Se féliciter de l’attractivité de la France et défendre la souveraineté… c’est pas un peu contradictoire ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Avec 1 194 projets d’implantations ou d’extensions de sites industriels, logistiques ou commerciaux, les entreprises et les investisseurs étrangers plébiscitent la France avant même la Grande-Bretagne, l’Allemagne ou les Pays-Bas.
Avec 1 194 projets d’implantations ou d’extensions de sites industriels, logistiques ou commerciaux, les entreprises et les investisseurs étrangers plébiscitent la France avant même la Grande-Bretagne, l’Allemagne ou les Pays-Bas.
©JOEL SAGET / AFP

Atlantico business

La France, championne d’Europe des investissements étrangers, c’est plutôt un bon signe, mais quand nos politiques font campagne pour protéger la souveraineté, ça peut paraître incompatible. À moins que nos politiques ne disent n’importe quoi…c’est possible !

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Pour la 5e année consécutive, la France est le pays en Europe le plus attractif pour les investissements étrangers. Le cabinet de conseil et d'expertise comptable EY mesure chaque année le montant des investissements étrangers comme indicateur de l’attractivité, et pour la 5e fois consécutive, met la France en tête. Avec 1 194 projets d’implantations ou d’extensions de sites industriels, logistiques ou commerciaux, les entreprises et les investisseurs étrangers plébiscitent la France avant même la Grande-Bretagne, l’Allemagne ou les Pays-Bas. Le nombre de projets d’implantations et d'extension est un peu moins important que l'année précédente (environ 5%), mais plus lourd en emplois créés (40 000 emplois directs). 

Bruno Le Maire se félicite bien évidemment de cette situation, pour répondre à tous ceux qui critiquent sa gestion de la politique économique, car il y voit le résultat de la politique d'offre très pro-business menée en France (avec notamment une baisse des impôts qui pèsent sur les entreprises) et du volontarisme affiché depuis la crise du Covid pour favoriser des relocalisations d’activité et surtout une réindustrialisation. 

La France a ainsi récupéré pas mal de projets qui étaient fléchés sur la Grande-Bretagne (avant le Brexit) et sur l’Allemagne avant la guerre en Ukraine. Les raisons du succès sont très connues : la France conserve, grâce à sa géographie, la diversité de son territoire, la qualité de ses infrastructures de communication, sans oublier la qualité de la main-d’œuvre et notamment la qualité de sa recherche. La France conserve un pouvoir de séduction très efficace et le ministre de l’Économie n'a pas tort de mettre ces performances au crédit du bilan de l’action gouvernementale depuis plus de 5 ans. 

Mais attention , les équipes de Bercy  savent tres bien  qu'il existe aussi des handicaps qu'il faudrait réduire, parce que beaucoup de pays dans le monde font des efforts pour attirer les investisseurs étrangers, à commencer par les États-Unis. L'IRA (Inflation Reduction Act of 2022), par exemple, est cette loi américaine promulguée le 16 août 2022 qui mobilise sur dix ans 369 milliards de dollars pour soutenir l'industrie verte. En réalité, c’est un plan de réindustrialisation et de protectionnisme. L'Amérique ne récupère pas seulement des activités qui avaient été délocalisées dans les pays émergents, mais elle challenge aussi l'Europe qui a la même ambition. 

Autre problème pour la France : une qualité de ses services publics qui se dégradent alors que leurs coûts de fonctionnement pèsent sur la compétitivité. Enfin, il y a la question de l'énergie qui reste très chère notamment depuis la guerre en Ukraine et la fermeture des livraisons de gaz russe. L’Allemagne souffre beaucoup de cette situation, mais la France aussi qui est en retard dans la mise à niveau de son industrie nucléaire. Le résultat est que l’Amérique est capable de sécuriser ses livraisons d’énergie à son entreprise à un coût très inférieur à celui de l’Europe. 

Les gouvernements successifs, et notamment le ministre de l’économie qui est en place depuis le début du mandat d’Emmanuel Macron, ont diagnostiqué ces difficultés qui auraient nécessité des réformes de structures plus profondes, d’une baisse d’impôts, mais tous les gouvernements depuis Édouard Philippe n’ont pas trouvé de majorité pour s’attaquer à la question des dépenses publiques que la France traîne comme des semelles de plomb. 

En dépit de ces freins, la France garde une grande partie de son pouvoir d’attraction. Cela dit, il y a un autre frein à cette attractivité, c’est la montée du souverainisme dans une grande partie de la classe politique, parce que quoi qu’on en dise, le souverainisme n’est pas directement compatible avec l'attractivité pour deux raisons : 

- D’une part, si on attire des investisseurs étrangers, ces investisseurs viennent avec leur droit de propriétaire, ce qui diminue de fait , l’indépendance nationale. Pour se protéger, la nation doit mettre en place des barrières et des règles qui diminuent d’autant l'attractivité. 

- D’autre part, les investisseurs étrangers qui s’installent en France vont évidemment conserver les revenus générés. Ils créent des emplois, certes, ils participent au PIB, mais les richesses créées le sont au profit des épargnants étrangers. Qu’il y ait de l'investissement, c’est bien, mais si cet investissement était financé par de l’épargne française, ce serait beaucoup mieux pour les retraités français. Un investissement étranger participe à l'activité et au dynamisme français, c’est vrai, mais dans la limite du pouvoir accordé à l'investisseur ; l'investisseur étranger travaille plus pour ses actionnaires étrangers que pour les Français. Les Japonais et les Anglais ont compris depuis très longtemps l'intérêt qu'ils pouvaient trouver en investissant à l’étranger. Ils vont toucher les revenus aussi longtemps que leurs investissements en produiront.

La tendance des responsables politiques aujourd'hui est plutôt à défendre la souveraineté coûte que coûte, c’est-à-dire au prix de perdre les actifs qui font le bonheur des investisseurs étrangers. Dans un univers très libéral, ce mouvement mondial est parfaitement légitime. Mais si on veut préserver la puissance nationale et l’avenir des retraites quand elles vieillissent, mieux vaudrait inciter les épargnants français à financer leur industrie. L’épargne française représente aujourd'hui plus de 6 000 milliards d’euros, c’est de l’épargne disponible et quasi liquide. Elle dort et ne sert à rien, sauf pour partie à financer le déficit budgétaire, c’est-à-dire le fonctionnement de la fonction publique et les salaires de fonctionnaires. Cette pratique est très souverainiste, sans doute, mais pour en user, il nous faut emprunter massivement (3 000 milliards d’euros), dont les 2/3 viennent de l'étranger, et dérouler le tapis rouge aux investisseurs étrangers pour qu'ils viennent jouer avec nos entreprises. Les responsables politiques ne sont pas à une contradiction près, sauf qu’à accueillir aussi bien les investisseurs étrangers, ils vont bientôt s’installer chez nous. 

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