Selon le FMI taxer les riches est bon pour la croissance : gros plan sur une erreur de calcul... et de raisonnement<!-- --> | Atlantico.fr
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Selon le FMI, taxer les riches est bon pour la croissance.
Selon le FMI, taxer les riches est bon pour la croissance.
©Reuters

Balthazar Picsou

Non, taxer les plus riches n'est pas forcément bon pour la croissance. Explications.

Atlantico : Une étude de chercheurs du FMI Jonathan Ostry, Andrew Berg et Charalambos Tsangarides portant sur les liens entre redistribution et croissance accrédite l'idée selon laquelle taxer les riches serait bénéfique pour la croissance. La pratique vient-elle confirmer cette théorie ou au contraire l'invalider ? Quel est le bilan des politiques redistributives menées par les Etats ? Est-il globalement positif en termes de croissance ? Dans quelles limites ?


Nicolas Goetzmann : L’étude en question a ceci d’intéressant qu’elle est la première à prendre en compte un coefficient de Gini, c’est-à-dire une mesure des inégalités, qui prend en compte les niveaux de redistribution des états. Grâce à la disponibilité de ces données, ce qui est une nouveauté, les auteurs établissent un constat : les politiques de redistribution ne sont pas un frein à la croissance. En se basant sur de très nombreux pays, soit de l’OCDE, soit en dehors de l’OCDE, ils réfutent l’idée que des politiques de réduction des inégalités par la voie fiscale pèseraient lourdement sur la croissance. A l’inverse, les auteurs soutiennent que la croissance est plus soutenable à long terme si l’on favorise un certain niveau de redistribution. Pour juger de ce rapport, il est d’abord assez important de raisonner sur la même base que les données utilisées, c’est-à-dire en tenant compte de l’ensemble de la planète. Car les résultats des économistes sont très différents selon les zones, et notamment entre les pays de l’OCDE et les pays hors OCDE. Globalement, ce qui peut être mis en avant de ce côté est que les pays « développés » ont des niveaux de croissance plus stables et moins d’inégalités que la grande majorité des pays hors OCDE. Et cette conclusion la n’est pas réellement une nouveauté.

Jean-Marc Daniel : Les politiques de redistribution peuvent prendre des formes multiples, ce qui interdit des jugements et des conclusions trop généraux. En fait, il y a deux composantes dans une action de réduction des inégalités. Une composante punitive qui consiste à ponctionner les riches et à mettre en place des politiques fiscales très progressives, où les impôts sont concentrés sur une partie réduite de la population. Une composante incitative qui consiste à utiliser les dépenses publiques pour aider les pauvres à améliorer leur situation. Ce genre de politique consiste à privilégier dans les budgets les dépenses collectives tournées vers l’éducation, notamment élémentaire, la santé, notamment dans ses aspects les plus quotidiens et laisser au secteur privé la gestion des services que les riches peuvent s’offrir comme la culture.


La composante punitive nuit à la croissance parce qu’elle décourage la prise de risque et entretient un esprit de routine ; en revanche la composante incitative favorise la croissance notamment en améliorant ce que l’on appelle le capital humain. Ce genre de problème a bien été étudié et analysé par les économistes dans les années 60. Walter Heller, qui fut conseiller de Kennedy, est un de ceux qui ont le mieux étudié ce genre de questions. Il proposait une fiscalité sur les entreprises qui amortisse les conséquences des cycles économiques et une fiscalité sur les ménages proportionnelle et non pas progressive mais une fiscalité par ailleurs centrée sur la correction des externalités - c'est-à-dire une fiscalité sur le tabac ou la pollution élevée -. En revanche il recommandait de consacrer les dépenses publiques moins à l’armée et plus à la mise en place d’un Etat social permettant l’intégration des minorités en difficulté. C’est ainsi que Kennedy a baissé les impôts et préparé la « Great society » de Johnson et que les Etats-Unis ont connu à cette époque une relance de leur activité économique.


Que penser d'ailleurs de la façon dont les données ont été interprétées ?


Nicolas Goetzmann :Certains points sont réellement contestables, notamment sur les liens de causalité. Car si les auteurs établissent une corrélation entre faible croissance et inégalités et tirent des conclusions à partir de là, il y a un petit problème. Il est plutôt clair que c’est la faible croissance qui génère des inégalités et non l’inverse, ce sont en effet les plus démunis qui sont directement impactés par une faible croissance. Mais à partir de ces résultats, les auteurs préfèrent aller sur le chemin inverse en établissant que la redistribution et la réduction des inégalités est favorable à la croissance. Bref, les conclusions semblent parfois hâtives, mais les auteurs reconnaissent ce point. "Nous devons être attentifs pour ne pas sur interpréter ces résultats, spécialement en ce qui concerne les politiques publiques. Il est difficile de partir de cette sorte de corrélation pour affirmer une causalité".


Certains en France seraient tentés de voir dans cette étude une validation du modèle français. Ces conclusions s'appliquent-elles au cas français ?


Nicolas Goetzmann : Ce serait plutôt l’inverse. Car les auteurs établissent clairement qu’au-delà d’un certain seuil, les politiques de redistribution affectent la croissance et seraient ainsi contreproductive au global. Dans les résultats donnés par les économistes, quelques pays sont clairement au-delà de cette limite : par exemple la France, l’Allemagne, les Pays-Bas ou même le Royaume Uni. Le niveau optimal de redistribution, selon les auteurs, serait plutôt à chercher vers la Canada où les Etats Unis. Si certains veulent se servir de cette étude pour venir valider leurs idées, et ce uniquement en se basant sur les conclusions, ils feraient bien de s’intéresser au contenu. Car pour la France, le constat est plutôt décevant sur ce point. Plusieurs articles ont déjà pu traiter de cette publication, en affirmant par exemple "taxer les riches est bon pour l’économie".  Mais il serait bon de regarder le détail, car le résultat est inverse lorsque l’on regarde par exemple les pays européens ou plus directement la France.


Jean-Marc Daniel : Certains n’hésiteront pas à dire que cela valide le "modèle français". Néanmoins, les résultats sont là pour souligner ce que cela aurait de fallacieux. La France perd des gens compétents et dynamiques à cause de sa fiscalité confiscatoire. Et la baisse des rentrées de TVA met en évidence que la population qui ne peut pas fuir pratique un "exil fiscal interne". Mais plus fondamentalement le problème est celui de l’efficacité des dépenses publiques. Les Français ont la conviction qu’ils n’en ont pas pour leur argent. Depuis 30 ans, on augmente sans cesse les dépenses d’éducation, on leur dit qu’il faut prolonger les études pour réduire le chômage et il n’y a jamais eu autant de chômeurs. 56% de la richesse produite sont recyclés dans les dépenses publiques et la population se plaint de plus en plus que le service se détériore, que la sécurité publique qui est la mission première de l’Etat recule. La France ne souffre pas d’une fiscalité qui ne ponctionne pas assez les riches mais d’une dépense publique dévoyée. Ce n’est pas par hasard que le président de la République veut la réduire.


Cette étude constitue-t-elle une rupture dans la doctrine du FMI ?


Nicolas Goetzmann : La doctrine du FMI évolue en effet vers un modèle moins libéral, mais cela est le cas depuis déjà un moment. Son chef économiste, Olivier Blanchard, est plutôt réputé pour son approche sociale-démocrate. Mais encore une fois, l’étude en question ne bouleverse pas grand-chose. Elle va, en effet, dans le sens de la redistribution, mais ce conseil ne vaut que pour les pays les plus inégalitaires, qui n’ont aucun programme redistributif. Je répète que le Royaume-Uni y est considéré comme un état ayant déjà dépassé la limite, ce qui ne va pas exactement dans le sens d’une ligne très "sociale", en considérant nos standards d’appréciation. Les pays visés sont plutôt : le Pérou, le Nigéria, le Pakistan, l’Indonésie etc…qui effectivement n’ont aucune politique de redistribution. Ces pays sont incités à revoir leur copie sur ce point et peuvent être rassurés sur d’éventuelles conséquences négatives de telle politique sur leur croissance future. Sur ce point, on ne peut qu’encourager les conclusions de ce rapport, car les pays visés sont parmi les moins riches, et surtout parmi les plus inégalitaires.

Jean-Marc Daniel : En France, on a souvent une vision caricaturale du FMI. C’est d’abord un lieu qui permet aux pays - je dis bien aux pays et non pas aux Etats - surendettés d’obtenir de nouveaux prêts moyennant une correction de leur politique économique. Cette correction doit conduire à la disparition du déficit de leur balance des paiements courants. Les politiques recommandées par le FMI par assurer cette correction, politiques dites naguère d’ajustement structurel, reposent sur une contraction de la demande qui est la condition sine qua non de retour à l’équilibre extérieur. Ce n’est pas une doctrine, c’est l’application des résultats de la science économique. Le FMI est ensuite un lieu de réflexion et d’échange sur la théorie économique et sa vérification empirique. Et certains vecteurs d’opinion ont du mal à admettre là encore qu’il ne s’agit pas de "doctrine" mais de travail scientifique. En particulier ce travail scientifique montre que la concurrence est plus efficace que le protectionnisme et les monopoles et cela en chagrine beaucoup. Dans le débat sur les inégalités sociales et la croissance, on voit bien qu’une société de connivence, où l’Etat assure la fortune de quelques-uns, connaît peu de croissance. Ce n’est pas parce que certains s’enrichissent mais parce qu’ils le font par la prébende. En revanche, quand la richesse est associée à l’audace entrepreneuriale, les inégalités se creusent et la croissance s’envole. Ce n’est pas de la doctrine, c’est tout simplement du bon sens.

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