Sex Education sur Netflix, violence et dépression dans la vraie vie : l’adolescence plus fragilisée que jamais. Mais par quoi…?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Société
L'actrice Emma MacKey pose lors de la première mondiale de "Sex Education - Season 2" de Netflix à Londres le 8 janvier 2020.
L'actrice Emma MacKey pose lors de la première mondiale de "Sex Education - Season 2" de Netflix à Londres le 8 janvier 2020.
©AFP / Tolga AKMEN

Wokisme

La série à succès Sex Education propose une vision très progressiste de la sexualité, et multiplie les messages visant à déconstruire les normes. Or, il existe un contraste saisissant entre le monde porté à l'écran dans la série et le monde réel. Entretien avec Samuel Fitoussi, auteur de "Woke Fiction, comment l'idéologie change nos films et nos séries", paru aux Editions du Cherche-Midi en Septembre 2023.

Samuel Fitoussi

Samuel Fitoussi

Samuel Fitoussi est diplômé d’économie à Cambridge. Il intervient régulièrement dans les médias pour commenter l'actualité et mène en parallèle une activité d'entrepreneur.

Voir la bio »

Atlantico : Depuis janvier 2019, Netflix diffuse la série Sex Education, qui propose une vision très progressiste de la sexualité, et multiplie les messages sexuellement fluides ou inclusifs. C’est, à cet égard, l’une des séries stars de ce type de discours. Dans quelle mesure ceux-ci peuvent-ils s’éloigner de la réalité que vivent aujourd’hui les adolescents ?

Samuel Fitoussi : Certaines séries, comme c’est le cas de Sex Education mais ce n’est pas la seule, reposent sur une forme de déconstruction de l’hétérosexualité et du couple comme normes. Derrière cela, il y a l’idée que les conventions amoureuses majoritaires sont une construction sociale, argument qui n’est d’ailleurs pas sans engendrer un certain nombre de confusions parmi lesquelles la suivante : la définition même du mot norme, qui peut correspondre à la norme mathématique - c’est-à-dire au sens statistique - ou à la norme au sens normatif ; c’est-à-dire le comportement recommandé. L’hétérosexualité constitue une norme statistique, qui n’entraîne pas nécessairement la condamnation des non-hétérosexuels, à tout le moins en Occident. Pour autant, aux yeux des woke, chaque norme (y compris quand elle est statistique) engendre des oppressions.


Ainsi, le fait de placer traditionnellement un couteau à la droite de l’assiette pourrait être perçu comme oppressive pour les gauchers… C’est la même idée du côté de la sexualité. Nous vivons dans un monde hétéronormatif qu’il faudrait, affirment-ils, déconstruire. C’est pourquoi certaines séries entreprennent de mettre en place un modèle dans lequel l’hétérosexualité n’est plus le choix majoritaire des personnages. Bien entendu, cela ne correspond pas à la réalité, dans laquelle il y a plus d’hétérosexuels que de non-hétérosexuels. 

À Lire Aussi

Du genre, des trans et du n’importe quoi dans nos écoles

La nature du décalage entre le vécu des adolescents étant établie, est-il possible d’identifier le danger qui en découle ? A quel point cette image que peuvent renvoyer de telles séries sont-elles susceptibles de menacer la bonne perception de la sexualité par les adolescents ou de fragiliser leur construction personnelle ?

Ces dernières années, un nombre conséquent des productions audio-visuelles ont porté sur la transition de genre de ses personnages principaux. 

La transition de genre y présentée de façon très positive, on en fait même l’apologie, et une réponse à un besoin psychologique profond de certains individus. Et elle toujours présentée comme une transformation dont on sort pleinement satisfait, or ce n’est pas toujours le cas en réalité. Ce n’est évidemment pas sans conséquences : cela revient à inciter certains enfants à traduire leur mal-être en dysphorie de genre et donc à opter pour une transition réalisée à l’aide d’hormones et d’opérations chirurgicales. Rien ne permet d’affirmer que c’est la solution pour leur permettre de s’épanouir dans la vie, à long terme. À un âge ou, dans l’essentiel des pays du monde, le droit de vote n’est pas encore accordé et où il est même parfois interdit de se faire tatouer, on peut légitimement s’interroger sur le degré de maturité des enfants auxquels on suggère la transition de genre comme remède miracle. Je ne suis pas sûr qu’il soit une bonne chose de montrer des personnages très jeunes en pleine transition de genre, quand on sait que c’est là un choix irréversible qui peut venir avec son lot de regrets. Sex Education n’est pas sans reproche à ce titre, puisque la série montre un certain nombre de personnages à la fois trans et jeunes. Notons d’ailleurs que le phénomène n’est pas qu’anglo-saxon. En 2018, le personnage de Dimitri effectuait son entrée dans le feuilleton Plus belle la vie. Jeune homme transgenre, il aidait Clara, 15 ans, à devenir un homme et à affronter l’incompréhension de son entourage. Jonas Ben Ahmed, l’acteur qui incarnait Dimitri, s’est félicité sur Twitter que l’épisode ait permis d’obtenir dans le monde réel « de beaux coming‐out transgenres ». On peut aussi citer le téléfilm « Il est Elle », diffusé en 2021 sur TF1, Chair Tendre, sur France 5 en 2022, on encore la websérie Océane (France TV Slash) qui documente sur 22 épisode la transition de genre de la chanteuse Océane, devenu Océan. Il y en a beaucoup d’autres.

À Lire Aussi

Pap Ndiaye : « Mon éviction est un trophée pour l’extrême droite »

Plus largement, le monde porté à l’écran dans Sex Education donne parfois une impression d’inauthenticité. Ce genre de séries, parce qu’elles intègrent des considérations idéologiques, perdent-elles en réalisme ou en acuité psychologique ?

Il existe un contraste amusant entre le monde porté à l’écran dans Sex Education et le monde réel. Dans la série, les personnages évoluent dans un milieu où tout le monde est woke, où tout le monde adhère aux codes d’inclusivité de cette idéologie. On a l’impression que leur lycée correspond à une sorte de paradis humain : personne ne se moque, toutes les interactions sociales sont fluides, personne n’est malheureux ou victime de harcèlement. Là encore, c’est loin d’être représentatif de ce que l’on peut observer dans la vraie vie. Dans les milieux wokes, la mise en place de ce type de codes ne permet pas d’en arriver au bonheur de tous. Elle mène au contraire à l’exclusion des dissidents, à l’application de normes morales très rigoureuses, à une suspicion jetée sur tous ceux qui n’adhèreraient pas à ces mêmes codes, parfois à des accusations dévastatrices au nom de la sacralisation de la parole des supposées victimes et du peu d’égard accordé à la présomption d’innocence. On pense aux déboires de Julien Bayou ou de Taha Bouhafs, à l’implosion du collectif 50-50 dans le monde du cinéma, et j’en passe. Dès lors, il apparaît évident que les milieux woke ne sont pas ceux dans lesquels les interactions sociales sont les plus fluides. A grande échelle, on peut rappeler qu’aux Etats-Unis le wokisme a engendré depuis 10 ans une dégradation notable des relations entre les personnes blanches et les personnes noires, attestée par les enquêtas d’opinion. Dans Sex Education, ces mêmes codes woke sont présentés comme une sorte de remède miracle qui permettraient de pacifier la société et de rendre tout un chacun heureux, indépendamment de la couleur de peau ou de l’identité de genre. Ce n’est pas le cas.

À Lire Aussi

Dans le dernier James Bond, l’agent 007 s’en prend à Orban et au populisme… mais Ian Fleming aurait-il approuvé ?

Autre point qu’il m'apparaît important de mentionner : dans Sex Education - dont l’action, rappelons-le, se déroule dans un lycée - l’autorité des plus âgés n’apparaît presque jamais à l’écran. Les adultes ont des rapports horizontaux avec les adolescents, rarement verticaux. Les jeunes s’auto-gèrent parfaitement. Plus largement, dans les productions wokes, le personnage du mentor - vieux sage qui partage sa sagesse aux plus jeunes - n’apparaît plus. Pourquoi ? Parce que dans la logique woke, les personnes âgées, parce qu’elles auraient évolué pendant des décennies dans un environnement régi par des normes problématiques, auraient subi un long conditionnement les poussant à intérioriser des préjugés oppressifs. Elles seraient donc les plus mal placées pour prodiguer des conseils. Ce serait au contraire aux jeunes, éveillés, de rééduquer leurs aînés, de leur ouvrir les yeux, de les aider à se déconstruire. D’ailleurs, dans certaines séries, non seulement les personnes âgées prodiguent rarement de bons conseils, mais elles sont souvent l’objet de railleries, provoquant, de par leurs comportements problématiques ou leurs discours décalés, voire rétrogrades, une certaine exaspération chez les personnages jeunes. 

En début d’année 2022, l’Institut Montaigne publiait une étude démontrant que la jeunesse, dans sa majorité, n’était pas woke. Faut-il comprendre, au contraire, que celle-ci a besoin d’un cadre pour s’épanouir correctement ?

L’existence de normes, comportementales ou sexuelles en l'occurrence, aide évidemment les individus à se situer. Paradoxalement, elles sont aussi utiles à ceux qui n’y adhèrent pas : cela leur permet justement de se situer à rebours de celles-ci… et donc de mieux comprendre et façonner leur identité propre. Or, quand tout est déconstruit, tout s’efface. Il devient dur, pour tout individu de se fixer socialement, de comprendre qui il est, faute de repères.

À Lire Aussi

Quand Gilles Kepel sonne l’alarme : interdire l’abaya est une chose, quid de la sociologie des corps enseignants et universitaires…?

Que peuvent dire de nous le décalage entre la façon dont nous nous représentons (certains d’entre nous, à tout le moins) dans ces discours et la réalité que nous vivons au quotidien ?

Les modèles mis en avant, par des scénaristes clairement idéologues, dans des séries comme Sex Education ne correspondent pas à la vision de la société qu’ont la majorité des gens, pas plus qu’elles n’embrassent les opinions de cette dernière. Dans l’industrie de la culture, les woke sont surreprésentés par rapport à leur poids dans la population, et tentent d’imposer par le haut leur vision idéale de la société. En France, le directeur des programmes de France Télévisions a un passé de militant très ancré à gauche (il a été directeur de la campagne d’Eva Joly) et cela ne pose visiblement pas de question… On pense aussi à Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, qui déclarait récemment ne pas vouloir représenter “la France telle qu’elle est” mais bien “telle qu’on voudrait qu’elle soit”. Cela pose immédiatement une question importante : qui est ce “on” ? Qui décide à quoi devrait ressembler la France ?

Cette phrase interroge d’ailleurs aussi sur un autre sujet : faut-il croire que la réalité découle de nos représentations… ou à l’inverse que nos représentations découlent souvent de la réalité ? L’art qui imite ou l’art qui fait le réel ? Je suis plutôt d’avis qu’il imite et que nous aurons beau changer nos représentations, certaines choses dans la réalité ne changeront pas, car il existe une chose qui s’appelle la nature humaine et qui n’est pas malléable à l’infini.

À Lire Aussi

Changement de genre et GPA : les propos de François Ruffin suscitent des critiques au sein de La France Insoumise

En France, de plus en de ces discours émergent, émanant des Etats-Unis. La nature même du décalage entre le vécu des adolescents français et ces messages provient-elle d’un déplacement de ces problématiques qui ne seraient pas adaptées à la réalité de notre société ou, à l’inverse, faut-il penser que ces discours sont tout aussi inadaptés aux Etats-Unis qu’ils ne peuvent l’être ici ?

Je pense que les discours américains percent en France avec quelques années de retard par rapport aux phénomènes observés directement sur place. Il est possible que les discours relatifs à la couleur de peau rencontrent une résistance plus importante, du fait de nos traditions universalistes qui ne font pas de l’individu le représentant mécanique de sa communauté mais qui tiennent bien compte de sa singularité. Sur les questions de genre ou de sexualité, nous souffrons des mêmes travers qu’eux, me semble-t-il. Dès lors, les discours ne sont pas plus adaptés à l’une ou l’autre de nos sociétés.

Samuel Fitoussi est l'auteur de "Woke Fiction, comment l'idéologie change nos films et nos séries", paru aux Editions du Cherche-Midi en Septembre 2023.

À Lire Aussi

Remaniement : Pap Ndiaye estime que son départ du gouvernement est un « trophée de chasse » pour l’extrême droite

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !