Cette scientifique de Cambridge développe 300 cerveaux humains dans son laboratoire et voilà ce qu'elle compte en faire<!-- --> | Atlantico.fr
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L'étude de ces cerveaux pourrait aider la communauté neuro-scientifique à percer le mystère de l'intelligence humaine si paradoxale.
L'étude de ces cerveaux pourrait aider la communauté neuro-scientifique à percer le mystère de l'intelligence humaine si paradoxale.
©Reuters

Armée neurologique

Une scientifique de l'Université de Cambridge a réussi à élever trois cent cerveaux en laboratoire à partir d'échantillons de peau humaine. Ces cerveaux in vitro pourraient servir à mieux étudier les pathologies neuronales et remplacer les expérimentations sur les animaux.

On savait déjà que certains scientifiques avaient récemment réussi à fabriquer de véritables organes humains en laboratoire à partir de cellules, tels qu'un foie, une oreille ou encore un cœur. Mais un organe aussi complexe que le cerveau ? On n'y aurait pas pensé. Et pourtant : dans son laboratoire ultramoderne de biologie moléculaire situé dans le Medical Research Councilde l'Université de Cambridge (Royaume-Uni), la jeune scientifique Madeline Lancaster cultive depuis plusieurs mois une multitude de cerveaux humains, rapporte la BBC. Trois cent pour être exact.

Recette pour cultiver un cerveau

Avant d'expliquer la raison pour laquelle elle élève cette véritable armée de cerveaux, attardons-nous sur le processus de fabrication de ces organes. Comment est-ce possible, au juste ? Eh bien, cela n'est pas si compliqué qu'il n'y parait. Il n'y a même pas besoin de prélever de morceau de cerveau à quiconque. La recette est simple : il suffit juste de quelques échantillons de peau collectés auprès de donneurs, d'un peu de liquide nutritif, et de beaucoup de patience. "Les cerveaux se développent de la même manière que les embryons", compare Lancaster, interrogée par la BBC. Exact, à la différence près qu'ils ne grandissent pas là dans un utérus, mais dans de gigantesques incubateurs tout de verre et d'acier – un équipement futuriste qui a d'ailleurs participé au prix exorbitant du complexe scientifique s'élevant à quelque 240 millions d'euros.

Durant leur culture, les cerveaux grandissent dans des boîtes de pétri totalement stérilisées. Au départ, les cellules de peau humaine y sont déposées, puis arrosées d'un liquide nutritif, sorte de sérum de jeunesse qui permet de les débarrasser de leur "spécialisation" (la formation de peau, en l'occurrence) pour en faire des cellules "neutres" : les cellules souches. Cette première étape prend environ une semaine. Une fois ces cellules suffisamment nombreuses – elles se multiplient entre temps –, cette substance obtenue est roulée en boule afin de pousser ces cellules humaines à entrer en interaction, à s'organiser, et ainsi à reprendre le chemin d'une "spécialisation". On trouvera alors des cellules de cerveau, d'autres de peau, de cœur…etc.

Cerveaux de foetus

Lancaster prive ensuite cette culture de nourriture afin que seules les cellules les plus résistantes survivent : ça tombe bien, puisqu'il s'agit des cellules cérébrales. "Elles sont très robustes, et je pense que personne ne sait vraiment pourquoi", témoigne-t-elle. Ces cellules survivantes sont alors conservées dans une sorte de gelée pour encourager leur développement. Trois mois plus tard, l'organe est fini. Détrompez-vous, il ne s'agit pas de cerveau humain adulte, aux larges dimensions que nous connaissons (1,5 kg pour 1 400 cm3), mais bien de sortes de blobs gluants à la teinte grisâtre nageant dans un liquide rose pâle, équivalents aux cerveaux de foetus d'à peine neuf semaines.

Pourtant, cette apparence n'est pas si éloignée de celle de nos cerveaux. Il s'agit bien de la matière blanche, chargée de protéger la matière grise. En outre, ces amas de cellules fonctionnent bel et bien comme un cerveau normal, séparé en différentes parties telles que le cervelet, l'hippocampe ou le cortex cérébral. En revanche, avec leurs deux millions de neurones, ils sont loin d'être aussi développés que les nôtres et leurs 100 milliards de neurones. Lancaster relativise : "Un cerveau de souris adulte parfaitement développé contient environ quatre millions de neurones". Cette culture de cerveau en vaut donc la peine. Mais la peine de quoi, exactement ?

Élargissement du champ des possibles

C'est là tout l'intérêt de cet élevage digne du docteur Frankenstein : permettre aux scientifiques d'étudier des cerveaux humains en stade de développement. Si ceux-ci ne peuvent pas "penser" parce qu'ils ne sont pas rattachés au reste du corps humain, les neurones qui s'y trouvent interagissent, bien qu'ils ne soient pas réellement organisés, rajoute Lancaster. En effet, la raison de ce sous-développement est bel et bien le manque du corps humain. Le cerveau est en quelque sorte une intelligence artificielle qui apprendrait au fur et à mesure des expériences vécues. En l'absence de sensations (vue, ouïe, goût, toucher, odorat), le cerveau ne peut se développer complètement. "Chez les nouveau-nés aveugles par exemple, qui ne perçoivent donc pas de lumière, la partie de leur cerveau qui en temps normal se connecterait aux autres parties cérébrales ne va pas se développer", illustre la biologiste.

Grâce à cette culture de cerveaux "primaires", les scientifiques auront alors l'occasion de se pencher sur la genèse de l'organe. À partir de là, il serait alors plus pratique de déceler les premiers facteurs déclenchant les maladies neuronales auxquelles nous avons affaire, telles qu'Alzheimer ou Parkinson. L'étude de ces cerveaux pourrait également aider la communauté neuro-scientifique à percer le mystère de l'intelligence humaine si paradoxale. En effet, nous nous jugeons – et nous avons bien raison – plus intelligents que les chimpanzés. Pourtant, notre patrimoine génétique ne diffère du leur que de 1,2%, quand celui-ci diffère d'environ 0,1% entre chaque être humain. En outre, le chimpanzé présente le même taux de différence génétique avec l'humain et qu'avec… le gorille. Le fossé nous paraît tout de même plus grand entre l'homme et le chimpanzé qu'entre ce dernier et le gorille, non ?

Contourner les règles d'éthique scientifique

Et les bénéfices de ce genre d'élevage ne s'arrêtent pas là. Pour percer ce-dit mystère de l'intelligence humaine, il serait intéressant de voir comment se comporte un cerveau hybride, mi-homme, mi-chimpanzé. Vous imaginez le tollé que provoquerait cette expérience sur un homme vivant ? Ces cerveaux humains au stade de simple organe sans aucune conscience permettent donc de repousser, ou plutôt de contourner les frontières de l'éthique scientifique.

Enfin, les animaux de laboratoire pourraient également saluer l'avènement d'une telle pratique, puisque leurs propres cerveaux pourraient être analysés sans leur causer la mort. Pour cela encore, il suffit d'un bout de tissu animal. "Quand un animal accouche dans un zoo, les vétérinaires jettent habituellement le placenta à la poubelle, mais nous pourrions l'utiliser", justifie Lancaster.

Une chose est sûre : en travaillant sur des organes élevés in vitro, les scientifiques sont parvenus à "dépersonnaliser" leurs sujets d'expérience, à démonter l'être humain pour se débarrasser de toutes considérations éthiques à l'égard de ces organes qui, auparavant, appartenaient à quelqu'un. De quoi également libérer la fréquence des études sur les organes, alors que le nombre de donneurs n'est parfois pas suffisant pour satisfaire les scientifiques souhaitant réaliser des expériences. Un argument que les personnes en attente de greffe d'organes, trop nombreuses sur la liste d'attente, peuvent également faire valoir. Enfin, ces expériences pourraient participer aux recherches s'inscrivant dans la lutte contre les épidémies qui frappent les populations, et en particulier leur cerveau, comme Zika.

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