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Salve de tweet anti-Macron : et si au milieu du fracas, de l'inculture et de la vulgarité, Donald Trump n’avait pas malgré tout une vision politique solide du destin de l'Occident ?
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French nationalist

Le Président américain a beaucoup attaqué Emmanuel Macron sur Twitter ces derniers jours, affirmant "qu'il n'y a pas de pays plus nationaliste que la France". Une accusation faisant fi de toute diplomatie, mais d'une certaine façon très vraie.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Donald Trump dans l'un de ses tweets souligne le fait "qu'il n'y a pas de pays plus nationaliste que la France". Ne peut-on pas lui donner en parti raison, en ce sens où si la France porte bien une vision européenne, elle est finalement très nationale car elle ne cherche pas à comprendre la vision des autres ?

Edouard Husson : Tout d’abord, Emmanuel Macron ne possède pas l’une des vertus cardinales, particulièrement recommandée à l’homme d’Etat par la philosophie politique : la prudence. Il aurait dû savoir que lorsque l’on attaque Donald Trump, il riposte. Et il ne manque pas sa cible. Alors que sans l’aide financière et militaire américaine nous n’aurions pas gagné la Première Guerre mondiale, Emmanuel Macron fait asseoir, à l’Arc de Triomphe, Angela Merkel entre lui et Donald Trump ! Or Angela Merkel est la quintessence de tout ce que déteste Trump : bureaucrate, libérale au sens américain et chancelière d’un pays dont le président américain (comme ses prédécesseurs mais plus fortement qu’eux) dénonce les excédents commerciaux thésaurisés. Le président français a-t-il mesuré la portée de son geste protocolaire ? En tout cas, il ne s’en est pas contenté puisqu’il a dressé une opposition entre patriotes et nationalistes qui devait être une pierre jetée dans le jardin de la Maison Blanche. Eh bien ! la réponse ne se fait pas attendre. Donald Trump remet chacun à sa place : il n’ y a pas, dans son acception à lui, plus dotés de fierté nationale que les Français. Et c’est alors qu’on entre dans quelque chose de subtil mais au fond assez aisé à déchiffrer. Reprenons la séquence des tweets de Donald Trump :

1. Macron récolte ce qu’il a semé. Trump déclare une guerre commerciale sur le vin français ! Les viticulteurs français vont pouvoir remercier le Président, à leur tour.

2. Mais Trump sait très bien ce qu’il fait : le tweet suivant, rédigé cinq minutes plus tard, souligne, avec une cruauté de gros chat sûr de son fait, la chute de popularité du président français, tombé à 26% d’opinions favorables et incapable de faire reculer le chômage, qui colle aux 10%. Voici encore une occasion de le dire : la force de Trump vient en grande partie de ce qu’il est sous-estimé. Et ses réponses font d’autant plus mal que ses adversaires s’avancent vers lui en ayant baissé la garde.

3. Ensuite commence la leçon politique : Trump finit son deuxième tweet en suggérant à Macron de faire comme lui, de s’adresser à la France qui souffre et de la remobiliser autour du sentiment national : « A propos ! il n’y a pas de pays plus fier d’être une nation (« plus nationaliste ») que la France, les Français sont des gens très fiers de ce qu’ils sont – et c’est une bonne chose ! ». Et vient alors le troisième tweet, rédigé deux minutes plus tard : « ….MAKE FRANCE GREAT AGAIN ! ». C’est à la fois un conseil au jeune gringalet, qui l’amuse autant qu’il l’agace. Mais c’est aussi, et Macron ferait bien de prendre cela au sérieux, un appel à une forme de révolution française. Le soulèvement du peuple en faveur d’une démocratie conservatrice.

Moins d'intégration des économies, moins de multilatéralisme, volonté de dé mondialisation…  Derrière la guéguerre par tweet interposés -à laquelle Emmanuel Macron se livre pas- et la vulgarité de la forme choisie par Trump, n'y-a-t-il pas une vision politique plus forte de la part de Donald Trump et plus adaptée au monde tel qu'il l'est aujourd'hui ?

Vous le dites : Emmanuel Macron maîtrise bien moins bien, malgré la génération qui le sépare de Donald Trump, la logique des réseaux sociaux. Regardez le compte twitter de Macron : on y cherche l’imprévu. Trump, lui a fait de son compte twitter sa meilleure arme médiatique ; et ceci, plusieurs années avant de se lancer dans la course à la Maison Blanche. Ensuite, si l’on compare la vision politique des deux hommes, il y a des choix opposés. Trump, bien qu’appartenant à l’élite financière de son pays, a choisi de regarder la société américaine telle qu’elle est. Vivant à New York, il a fait le constat que la plupart des puissants et des milliardaires qu’il fréquentait, s’accommodaient des inégalités et de laisser une partie du peuple américain sur le bord de la route. Au fond, ce qu’Hillary Clinton assumait et ce qu’Obama avait couvert de sa rhétorique, c’était une sécession tranquille du pays, fondée cette fois non pas sur l’acceptation de l’esclavage par le parti démocrate, comme en 1860, mais sur l’abandon des « déplorables », sous-éduqués, chômeurs etc…. Trump, tel un nouveau Lincoln – et aussi haï que lui par ses contemporains – a décidé que la sécession du pays n’aurait pas lieu. Il veut maintenir l’unité nationale américaine en recousant le tissu social. Evidemment, c’est un peu comme escalader un sommet par la face Nord. Trump n’a pas choisi le chemin le plus facile. Emmanuel Macron, lui, est de la même famille de pensée qu’Obama ou Hillary Clinton. Il ne sait parler qu’à la France qui a réussi dans la mondialisation – ou qui croit que c’est le cas, tant il est vrai que toute une partie de ce qui reste de la classe moyenne qui vote Macron ne se doute pas du mépris dans lequel la tiennent les gens vraiment riches et puissants. Et les gaffes politiques d’Emmanuel Macron sont du même acabit que la déclaration d’Hillary Clinton sur « les déplorables ».  

La mondialisation telle que l'entend la France et Emmanuel Macron peut avoir du sens quand elle s'inscrit dans un échange qui peut être réitéré, où règne une vraie confiance. Mais peut-il y avoir de la confiance dans un univers avec des pays qui ne jouent pas avec les mêmes règles du jeu ?

En fait, il est faux de dire que Trump est protectionniste. Il veut d’abord renégocier les traités de commerce pour qu’ils deviennent plus favorables à son pays. Effectivement, il favorise la réindustrialisation des Etats-Unis. C’est l’intégration nationale avant l’intégration à la mondialisation. Nous devons absolument nous défaire d’une illusion d’optique. Le discours pro-mondialisation, c’est une véritable idéologie, au sens de Marx : c’est la vision partagée de la classe dirigeante. Et elle a évidemment ses partisans « aliénés », qui ne comprennent pas leur propre intérêt de classe. Toute une partie de ce qui reste de la classe moyenne française a voté pour LaREM alors qu’elle est finalement très loin des revenus de ceux que David Rothkopf appelle la « superclasse » dans un livre qui a presque dix ans (Superclass : The Global Power Elite And The World They Are Making, NYC, 2009). Ce sont tous ceux qui expliquent que les « gilets jaunes » sont manipulés par l’extrême droite. Evidemment, c’est un bouleversement des catégories politiques. Contre toute une vulgate libérale bien-pensante, il faut accepter que la défense des frontières, le rétablissement de l’ordre public, et le contrôle de l’immigration soient désormais des causes à défendre par tous ceux qui pensent au bien des catégories populaires. Le monde de la « mondialisation heureuse » n’existe pas. C’est un monde où règne le droit du plus fort. Mais il est beaucoup de membres de l’élite française qui préfèrent avoir un strapontin dans ce monde-là plutôt que de donner la priorité à la solidarité nationale. En fait, vous remarquerez que les périodes de confiance internationale sont aussi des périodes de cohésion sociale dans les nations : pensons aux Trente Glorieuses : malgré la Guerre froide, la détente s’est instaurée et la prospérité s’est diffusée. Pour nous 1989-1990 a été une libération ; mais demandez au Russe soumis à la loi d’airain des politiques néolibérales jusqu’en 1998, à l’Irakien ou à l’Afghan qui ont vu leur pays désintégré au début des années 2000 ou à l’Iranien qui n’en finit pas de subir des blocus, ce qu’ils en pensent ; ces politiques de désintégration des autres nations ont leur pendant, moins immédiatement sanglant mais tout aussi délétère à terme, dans la croissances des inégalités au sein des pays occidentaux. .  

C'est par exemple le cas de la Chine : Donald Trump avait obtenu  que les chinois reculent un peu sur leur "non-respect des règles internationales" au prétexte qu'ils étaient toujours en voie de développement. Là encore, la méthode Trump, bien que souvent triviale, porte ses fruits… 

Ce qui surprend le plus nos commentateurs, c’est l’efficacité de Trump. Comme ils ont pris pour argent comptant la propagande électorale démocrate, ils ne comprennent pas comment quelqu’un dont on leur dit qu’il est en fait stupide, incapable de se concentrer, instable etc…. arrive à faire tout ce qu’il a annoncé. De ce point de vue, les Russes ou les Chinois sont beaucoup plus réalistes. Ils ne sous-estiment pas Trump. Ils le prennent au sérieux. J’ai été frappé, lors d’un récent voyage en Chine, d’entendre beaucoup d’interlocuteurs se demander à haute voix comment ils allaient limiter les dégâts que leur inflige la politique de Trump. La question n’était pas de savoir si Trump était simplet ni même s’il avait raison ou tort – au royaume des idées politiques -  mais quel allait être l’effet sur la croissance chinoise d’une modification des traités commerciaux.  Nous sommes étonnés parce qu’en France nous n’avons pas connu de président efficace en économie depuis Georges Pompidou. Dans un entretien récent au journal Le Point, Nicolas Sarkozy évoque avec une certaine envie les régimes autoritaires qui auraient la durée et l’efficacité pour eux ; et dans le même entretien, il a tendance à minimiser les succès de Trump, qui se contenterait d’aller « de deal en deal » avec une certaine efficacité. Mais le nœud du problème est bien là : accepter de regarder Trump avec recul et équanimité, cela revient à accepter que nos gouvernements démocratiques pourraient être efficaces. Nous devrions nous réjouir des leçons venues des Etats-Unis : sauf que cela voudrait dire, pour nos politiques, se couper, comme Trump l’a fait, d’une partie de l’establishment, pour quelques années de navigation solitaire.  Nos dirigeants n’y sont pas prêts.   

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