Saurez-vous deviner quel leader du véhicule électrique en Europe est chinois sans en avoir l’air ?<!-- --> | Atlantico.fr
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MG Motor anciennement Morris Garages est un constructeur automobile britannique fondé en 1924.
MG Motor anciennement Morris Garages est un constructeur automobile britannique fondé en 1924.
©AFP / PUNIT PARANJPE

Surprise

Alors que les ventes de véhicules électriques augmentent en Europe, les consommateurs européens sont parfois réticents à l'idée d'acheter des véhicules chinois, souvent moins onéreux.

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou est directeur général adjoint du cabinet de conseil Sia Partners. Il est l'auteur de "Liberté, égalité, mobilié" aux éditions Marie B et "1,2 milliards d’automobiles, 7 milliards de terriens, la cohabitation est-elle possible ?" (2012).

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Atlantico : Alors que les ventes de véhicules électriques augmentent en Europe, les consommateurs européens sont parfois réticents à l'idée d'acheter des véhicules chinois, souvent moins onéreux. Mais le leader des véhicules électriques en Europe est bien chinois … Il s’appelle MG, marque bien connue des amateurs de belles carrosseries. Que s’est-il passé ? Est-ce un cas isolé ? 

Jean-Pierre Corniou : Les statistiques mensuelles n’apportent qu’une information partielle sur la capacité des marques à séduire le marché et à s’y implanter durablement, surtout sur le marché naissant du véhicule électrique où les clients manquent de référence. Une attitude prudente s’impose. Néanmoins, il faut reconnaître que, portée par l’intérêt des consommateurs pour les véhicules électrifiés, la performance de MG Motor est impressionnante avec 13 441 voitures vendues, soit 2,1% du marché sur le marché français au 1er semestre 2023 pour une marque à la consonance familière mais totalement inconnue comme constructeur de voitures électriques il y a 24 mois. C’est en effet en mai 2020 seulement que le constructeur chinois a annoncé son intention de se développer en France.

L’histoire de la marque MG, initialement Morris Garages, créée en 1924 à Oxford, est symbolique de la descente aux enfers de l’industrie automobile britannique dont, en 2023, il ne reste rien, sinon que des symboles, tous désormais entre des mains étrangères. Cette histoire complexe, faite de rachat, de scissions, de rivalités et de drames est un roman en soi et démontre que les entreprises ne peuvent survivre que si elles ont un cap, des produits, des clients et des dirigeants sérieux. Tout montage bancal qui oublie ces vérités banales est condamné à l’échec. Pays industriel à forte tradition mécanique, riche en entrepreneurs et inventeurs audacieux, la Grande-Bretagne a développé dès le début du XXe siècle, à partir des bassins industriels des Midlands et de Londres, une industrie puissante à vocation exportatrice. Grâce au Commonwealth elle devient en 1949 la deuxième industrie automobile mondiale derrière les Etats-Unis et dispose au milieu des années cinquante du deuxième parc de véhicules.

En 1959, les cinq premiers constructeurs britanniques, British Motor Corporation (BMC), Ford, Rootes, Standard, Vauxhall, représentent 90% de la production. Cette industrie, 5e du monde alors, est la première industrie exportatrice du Royaume-Uni. Mais le système industriel britannique se dégrade rapidement pour des raisons de qualité, de prix de revient, d’innovation et donc d’image. En 1972, l’industrie britannique exporte 32% de sa production, volume qui tombe à 23% en 1983. En 1972, 23% des voitures immatriculées sont britanniques, et ce chiffre dégringole à 57% en 1983. De réorganisation en réorganisation, BMC, le constructeur leader qui incarne cette restructuration puisqu’il a été formé en 1952 par le rapprochement des constructeurs Morris, Austin, Riley et Wolseley, achète Jaguar en 1966 et fusionne en 1968 avec British Leyland pour composer un nouvel ensemble, British Leyland Motor Corporation. Avec 40 usines, une production non rationalisée, des rivalités internes, l’absence d’une politique produits claire, et de nombreux conflits sociaux, BLMC perd sans cesse des parts de marché, la qualité y est médiocre et le groupe vacille pour disparaitre lui-même dans une faillite qui a marqué l’opinion britannique en 1975. Nationalisé, le groupe qui coopère avec Honda à partir de 1979, vend l’ensemble Austin Rover à British Aerospace en 1988 qui, à son tour, en 1994, vend la division Rover Group à BMW, dont la Mini. Mais face aux dettes, BMW jette l’éponge et vend en 2000 Rover Cars et la marque MG pour 10 £. Plus encore, les marques symboles de la Grande-Bretagne tombent entre les mains germaniques, Rolls-Royce étant racheté en 1998 par BMW, Bentley par le groupe Volkswagen. Jaguar et Rover sont venus à Ford en 2000, qui à son tour les cède en 2008 au groupe indien Tata Motors à Ford, Vauxhall, vieille marque britannique, fondée en 1857 et qui produit des voitures depuis 1903,  rejoint en 2017, après avoir appartenu à GM avec sa marque sœur Opel, le groupe Stellantis.

Des marques disparaissent, sont rachetées, mises en sommeil et cette industrie britannique, naguère synonyme de luxe, de charme et de créativité avec la Mini sombre dans l’indifférence au terme de ce démembrement. En 2022, l’industrie britannique a produit 872 510 voitures pour les entreprises Toyota, Nissan, Stellantis ou Mercedes… Mais il n’y a plus de marque d’origine britannique.

C’est dans ce contexte d’échec que les constructeurs chinois s’intéressent à l’industrie britannique. Au début de leur essor en 2006, à un moment où personne ne peut vraiment craindre l’industrie automobile chinoise naissante, le groupe chinois Nanjing Automobile Corporation (NAC) rachète MG Rover, placé sous administration judiciaire. NAC  passe en 2007 sous le contrôle du groupe chinois SAIC qui, après une tentative d’assemblage local de véhicules produits en Chine ferme en 2016 l’usine historique de Longbridge, ouverte en 1905 et qui a joué un rôle essentiel dans l’effort d’armement des deux guerres mondiales,  pour transférer toute la production à Shanghai.

Il faut noter que la société qui fabrique les célèbres taxis noirs londoniens, London Taxis International, est propriété du groupe privé chinois Geely depuis 2013.

Toutefois l’implantation chinoise la plus importante en Europe, et la plus discrète, résulte du rachat par Geely à Ford de la division automobile de Volvo dès 2010. Geely était alors un petit constructeur, dont le chiffre d’affaires ne représentait que 16% de celui de Volvo. Volvo et Geely ont depuis créée en 2016 une marque commune dédiée aux seuls véhicules électrifiés, Lynck&Co, dont les véhicules commencent à être très présents en Europe.

Racheter des marques comme MG est une stratégie délibérée des constructeurs automobiles chinois ? Faut-il y voir une manière de s’implanter sur le marché européen, sans éveiller les soupçons des consommateurs ? 

Il est très difficile pour un nouveau constructeur de s’implanter sur un marché dense et exigeant comme ceux des pays européens, pionniers de l’automobile. Les consommateurs jugent d’abord la qualité perçue, les performances dynamiques et le prix. Le goût de la « belle bagnole » est très prononcé sur chacun des cinq grands marchés européens. La nationalité des constructeurs est secondaire. Elle apporte d’ailleurs une information biaisée sur le lieu de production quand on souhaite acheter français. Le plus français des constructeurs de voitures moyennes et sans contexte le japonais Toyota qui produit depuis 1998 la Yaris dans son usine d’Onnaing et y a produit, en 2022, 256 000 voitures faisant d’Onnaing le première usine automobile de France. Les constructeurs chinois ont une vision à long terme et cherchent à s’implanter sur le marché européen, réputé exigeant et concurrentiel, soit par l’exportation soit par l’implantation d’usines.  La densité des concessionnaires est un vecteur important de présence commerciale. MG Motor a ainsi 163 points de distribution et devrait atteindre 180 sites fin 2023.

Dans le détail, comment se partage le marché des véhicules électriques en Europe ?

Les ventes de véhicules électrifiés se divisent en trois catégories : les électriques à batteries (VEB), les électriques à piles à combustible et les hybrides rechargeables (PHEV). Sur les neuf premiers mois de 2023, les véhicules électrifiés représentent 25% du marché des voitures particulières neuves, 16 % pour les véhicules à batteries et 9% pour les hybrides rechargeables. Les ventes atteignent même 29% en septembre, dont 19% pour les véhicules à batteries ; le marché en progression constante n’est plus marginal et ceci 12 ans avant la fin programmée des moteurs thermiques en Europe. L’essence (37,4%) et le diesel (10,1%) sont tombés au-dessous des 50% de part de marché. L’hydrogène, faute de réseaux et de modèles de véhicules, ne compte pas encore sur le marché ; il ne s’est vendu en France que 228 voitures à hydrogène depuis janvier 2023. En France, Model Y est 8e des ventes des 9 premiers mois et devance le populaire Dacia Duster comme le Dacia Spring électrique d’entrée de gamme, classé 15e. Il s’est vendu en 9 mois 12 199 MG4, soit 0,9% du marché, autant que de Tesla 3 et près de trois fois plus que de Renault Zoé. La Renault Megane-E s’est vendue à 12 649 exemplaires sur la période dépassant la Megane IV.  MG4 et MG ZS totalisent en 9 mois 16 130 ventes pour un constructeur à peine sorti de l’anonymat. Il faut aussi noter que les véhicules électriques légers s’électrifient également ; ils représentent près du 8% du marché.

En Europe, le constructeur américain Tesla arrive en tête des ventes avec 185 328 voitures vendues au premier semestre 2023, dont 136 564 Model Y qui plait particulièrement aux consommateurs européens. Pour illustrer le bouleversement qu’apportent les véhicules électriques, Model Y bat Dacia  qui a vendu en S1 2023 123 408 Sandero. MG Motor avec 104 293 voitures vendues en Europe, soit 128% de croissance par rapport à 2022, récolte les résultats de son offensive produit, avec 5 véhicules, MG4, MG5, MG ZS,MG EHS et MG MarvelR, et de la densification rapide de son implantation commerciale. Il est certain que la marque MG avec son histoire sportive et sympathique, est un atout dont la maison mère, SAIC, qui a produit 5,2 millions de véhicules en 2022, a su habilement jouer. Forte de ses résultats, MG Motor envisage de construire une usine en Europe et la France est sur les rangs.

Dans un discours au Parlement européen, Ursula von der Leyen, a dénoncé "des marchés mondiaux", aujourd'hui "inondés de voitures électriques chinoises bon marché, dont le prix est maintenu artificiellement bas par des subventions publiques massives". Sommes-nous à l'aube d'une guerre commerciale entre l'Union Européenne et la Chine ? 

La guerre commerciale dans l’industrie automobile a la particularité de ne jamais s’arrêter et ceci depuis l’origine de l’automobile ! Si la mondialisation de cette industrie à grande échelle a vraiment commencé dans les années soixante-dix, les flux d’échange ont commencé dès l’origine de l’industrie.  Les constructeurs sont toujours voulus être présents partout et cette industrie est devenue très vite mondiale à travers les exportations, dans un premier temps, puis avec les implantations industrielles.  Renault était le fournisseur de la cour impériale de Russie, a créé une filiale de ventes aux Etats-Unis en 1906, et s’est implanté en Asie après 1918 en créant neuf filiales. Ford s’est installé pour produire en Grande-Bretagne en 1911 et en 1926 en Allemagne. Les constructeurs japonais se sont implantés commercialement en Europe dès les années 70 et conquis rapidement des parts de marché qui ont conduit les pays européens à vouloir se protéger contre cette concurrence jugée alors déloyale. Ceci a donné lieu à des accords d’autolimitation des ventes (16% de part de marché entre 1993 et 1999) qui ont, largement, été contournés par des implantations industrielles en Europe.  Les constructeurs japonais sont passés de 3,7% de part de marché aux Etats-Unis en 1970 à 21,3% en 1980. Les enjeux en termes d’emplois, de taxes, d’innovation sont tels que les constructeurs se livrent à une compétition féroce, certes soutenus par leurs pays d’origine mais surtout par leur dynamique de conquête de marché. En automobile, in fine, c’est le client qui décide en choisissant le produit qui répond à son attente. Il est évident que, après son entrée à l’OMC en 2001, l’arrivée de la Chine sur le marché mondial de l’automobile depuis le début du XXIe siècle, comme producteur pour son marché national, puis désormais deuxième exportateur mondial depuis 2022, approfondit cette concurrence, comme le firent les constructeurs japonais puis coréens. Rien ne permet de penser que cette concurrence serait déloyale alors que tous les constructeurs mondiaux se sont précipités en Chine pour participer au développement du marché et contribué à la montée en compétence technique des constructeurs chinois. Il serait tentant d’expliquer le succès des voitures chinoises par des subventions du gouvernement chinois, plus que par leurs mérites propres. Mais que peut-on dire alors de Tesla qui bat régulièrement les constructeurs européens sur les marchés ?

La vérité est plus complexe. Ayant misé sur le moteur diesel pour réduire les consommations et donc les émissions de CO2, l’industrie européenne n’a pas cru au véhicule électrique et beaucoup ironisé sur les ambitions de Tesla avant de comprendre la menace que représentait les constructeurs chinois dans un domaine qui n’a pas été couvert par les joint-ventures. Le réseau des bornes de recharge a tardé à se mettre en place. Mais, dans l’ombre, Tesla aussi bien que les constructeurs chinois ont acquis plusieurs années d’avance dans la maîtrise technique de tous les composants de la voiture électrique, batteries, moteurs et qualité de l’électronique embarquée. La contre-offensive européenne a commencé sur la production de batteries, l’équipement en bornes et la diversification des produits. Il y a désormais plus de 107 000 bornes de recharges ouvertes au public en France, et il y aura quatre Gigafactories pour les batteries dont deux d’origine française, ACC et Verkor. Mais sous-estimer les concurrents pourrait coûter cher « aux vieilles légendes » que le président de BYD a décidé avec ses collègues industriels chinois de « démolir ». L’exemple britannique est bien celui à ne pas suivre.

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