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Si Emmanuel Macron veut faire mieux que survivre, voilà les 3 types de problèmes auxquels il lui faudra s'attaquer
©LUDOVIC MARIN / AFP

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Et ces problèmes n'ont pas la même échéance.

Yves Michaud

Yves Michaud

Yves Michaud est philosophe. Reconnu pour ses travaux sur la philosophie politique (il est spécialiste de Hume et de Locke) et sur l’art (il a signé de nombreux ouvrages d’esthétique et a dirigé l’École des beaux-arts), il donne des conférences dans le monde entier… quand il n’est pas à Ibiza. Depuis trente ans, il passe en effet plusieurs mois par an sur cette île où il a écrit la totalité de ses livres. Il est l'auteur de La violence, PUF, coll. Que sais-je. La 8ème édition mise à jour vient tout juste de sortir.

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Dans l'immédiat, il va lui falloir s'assurer que les mesures d'apaisement et de relance financière qu'il vient de prendre seront rapidement et intelligemment mises en place. Pour que les gens en perçoivent vite les effets, surtout  en évitant l'impact fin janvier 2019 du prélèvement à la source qui entamera mécaniquement le pouvoir d'achat.. Afin aussi que les aides accordées ne passent pas, comme souvent en France, par un surcroît d'encadrement administratif.
Cette nécessaire rapidité d'action s'accorde mal avec l'éventualité d'un changement d'équipe gouvernementale qui serait pourtant souhaitable. Non pas que le premier ministre Édouard Philippe ait démérité mais il a été trop réduit à un rôle de comparse bien élevé d'un président omniprésent. Les concessions du président Macron gagneraient à s'accompagner de la désignation d'un nouveau premier ministre incarnant les nouvelles pratiques annoncées. Un homme comme Xavier Bertrand aurait sa place aux côtés de gens d'expérience en plus grand nombre qu'actuellement.

Maintenant, il faut être conscient que le premier semestre 2019 verra fin mai les élections européennes dont le résultat sera probablement très mauvais pour le parti du président. Il serait en fait avisé de ne pas en faire un test décisif. De toute manière s'il y a bien un domaine où Macron doit non seulement infléchir sa politique mais plus encore sa réflexion et son approche, c'est celui de l'Union européenne. Même si les revendications « au jour le jour » des Gilets jaunes n'ont pas trop abordé les questions européennes, elles ont été à l'arrière-plan de toute la crise. La tromperie du Traité de Lisbonne en 2008 pour passer outre au non au référendum de 2005, les contraintes des critères de Maastricht, la crise des migrants, la dénonciation réitérée des populismes, qu'ils soient italiens ou hongrois, les directives européennes et même les contraintes de la défense écologique du climat, tout cela est porté au passif de l'Union européenne, qui, de toute manière, va très mal. Trois pays du sud et pas des moindres, France, Italie et Espagne, sont en difficulté. Les ex-pays d'au-delà du rideau de fer ont une expérience historique complètement différente de celle des pays « OTAN ». L'Allemagne de Merkel a joué sa carte égoïste avec modestie et efficacité. L'Angleterre s'éclipse. Quant aux autorités de Bruxelles, il s'agit d'une oligarchie de technocrates non élus.
En fait c'est tout l'européisme de Macron qui est à reconsidérer. Il est temps que se fasse jour une vision plus unitaire, plus dynamique, plus enthousiaste, plus ouverte aux peuples. L'union économique de départ a rempli son rôle, mais l'union politique est aujourd'hui une fiction. Il ne me semble pas possible de continuer à « coller des rustines ». Macron, qui a discrètement mais significativement soulevé la question de l'immigration dans son discours du 10 décembre a perçu quelque chose de ce malaise profond. Il faudrait relancer la réflexion sur le projet européen, sans tabou, sans  condamner par principe les dérives populistes. Le « peuple », au sens du « démos » grec, c'est la partie la plus nombreuse et la moins riche de la communauté politique. Partout ou presque les gouvernements ont voulu gouverner sans lui – finalement en ne gouvernant plus avec personnes ou pour des minorités dont ils sous-estimaient le dynamisme et l'avenir.
Emmanuel Macron est parvenu au pouvoir avec un programme de réformes pour la France qui était bien venu mais sans remettre en cause une attitude pro-européenne de principe qui datait alors même que beaucoup de citoyens avaient fait l'expérience des dysfonctionnements de l'euro-béatitude. Il lui a manqué de comprendre que, dans ce domaine aussi, il fallait innover et aller de l'avant.

Enfin, si Emmanuel Macron veut laisser une marque historique, il lui faudra s'attaquer à un horizon plus lointain à la tache aveugle de la société française, son système fiscal qui, à force de rafistolages et de mesures d'opportunité, est devenu à la fois injuste et illisible. Si bien que tout le monde s'imagine en être ou en est pour de bon la victime. La crise des Gilets jaunes est une révolte contre les impôts et les taxes injustes. Ici encore, Macron a cru qu'on pouvait « faire comme avant ». Avec un peu de bon sens, il aurait dû commencer par lâcher le lest qu'il vient de lâcher tout en annonçant une réflexion profonde et novatrice sur la fiscalité. On ne peut pas continuer à faire de la politique comme si de rien n'était,  avec un système fiscal où la moitie des foyers fiscaux est non imposable, où le nombre des tranches d'imposition est réduit, lourd pour les modestes et plutôt léger pour les privilégiés, où l'on attend tout ou presque de la TVA et de la CSG, où l'on corrige les inégalités en créant niches fiscales et déductions en tous genres, où l'on compense les situations dramatiques par des primes et prestations multiples. Chaque fois que j'ai proposé à un futur gouvernant (Hollande puis Royal) de s'inspirer de la théorie de justice de John Rawls qui est une théorie sociale-démocrate de la justice des contributions et des prestations, je me suis heurté à un mur. Il est vrai que nos intellectuels de gauche, tellement révolutionnaires, tombaient à bras raccourci sur cette théorie pour cause de réformisme. Or c'est d'une fiscalité juste que la France a besoin. Le mouvement des Gilets jaunes l'a dit sans aucune ambiguïté. Il faudrait donc lancer dès maintenant une réflexion d'envergure sur cette justice et ses principes, faire tourner les différentes hypothèses pour tester leur acceptabilité sociale, construire des modèles et finalement proposer une grande réforme, qui pourrait faire l'objet d'un référendum – au moins on saurait qui veut quoi, qui ne veut pas quoi et qui parle en se gardant bien d'agir.

Bref, Emmanuel Macron est devenu président de la République en proposant un ensemble de changements et de réformes indispensables mais qui restaient incomplets et surtout sur un fond de conceptions du monde européen,  international et national encore trop traditionnelles et même passéistes. Il lui faut appréhender situation européenne et système fiscal d'une manière résolument neuve. Une théorie du gouvernement politique est nécessairement une théorie de l'impôt et la France n'existe pas en dehors du monde européen.  Si Emmanuel Macron veut accomplir son ambition, il lui faut faire preuve de plus de pensée et de plus d'envergure de réflexion. Avec l'avantage non négligeable de pouvoir  apparaître aussi comme plus serein et plus « posé ».

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