Sauver les Ouïghours : mais qui pourrait faire plier la Chine ?<!-- --> | Atlantico.fr
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manifestation de soutien Ouïghours Hong Kong
manifestation de soutien Ouïghours Hong Kong
©DALE DE LA REY / AFP

Crise

Le chef de la diplomatie britannique, Dominic Raab, a accusé ce dimanche la Chine de commettre des "atteintes graves, choquantes aux droits de l’Homme" à l’encontre de la minorité ouïghoure dans le Xinjiang. La Chine a estimé, ce lundi 20 juillet, que le chef de la diplomatie britannique répandait des "calomnies".

Emmanuel Lincot

Emmanuel Lincot

Professeur à l'Institut Catholique de Paris, sinologue, Emmanuel Lincot est Chercheur-associé à l'Iris. Son dernier ouvrage « Le Très Grand Jeu : l’Asie centrale face à Pékin » est publié aux éditions du Cerf.

 

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Atlantico.fr : Quelle est l’origine de la crise entre Pékin et cette minorité musulmane du Xinjiang ? 

Emmanuel Lincot : C’est une crise à la fois politique, économique et identitaire. Elle survient dès le XVIIIe siècle lorsque la cour sino-mandchoue s’empare de cette immense région que convoite par ailleurs la puissance czariste russe. Cet intérêt de Moscou pour le Xinjiang ne s’est jamais démenti. Au début des années 50 elle fait l’objet d’intenses tractations entre Mao et Staline. Elle se trouve dans le prolongement du Turkestan que les Russes ont déjà conquis plus d’un demi-siècle auparavant. L’élite ouighoure est ballotée entre les appétits russe et chinois. Ces derniers l’emporteront car la région s’avère vitale pour Pékin. C’est une province riche en pétrole et en terres rares. Elle offre à la Chine une profondeur stratégique lui donnant accès à l’Asie centrale et elle protège, plus au sud, sa présence militaire sur les hauts plateaux tibétains qui, eux, surplombent l’ensemble du sub-continent indien. Après l’effondrement de l’URSS, le Xinjiang  est donc devenu l’axe pivot stratégique des intérêts chinois. De sa sécurisation dépend l’avenir du projet des nouvelles routes de la soie si cher au président Xi Jinping, lesquelles transitent par cette région pour atteindre l’Union Européenne. Dans leur écrasante majorité, les Ouighours n’ont guère bénéficié des retombées économiques de ce projet. Nombre d’entre eux vivent la présence chinoise comme une véritable tragédie. Leurs droits les plus élémentaires, leur dignité même sont bafoués. Certains se sont radicalisés. Ils ont rejoint les rangs d’Al Qaïda voire ceux de Daesh. L’ETIM, une organisation terroriste ouighoure, a proclamé la guerre sainte à partir de 2016 contre Pékin. Les attentats se sont multipliés. Une guerre larvée mine les rapports entre communautés Ouighour et Han. De violentes émeutes  ont éclaté dans la capitale régionale, Urumuqi, en 2009. Depuis, les mesures coercitives et de répression n’ont cessé de s’accentuer. Elles augurent du pire pour les années à venir.

Comment sont apparus les camps d’internement ?

Ces camps ont, dans les faits, toujours existé dans l’histoire de la Chine communiste. Ce sont des camps de rééducation idéologique. Le développement de ces camps est justifié comme un moyen préventif de lutte contre le terrorisme. Chen Quanguo, l’un des caciques du régime au Xinjiang, est à l’origine de ce dispositif ultra sécuritaire qu’il avait quelques années plus tôt déjà expérimenté au Tibet. En réalité c’est l’ensemble de la province du Xinjiang aujourd’hui qui est devenue un vaste camp de concentration. Les déplacements de la population y sont systématiquement surveillés au moyen de l’intelligence artificielle. Les humiliations quotidiennes qu’éprouvent les Ouighours éloignent chaque jour davantage toute possibilité de réconciliation. Celles et ceux  qui sortent de ces camps on déjà pu témoigner. Ils sont brisés. Ils vont finir par rejoindre l’armée des ombres qui secrètement travaille contre le régime de Pékin.

Quels mécanismes peuvent être actionnés afin de libérer ces prisonniers ?

Pékin juge non sans raison qu’il s’agit là d’une affaire de politique intérieure. Aucune puissance étrangère ne peut donc s’ingérer dans cette affaire considérée comme relevant de la souveraineté chinoise. Les États-Unis ont néanmoins opté pour un certain nombre de sanctions. Mais disons les choses crûment: les Ouighours et le Xinjiang sont beaucoup trop lointains pour que Pékin puisse être inquiété outre mesure. Plus révélateur encore est le silence des pays musulmans concernant cette minorité de confession musulmane. Que ce soit vu de la Turquie ou de l’Arabie Saoudite, les Ouighours constituent davantage un problème qu’une solution dans les relations qu’ils entretiennent avec la Chine. La solution ne peut donc venir que de l’élite ouighoure dans ses rapports avec l’élite chinoise. 

Quels risques les Occidentaux prennent-ils en cherchant à libérer les prisonniers ouïghours ?

C’est un problème global. Celui du non respect des droits de l’homme par le gouvernement chinois. Ce qui survient au Xinjiang, survient également au Tibet ou à Hong Kong. Fondamentalement, c’est le problème des rapports entre le centre et ses périphéries qui est ici en jeu. Mao, jeune, envisageait la création d’une fédération pour la Chine. Nous sommes très loin de cet esprit de fédération aujourd’hui. Les violences faites aux minorités finiront par se retourner inévitablement contre leurs auteurs. Cela peut prendre des générations. Mais peu importe : que l’on soit bouddhiste tibétain ou musulman ouighour, on a en soi et pour soi la culture du temps long. Les Occidentaux, raisonnablement, ne peuvent pas prétendre faire grand-chose pour la libération des Ouighours. En revanche,  garantir aux réfugiés tibétains et ouighours qui se trouvent sur les territoires européen et américain une sécurité me paraît nécessaire. On aimerait aussi que Taiwan et son élite se montrent beaucoup plus actifs à ce propos. 

Propos recueillis par Mark Samba

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