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Sexe : non, les religions n'ont pas toujours interdit la masturbation
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Jeu de main, jeu de vilain

Aurélie Godefroy explique que la masturbation n'a pas toujours été perçue comme un "péché mortel" classé parmi les déviances sexuelles. Extrait de "Les religions, le sexe et nous" (1/2).

Aurélie Godefroy

Aurélie Godefroy

Aurélie Godefroy est journaliste. Elle présente notamment Sagesses bouddhistes, sur France 2, et collabore au Monde des religions.

Elle a écrit plusieurs livres dont Rites et fêtes du catholicisme (Plon) et Le Soufisme (Avant-propos).

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Du VIe au XIe siècle, on trouve dans les pénitentiels des références plus nombreuses à la masturbation, mais celle-ci est considérée avec beaucoup plus d’indulgence que les autres péchés de chair. Dans celui écrit par l’archevêque Théodore de Cantorbéry (VIIe siècle) par exemple, la pénitence est de sept jours pour le clerc qui a versé sa semence sans se toucher, jusqu’à cinquante pour celui qui l’a volontairement répandue dans une église. Cinquante jours, cela peut paraître beaucoup, mais c’est infime lorsque l’on sait qu’à la même époque, un jeune homme ayant touché une femme vierge écope d’une pleine année.

Quatre siècles plus tard, le pape Léon IX condamne plus clairement la masturbation, qui est dès lors, traditionnellement perçue comme un péché mortel, classée parmi les déviances sexuelles. Mais la tolérance continue d’être grande, comme le note l’historien François Lebrun : « Il est significatif de constater que la [masturbation] […] est de tous les ‘‘péchés contre nature’’ le seul qui ne figure jamais dans la liste des cas réservés, c’est-à-dire dont l’absolution est, compte tenu de leur gravité, réservée à l’évêque seul. N’est-ce pas la preuve qu’elle est beaucoup trop fréquente pour que chaque curé n’ait pas la possibilité de l’absoudre immédiatement sans en référer à son supérieur ? »

De fait, jusqu’au XVIIIe siècle, la masturbation ne tient pas une grande place dans l’imaginaire catholique, se rapportant le plus souvent à un simple coitus interruptus. Pourtant, pour les protestants, la masturbation – pratique considérée comme le fruit du célibat forcé des prêtres catholiques  – devient, dès le XVIIe siècle, une déviation majeure, comme en témoignent les écrits du calviniste Richard Capel : « La pollution de soi-même est le pire et le plus polluant des péchés d’impureté. »

Et en Islam ? L’attitude des compagnons du Prophète et des premiers théologiens musulmans se situe plutôt du côté du catholicisme, autrement dit d’une relative clémence. Celle des théologiens des siècles suivants est infiniment plus stricte, la majorité des savants et des imams des quatre écoles juridiques prohibe l’onanisme, car cela revient à « chercher au-delà des limites » fixées par la religion. Celui qui s’y adonne est donc un transgresseur. Mais la caresse intime peut être tolérée, en dernier recours, quand il y a un fort risque de tomber dans un péché plus grand. Al-Ghazali (XIe- XIIe siècles) évoque le cas un jeune homme se confiant à un compagnon du Prophète :

« ‘‘Je suis jeune, je n’ai pas d’épouse : parfois je de pécher, aussi m’arrive-t-il de me masturber, est-ce là un péché grave ?’’ Ibn Abbas se détourna de lui et lui dit  : ‘‘Fi donc ! Quelle horreur ! Le mariage avec une esclave est préférable, mais la masturbation est encore mieux que la fornication’’. »

[...]

En Occident, c'est bizarrement la publication anonyme vers 1712 d’un petit opuscule intitulé Onania quichange la donne du tout au tout : le succès immense de ce livret pseudo-scientifique, transforme une caresse anodine en un « odieux péché » et, plus grave, en un problème de santé morale et publique auquel il est urgent de s’atteler. La question obsède d’abord les médecins, mais elle se répand parmi les religieux au cours du XIXe siècle. Il faut attendre plus de trois siècles, que s’engage la révolution sexuelle de l’après-guerre, pour que la masturbation soit de plus en plus fréquemment considérée comme un comportement banal. En témoigne cette « étude clinique, morale et pastorale » datant de la fin des années 1960 :

« De nos jours, on rencontre des pénitents qui se reconnaissent pécheurs sur bien des points […] sauf sur celui de leur comportement auto-érotique. C’est qu’ils se sont tout simplement fait une raison de leurs habitudes masturbatoires. Tout bonnement, ils estiment pouvoir qualifier de manœuvres parfaitement indifférentes leurs assouvissements solitaires. »

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Extrait de "Les religions, le sexe et nous" Ed. Calmann-Lévy (octobre 2012)

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