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Selon les adeptes de l’indice Shiller, le krach financier est imminent. Euh... vraiment ?
©SPENCER PLATT / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

1929, 2008, le retour

un krach boursier est par nature difficilement prévisible, ce qui n'empêche pas la multiplication des oiseaus de mauvais augure en la matière prompts à crier au drame.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atlantico : L'Indice Shiller, outil créé spécifiquement pour "détecter" l'émergence de bulles financières, ​affiche aujourd’hui un niveau supérieur à celui de 1929, avant le krach boursier. Le niveau actuel de valorisation des marchés boursiers est il préoccupant pour les investisseurs ? L'économie réelle est elle capable d'apporter les rendements espérés par ces investisseurs ou faut il considérer que les cours actuels sont trop optimistes ?

Philippe Crevel : Un krach est par nature difficile à prévoir. D’un côté, il y a les oiseaux de mauvais augures qui chaque matin pronostiquent la fin du monde pour demain, de l’autre il y a ceux qui considèrent que tout va bien madame marquise. Au milieu, se trouvent les Normands….

Ce qui est certain, c’est que demain ou après-demain, il y aura un krach mais que nul n’en connaît réellement la date, la teneur, ni même l’ampleur. Depuis la crise de 2008, le nombre de pythies a tendance à s’accroître. Il vaut mieux être du côté des pessimistes, il y a moins de chances de se tromper, paraît-il mais cela est beaucoup moins excitant que d’être du côté des optimistes. En la matière, je me range derrière Milan Kundera qui a écrit « je préfère vivre en optimiste et me tromper que vivre en pessimiste pour la seule satisfaction d’avoir eu raison ! ».

L’indice Shiller est un indicateur parmi d’autres et qui ne reflète qu’une partie de la vérité. Les politiques monétaires non conventionnelles ont abouti à une rapide augmentation des liquidités, la masse monétaire étant multipliée par trois au sein de l’OCDE. L’affaissement des taux d’intérêt et l’abondance de liquidités ont conduit les investisseurs à privilégier les actions et l’immobilier de manière supposée pour certains déraisonnable.

Pour certains, l’envolée des cours des actions, constatée ces derniers mois, suppose une correction. En effet, les indices boursiers américains ont battu record sur record ces dernières semaines. Le CAC 40 est  30 % en dessous de son record de 2000 (6945) et 14 % en-dessous de son sommet de 2007. Le rapport prix des actions / dividendes était de 60 aux États-Unis, 50 en Europe en 2007. Le niveau actuel de 50 aux États-Unis ne parait pas déraisonnable, tant que les bénéfices se maintiennent. Il paraît plutôt bas en zone euro ou en France (30 fois les dividendes environ). Certes, la progression des cours peut être jugée excessive au regard du taux de croissance de l’économie. Sur longue période, elle devrait être proche de celle du PIB. La faiblesse des gains de productivité tirant la croissance vers le bas devrait également peser sur les cours boursiers.

Compte tenu du taux de croissance potentielle, la hausse devrait se situer autour de 3 % en moyenne par an. 2017 est-elle une année de rattrapage après les années difficiles qui ont suivi la Grande Récession (2008) ou est-ce la conséquence des politiques monétaire accommodantes qui ont abouti à accroître les liquidités ? L’accès facile aux crédits entraîne-t-il une bulle financière pouvant exploser à tout moment ? L’augmentation des indices boursiers n’est-elle pas la traduction d’un rapport de force défavorable aux salariés par rapport aux actionnaires ? Cet argument mis en avant par des économistes keynésiens peut être battu en brèche, surtout en France où il n’y a pas une réelle déformation de la répartition des revenus. Cette bulle potentielle ne serait-elle pas la conséquence d’une surévaluation de certains titres comme cela a été constaté par le passé ? Les cours d’Apple, d’Amazon, d’Alphabet (Google) ou de Facebook sont-ils en phase avec la réalité économique de ces entreprises ? La capitalisation boursière d’Apple représente près de 50 % du PIB de la France. Or, une entreprise qui dépend essentiellement d’un produit, l’IPhone, du système informatique qui l’entoure (Application, ITunes) et des sous-traitants (Samsung, Sony, etc.) qui lui fournissent les composants, ne risque-t-elle pas de subir une remise en cause de son modèle de développement dans les prochaines années ? A contrario, la décennie 2008/2018 a été une décennie perdue pour de nombreux pays. Un rattrapage économique est censé intervenir avec l’arrivée à maturité du digital dont les résultats tardent à se concrétiser au sein des statistiques économiques.

Quelles sont les autres menaces ?

Une remontée brutale des taux liée à une faillite bancaire ou à un déséquilibre sur une classe d’actifs pourrait provoquer un choc obligataire et une crise de change. Néanmoins, pour le moment, tout est sous contrôle.  La remontée des taux est graduelle et lente. En Europe, la sortie de la politique monétaire non conventionnelle par la Banque centrale européenne sera progressive afin de réduire autant que possible les à-coups sur les taux d’intérêt. Le retour à la normale est lissé sur une longue période pour en diminuer l’impact sur les acteurs économiques et notamment financiers.

Le maintien de taux bas est d’autant plus nécessaire que le niveau de la dette des différents agents économiques (États, entreprises et ménages) continue de progresser. Ainsi, pour l’ensemble des pays de l’OCDE, elle représentait en 2016 plus de 250 % du PIB contre 210 % en 2002. Les faibles taux d’intérêt ont permis de réduire la charge de dette de 50 % en dix ans. Tout choc sur les taux poserait des problèmes de solvabilité pour de nombreux agents économiques. Il entraînerait une brusque chute des investissements, ce qui pèserait sur le taux de croissance.

La politique américaine constitue, en 2018, un foyer d’incertitudes. Les effets économiques du plan fiscal s’il est adopté par le Congrès sont difficiles à apprécier. Une relance d’une économie en plein emploi ne peut aboutir qu’à accroître le déficit commercial. Elle pourrait favoriser l’augmentation des taux et créer des tensions financières internationales. La tentation protectionniste avec une éventuelle remise en cause de l’accord avec le Canada et le Mexique (ALENA) serait un mauvais signal. La multiplication des tensions diplomatiques (Corée du Nord, Moyen Orient) pourrait à terme créer un climat de défiance.

Parmi les menaces plus ou moins fortes, Il faudrait ajouter à la liste la situation diplomatique complexe avec la Corée du Nord, les tensions dans le Moyen Orient, le Brexit, la Catalogne et la Corse…

La très grande abondance de liquidités, fournies par les banques centrales depuis les différents plans d'assouplissement quantitatifs mis en place à travers le monde, sont régulièrement pointés du doigt dans ce qui apparaît comme un nouveau risque de crise boursière. Ces liquidités ont-elles échappé à "l'économie réelle" ? Ces liquidités n'ont elles pas permis un retour de la croissance dans les pays qui ont pratiqué ces politiques ?

L’augmentation sans précédent des bilans des banques centrales est une conséquence de la crise de 2008 et de la réplique de 2011/2012 en Europe avec la crise des dettes souveraines. Cette irrigation forcée en liquidités à a été dictée par une volonté de lutter contre la déflation et soutenir l’activité. Les Gouvernements, les banques centrales ont voulu par tous les moyens échapper à la spirale infernale de 1929/1939. Les politiques monétaires non conventionnelles ont permis de sortir les économies de la récession et de la stagnation en facilitant le crédit. Elles ont été épaulées par la chute du cours du pétrole et par une série de réformes de structures mises en œuvre dans de nombreux pays. Il y a évidemment un revers de médaille, l’envolée de certaines classes d’actifs, l’immobilier ou les actions. Se pose la question de la sortie de ces politiques monétaires exceptionnelles ?

Pour le moment, les banques centrales pilotent assez finement les politiques de taux et de rachats d’actifs. Evidemment qu’il y a des dangers de sortie de route en raison d’un niveau inégalé de dettes mais ces dernières existaient avant même l’abaissement des taux et les rachats d’actifs.

Certes, le FMI comme l’OCDE soulignent que l’économie réelle reste poussive. Un ralentissement de la croissance serait inévitable à partir de 2018 ou 2019 en raison de la faiblesse des gains de productivité. Ces gains lissés sur 5 ans atteignent pour les pays de l’OCDE moins de 1 % en 2017  contre 2 % en 2002. Par ailleurs, la stagnation voire la diminution de la population active dans un certain nombre de pays avancés freinera l’expansion économique. La croissance potentielle qui se situait à 2,5 % avant la crise est désormais proche de 1 %.

Le niveau élevé de l’endettement aux États-Unis avec une augmentation des primes de risques est un signal permettant de prédire la fin du cycle de croissance commencé en 2009. Ce dernier est le troisième le plus long depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le cycle de croissance le plus long est celui des années 1991/2001 suivi de celui de 1961/1969. La durée moyenne des cycles est aux États-Unis de 6 ans. L’ampleur des destructions provoquées par la récession de 2008 (moindre création de richesse, disparition de capital productif) et la faible croissance connue depuis (autour de 2 %) doivent être pris en compte pour apprécier le cycle économique en cours. Sa durée actuelle ne compense pas les pertes subies depuis 10 ans par rapport à la tendance de longue période. Le cycle de croissance en cours pour l’Europe n’est vieux que de quatre ans avec, de surcroît, un long amorçage.

Quelles seraient les actions à mettre en œuvre pour prévenir un tel krach ?

Etre mobile ! Jacques Attali, au cours de l’émission « L’info du vrai » sur Canal Plus, le 6 novembre dernier en assimilant les marchés financiers à une boîte de nuit surpeuplée et dépourvue des dispositifs de sécurité nécessaires invitait les épargnants à toujours se trouver de la sortie de secours. Certes, aujourd’hui, le problème est qu’en cas d’incendie, toutes les boîtes de nuits (entendez les marchés) seraient touchées et qu’il serait difficile pour un amateur de la nuit d’en retrouver rapidement une autre qui satisferait à toutes ses exigences. La situation des pays développés et émergents convergent en matière d’endettement et de politique monétaire. De ce fait, les havres de paix sont de plus en plus rares. La crise de 2008 a prouvé, par sa nature systémique, qu’aucun secteur ne pouvait se prémunir par un séisme d’une telle ampleur. Certes, une hausse des taux d’intérêt trop marquée contribuerait à un basculement d’actifs des actions vers les obligations. Le risque serait double, une crise obligataire doublée d’une crise du marché « actions » avec des conséquences pour la croissance de l’économie mondiale. Que la Chine, que les Etats-Unis, que le Japon ou que l’Europe soient tous dans la même situation financière est assez rassurant. En effet, il y a peu de possibilités d’effectuer de réaliser des arbitrages brutaux. L’interdépendance est autobloquante. Qui perd ne gagnera pas obligatoirement autre part.

Sinon, pour se prémunir des risques, la diversification, la diversification au niveau des  classes d’actifs, des zones géographiques. Il faut par ailleurs savoir récupérer ses plus-values et investir progressivement pour lisser les variations de marché. 

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