Sécurité, immigration ou "made in France" : le consensus des élites européennes vole en éclats<!-- --> | Atlantico.fr
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Quant aux autres thématiques « sécurité, immigration, et identité », elles participent d'une "droitisation" de la vie politique française.
Quant aux autres thématiques « sécurité, immigration, et identité », elles participent d'une "droitisation" de la vie politique française.
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Europe 2.0

Quand Marine Le Pen se prend à rêver d'un Front national centre de gravité de la vie politique française, il faut plutôt voir un phénomène européen de prise de conscience de la réalité de la désindustrialisation du continent. Exploité avec plus ou moins de populisme ou de démagogie par les forces politiques classiques.

Gaël Brustier

Gaël Brustier

Gaël Brustier est chercheur en sciences humaines (sociologie, science politique, histoire).

Avec son camarade Jean-Philippe Huelin, il s’emploie à saisir et à décrire les transformations politiques actuelles. Tous deux développent depuis plusieurs années des outils conceptuels (gramsciens) qui leur permettent d’analyser le phénomène de droitisation, aujourd’hui majeur en Europe et en France.

Ils sont les auteurs de Recherche le peuple désespérément (Bourrin, 2010) et ont publié Voyage au bout de la droite (Mille et une nuits, 2011).

Gaël Brustier vient de publier Le désordre idéologique, aux Editions du Cerf (2017).

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Atlantico : Le thème du "made In France" vient de faire irruption dans la campagne présidentielle dans les voix de Nicolas Sarkozy et de François Bayrou. Après la mise au cœur du débat public des thématiques de la sécurité, de l'immigration ou de l'identité nationale, peut-on parler, comme le soutient Marine Le Pen, d'une victoire idéologique de l'extrême droite sur la vie politique française ?

Gaël Brustier : Non, car s'il on considère que le "made in France" est lié à la question de la politique industrielle, le Front national ne s'est jamais préoccupé sérieusement de politique industrielle. Qui plus est, cela n'a jamais été une thématique phare de l'extrême droite.

Dans les années 1980, Il faut rappeler que Jean-Pierre Stirbois (Secrétaire général du FN en 1981) s'était positionné sur ces questions face aux campagnes du Parti communiste, qui encourageaient à produire Français. Le seul ajout tenu face aux propositions des communistes était de nature discriminatoire, « Produisons Français, avec des Français ». Ils avaient donc porté le débat non pas sur des politiques industrielles en tant que telles, mais sur des politiques agressives d'ostracisation des travailleurs immigrés.

Quant aux autres thématiques « sécurité, immigration, et identité », elles participent d'une "droitisation" de la vie politique française. Le problème ne se situe donc pas du côté de Marine Le Pen, mais de la droite classique qui a une tendance régulière à se radicaliser dans toute l'Europe : Forza Italia, le Parti conservateur en Angleterre, le Parti populaire en Espagne, et l'UMP en France.

De là à affirmer que Marine Le Pen gagne idéologiquement, laissons lui le loisir de rêver... La véritable préoccupation porte sur la droite parlementaire d'aujourd'hui, et sa radicalisation mêlée à un pragmatisme total.


Pourquoi les politiques français se sentent-ils désormais libres d'aborder sereinement ces thématiques, alors qu'elles étaient autrefois taboues ?

Tout d'abord, il convient de souligner le rôle joué par le problème de la désindustrialisation effective. Son ampleur était encore inimaginable il y a dix ans, et pourtant, les pertes colossales de la part de l'industrie dans le PIB français sont bien réelles. Sans oublier les pertes massives d'emplois, se comptant en centaines de milliers. Ce n'est donc pas un hasard si c'est un sujet majeur aujourd'hui.

Cette thématique de la désindustrialisation relie les territoires les plus stratégiques pour la conquête de la présidentielle, ceux de l'Est et du Nord-Est de la France, ceux qui, de fait, sont le plus susceptibles de basculer dans un camp ou dans un autre. Il est ici question des zones péri-urbaines, soit les zones industrielles du Pays. Quand François Bayrou parle de « produire Français, et d'acheter Français », il fournit une analyse électorale basique, consistant à faire le constat que s'il n'est pas arrivé au deuxième tour de la présidentielle 2007, c'est parce qu'il n'a pas su séduire l'électorat populaire. Il avait 15 et 17% des voix chez les ouvriers et les employés, soit en-dessous des 18,75% de voix dans la moyenne de la population. Si Nicolas Sarkozy a gagné en 2007, c'est a contrario parce qu'il a su capter cet électorat populaire du Nord-Est, sur des thématiques proches de leurs préoccupations. Stéphane Rozès (ancien directeur général de CSA) dit « travail mérite pouvoir d'achat ». Ce sont des zones qui fonctionnent à la fois sur la réalité ( la désindustrialisation), et la question de l'imaginaire, qui naît du délitement du tissu industriel en France.

Quand le tissu industriel est délité, l'imaginaire se modifie, et il s'est trouvé que cet imaginaire là, Nicolas Sarkozy a su le capter. Quant à Marine Le Pen, il faut reconnaître - même si c'est inquiétant -, qu'elle a su capter l'électorat rural et ouvrier aux régionales de 2010.

Au-delà de l'urgence industrielle, il y a des questions d'opportunité électorale imminente. A ne pas confondre avec du pur opportunisme, sachant que les responsables politiques veulent gouverner un pays, ils doivent donc prendre en compte les sujets qui intéressent les Français, soit ceux liées à la question de la désindustrialisation.

Sur les questions "sécurité, immigration et identité", il y a deux lignes politiques qui se sont toujours opposées : la ligne républicaine classique de Henri Guaino face à la ligne de Patrick Buisson, tous les deux conseillers auprès de Nicolas Sarkozy. Ce sont des thématiques qui relèvent de la "consolation morale", et tentent de répondre à ce que Stanley Cohen appelle les "paniques morales", à savoir la peur d'attitudes minoritaires jugées déviantes par rapport à la règle commune. Du coup, la droite a pensé pouvoir exploiter cette filière là... Mais il se trouve qu'en France, qui n'est pas un pays raciste, cela marche relativement mal. Le déterminant du vote Front national ne table d'ailleurs pas sur des thématiques ouvertement racistes, et c'est précisément pourquoi le gouvernement s'est induit lui-même en erreur. Même si le racisme ordinaire existe, les racistes sont finalement très peu nombreux en France.

Il s'agit donc de recréer un sentiment d'appartenance collective, et il nous faut comprendre que le vote Front national est une espèce de dernière manifestation de conscience ouvrière, qui n'est pas directement lié aux questions d'identité, d'immigration et de sécurité.


Peut-on également invoquer le contexte socio-économique actuel de la crise systémique européenne ?

Bien sûr, notamment parce que la vision que les gens ont du monde est bouleversée.

Par ailleurs, il faut comprendre qu'il y a deux volets dans une campagne électorale :

  • Économique et social 
  • Culturel

    Le combat compte donc, tout comme les questions de l'imaginaire. Une campagne n'est pas un catalogue de mesures. C'est apporter un programme économique et social, auquel il faut adjoindre une dimension éminemment culturelle, c'est à dire donner une vision du monde.

    Il se trouve qu'aujourd'hui l'objet d'un consensus élitaire en europe est en train de voler en éclat, et que les hommes politiques sont forcés de se réintéresser à des sujets concrets et basiques, que sont la politique industrielle et la politique économique. Sans oublier ce qu'est une communauté politique et civique dans la mondialisation, soit dans un univers qui n'est pas extrêmement stable, voire relativement inquiétant pour les gens.


Les socialistes, centristes ou même les écologistes sont-ils "armés" pour s'imposer sur ces différentes thématiques ?

La campagne présidentielle le déterminera...


Nous venons d'évoquer la mondialisation et le politique. Il a également été beaucoup question de démondialisation au cours de la primaire socialiste. Pourquoi l'attention s'est-elle focalisée sur la régulation des échanges commerciaux et financiers, et finalement très peu sur les migrations humaines ?  

Au cours de la primaire, il a été question de co-développement, du Nord et du Sud, de la régularisation des échanges, et d'une gestion humaine et politique des flux migratoires. Mais il s'est trouvé que ces sujets n'ont pas été repris du fait d'un manque d'écho politique, personne n'ayant daigné "renvoyer la balle".

Arnaud Montebourg s'est lui-même exprimé là-dessus, « Plus de douanier pour les marchandises, un peu moins de barbelés pour les hommes ». Ce qui ne veut pas dire qu'il n'est pas question d'une gestion des flux migratoires, car il en faut une, ne serait-ce que pour protéger les migrants, et ne pas les livrer à une "loi de la jungle", terreau fertile des théories favorables à une Europe forteresse et au syndrome de Lampedusa.

Quant à la globalisation financière et au libre-échange, ils ont un impact certain sur l'humanité, et ces thématiques se doivent donc d'être prioritaires dans la campagne... Les priorités de campagne sont donc aussi la globalisation financière, le système financier mondial, et le libre-échange international.

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Propos recueillis par Franck Michel

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