parler, dans certains cas, d'addiction. Ce caractère aliénant, qu'il soit voulu ou non, participe-t-il d'une dynamique totalitaire, dans le sens où il prend toujours plus de place dans le quotidien et entretient une forme de passivité chez les personnes ?

Il y a deux ressources rares que chacun possède et que tout pouvoir désire capter : l'attention et la confiance du cerveau humain. Les réseaux sont assez performants pour les mobiliser. Il y a déjà quelques années que la consommation de médias, disons de spectacles fabriqués industriellement, était devenue, mesurée en temps quotidien, la troisième activité des Français (et de pas mal d'autres) après le sommeil et le travail. Le fait que ce temps soit maintenant très largement consacré aux réseaux sociaux sensés permettre de participer et de s'exprimer est, de ce point de vue, une catastrophe relative. J'ai un petit doute sur le fait qu'il y ait eu un âge d'or où les citoyens raisonnables passaient leur temps à réfléchir par eux-mêmes avant de confronter leurs opinions dans un espace public démocratique. Mais c'est une fiction (ou une utopie ?) à laquelle nous pouvons nous raccrocher.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !