Semaine sociale à haut risque… ou pas : Jean-Luc Mélenchon sous-estime le décalage entre son récit révolutionnaire et les attentes quotidiennes des Français<!-- --> | Atlantico.fr
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Jean-Luc Mélenchon lors de la manifestation contre la vie chère à Paris, le 16 octobre 2022.
Jean-Luc Mélenchon lors de la manifestation contre la vie chère à Paris, le 16 octobre 2022.
©JULIEN DE ROSA / AFP

Opération politique

La manifestation contre la vie chère a été l'occasion pour la Nupes de faire oublier les polémiques des derniers mois sur les violences faites aux femmes au sein de la coalition.

Luc Rouban

Luc Rouban

Luc Rouban est directeur de recherches au CNRS et travaille au Cevipof depuis 1996 et à Sciences Po depuis 1987.

Il est l'auteur de La fonction publique en débat (Documentation française, 2014), Quel avenir pour la fonction publique ? (Documentation française, 2017), La démocratie représentative est-elle en crise ? (Documentation française, 2018) et Le paradoxe du macronisme (Les Presses de Sciences po, 2018) et La matière noire de la démocratie (Les Presses de Sciences Po, 2019), "Quel avenir pour les maires ?" à la Documentation française (2020). Il a publié en 2022 Les raisons de la défiance aux Presses de Sciences Po. Il a également publié en 2022 La vraie victoire du RN aux Presses de Sciences Po. En 2024, il a publié Les racines sociales de la violence politique aux éditions de l'Aube.

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Atlantico : Des milliers de manifestants ont battu le pavé parisien dimanche à l'appel de Jean-Luc Mélenchon et de certaines fédérations syndicales, pour protester contre la vie chère. Dans quelle mesure cette manifestation est-elle une réussite ?

Luc Rouban : On pourra, comme d’habitude, discuter du nombre de manifestants, qui est sans doute plus proche des 30 000 annoncés par un institut d’évaluation indépendant que des 140 000 revendiqués par les organisateurs. Mais ces chiffres sont bien moins importants que les signaux que cette manifestation a envoyés. Le premier, c’est le retour organisé et pacifique de la manifestation organisée par des partis de gauche et des syndicats. Le risque était de voir la situation dégénérer comme les manifestations des Gilets jaunes et déboucher sur des violences et des dégradations importantes. Au total, les services d’ordre ont bien fonctionné et l’on est revenu aux pratiques manifestantes ordinaires sans intervention de black blocs ou d’extrémistes. Le second, sur le fond, c’est l’opportunité que cette manifestation a offerte à Jean-Luc Mélenchon et à LFI de se positionner au centre de la gauche et de confirmer leur leadership sur la NUPES, bien mis en cause depuis plusieurs semaines par les affaires de violences sexistes. Cependant, c’est là que le bât blesse, car ce leadership enferme la gauche dans la radicalité de LFI alors même que les électorats de gauche qui ont voté utile en votant Mélenchon au premier tour de l’élection présidentielle ne partage pas les mêmes valeurs.

Que penser de ces manifestations ? L’objectif est-il seulement de lutter contre la vie chère ou le combat est-il avant tout politique ?

Il s’agit pour LFI et Jean-Luc Mélenchon d’organiser la convergence entre un mouvement social ancré pour l’instant dans les raffineries de pétrole et dans les services publics, un mécontentement social général face à la hausse des prix, à la baisse du pouvoir d’achat ou aux éternelles difficultés d’accéder désormais à des services publics de qualité mais aussi une volonté politique délibérée de la part de LFI de contester le résultat de l’élection présidentielle de 2022 ou le fonctionnement des institutions de la Vᵉ République. Il s’agit donc clairement d’une opération politique. Du reste, dans son discours, Jean-Luc Mélenchon a insisté sur la crise institutionnelle alors même que seuls les députés de la NUPES bloquent par une avalanche d’amendements le débat budgétaire et que cette question ne semble pas concerner pour l’instant la grande majorité des citoyens. Cependant, rien ne permet d’affirmer que cette posture de grand opposant historique lui serait d’un grand bénéfice électoral car plusieurs sondages récents montrent que c’est bien Marine Le Pen qui est considérée comme la première opposante bien avant Jean-Luc Mélenchon, contrairement à ce que l’on pouvait observer en septembre 2017. Cette posture de radicalité face à un RN qui joue la carte de l’opposition constructive et, surtout, celle de la proximité aux réalités quotidiennes qui parlent davantage que les envolées lyriques et militantes à un électorat devenu très méfiant à l’égard des partis politiques, fussent-ils de gauche, pourrait être assez dangereuse pour la NUPES.

Doit-on s’attendre à des manifestations de plus grande ampleur à Paris et dans toute la France dans les semaines à venir ?

Il est toujours difficile de prédire le nombre ou l’amplitude des manifestations mais on peut penser que les grèves dans les transports, les difficultés quotidiennes amplifiées par la pénurie de carburant et le besoin de gagner de l’argent seront des obstacles sérieux à des mobilisations générales de l’ensemble des salariés qui ne travaillent pas tous chez Total ou à la SNCF et n’ont donc guère les moyens d’exercer de véritables pressions sur le gouvernement, l’économie et les autres salariés. Par ailleurs, si la manifestation du 16 octobre s’est déroulée dans le calme, l’hystérisation du débat politique pourrait conduire à nouveau à des violences qui joueraient et contre la gauche et contre les syndicats comme on l’a vu lors du 1er mai 2019.

Jean-Luc Mélenchon a évoqué la grève générale le 18 octobre. Les grèves vont-elles se multiplier ? Quelles conséquences pour l'économie française ?

On peut penser qu’il y aura une extension des grèves dans le secteur public, beaucoup plus syndiqué que le secteur privé et dans un état de délabrement avancé non seulement sur le plan organisationnel mais également moral. Dans le secteur privé, les appels à la grève sont bien moins suivis depuis des années. Il ne faut pas oublier que toutes les entreprises n’ont pas fait de « super-profits », que nombre d’entre elles sont en situation délicate étant donné les incertitudes qui pèsent sur l’économie mondiale ou la hausse des prix touchant les matières premières et les pertes de marchés qu’a provoquées la guerre en Ukraine. À ce titre, près de 80% des Français interrogés par les enquêtes se montrent inquiets de l’évolution de ce conflit qui peut dégénérer à tout moment. Il faut donc bien comprendre que les grèves provoquées par des revendications salariales ne vont pas s’insérer en 2022 dans le même contexte politique que celui des années 1970 ou 1980 où l’inflation était forte mais où personne ne parlait de guerre, de pénurie, de destruction des ressources naturelles et de mondialisation agressive. C’était même le contraire, il fallait surtout pouvoir profiter de la vie en consommant (pour en avoir une bonne idée, rien de tel que de revoir les films de Jean Yanne, notamment Les Chinois à Paris, visionnaire sur les capacités militaires françaises). Donc, la situation est devenue bien plus difficile et incertaine pour nombre de salariés ou d’indépendants, qui ne voient pas trop quel pourrait être leur avenir. Rejouer le bon vieux conflit social contre le « patron » ce n’est pas nécessairement faire acte de lucidité sur les attentes réelles des Français.

Que peut faire le gouvernement pour apaiser les tensions ?

Pas grand-chose. Emmanuel Macron a rappelé à juste titre que le rôle du gouvernement n’était pas de se substituer au dialogue social et ne pouvait intervenir, par exemple par des réquisitions, que si ce dernier avait échoué et que cet échec provoquait des blocages insupportables pour l’économie ou les personnes qui travaillent.  Contrairement à ce que soutiennent de nombreux commentateurs, l’économie française est loin d’être néolibérale et les interventions de l’État ont été massives pour protéger les entreprises de la crise sanitaire ou les particuliers de la hausse des prix de l’énergie et notamment de l’électricité. Tout cela a un coût qui se traduit par un fort endettement encore contrôlé mais que l’on ne peut aggraver. Sur le terrain politique, le gouvernement doit jouer l’apaisement en arguant de la situation internationale. Car, paradoxalement, ces conflits ne vont pas renforcer son adversaire le plus faible, à savoir la gauche, mais son adversaire le plus fort, à savoir le RN, qui s’est positionné comme le véritable concurrent politique du macronisme en profitant à la fois du côté un peu délirant du récit révolutionnaire construit par Jean-Luc Mélenchon et, surtout, de la droitisation de l’opinion.

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