Russie-Turquie-Iran : la triplette géopolitique qui a réussi à profondément changer notre monde sans que nous réagissions<!-- --> | Atlantico.fr
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Vladimir Poutine Recep Tayyip Erodgan Russie Turquie
Vladimir Poutine Recep Tayyip Erodgan Russie Turquie
©Pavel Golovkin / POOL / AFP

Mutations planétaires

Pendant que l'Europe patauge dans la Covid-19, l'Iran, la Turquie et la Russie avancent leurs pions pour extraire le grand espace eurasiatique de l'emprise américaine.

Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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Contrecoup positif de la mondialisation : désormais, géopolitique et criminologie analysent ensemble les crimes et trafics globalisés. Au premier plan de ces études, les sociétés de sécurité privées, guérillas hybrides ou unités militarisées hors-contrôle de l'État, toujours plus actives dans le monde.

Étudier ces armées non-étatiques (relevant du droit pénal pour de possibles crimes) c'est observer, amasser et vérifier des données, dresser des cartes, rédiger des études. Aussi, dialoguer avec des analystes fiables, officiels ou non, ayant des choses paramilitaires une vision claire et une grande expérience. Reconnaître un tel expert est aisé : il prévoit un bouleversement pour tel contexte ou lieu ; puis ce qu'il a annoncé advient, à peu près dans les temps et sous la forme pré-dite.

Or, dans le grand Moyen-Orient entre Iran et Libye, "zone des intérêts majeurs" qui inquiète les grands stratèges, ces analystes décrivent, depuis fin 2018, une révolution stratégique mondiale bousculant de séculaires équilibres. Révolution ourdie en sous-main par des forces paramilitaires iraniennes, russes ; parfois aussi turques.

Ce qui suit décrit cette révolution stratégique.

D'abord, ceci : l'auteur ne se réjouit, ne déplore ni ne moralise : il veut informer sur un sujet vital, d'usage absent, malgré sa portée stratégique, des soucis de l'Europe de Bruxelles et des "Unes" des grands médias d'Europe.

1 - À l'origine de cette révolution stratégique, deux acteurs d'envergure mondiale, V. Poutine et R. T. Erdogan ; prétendant s'affronter, ils jouent en fait de concert ; ce, toujours plus souvent depuis ce putsch raté de l'été 2016 qui força R. T. Erdogan à repenser sa stratégie de survie et de contre-offensive.

2 - Ce discret pacte opère notamment en Libye, au Soudan et autour de la péninsule arabe.

3 - Dès la fin 2018, ces experts prévoyaient l'implantation de trois bases militaires russes sur la rive perse du Golfe. De fait, dès le 18 octobre 2020 et la levée par l'ONU de l'embargo sur les ventes d'armes à l'Iran, il appert qu'à l'image de ses bases de Syrie (Hmeimin, Lattaquié), la marine russe ouvrira trois implantations majeures à Chahabar, Bandar-Abbas et Bandar-Busher, sur les golfes persique et d'Oman. La protection de l'espace maritime-aérien alentours dépendra de systèmes de défense S-400 et Bastion ; plus, d'ultra-performants dispositifs de guerre électronique Krasnouha-4.

Un mot sur ce dernier système, dont on a vu l'efficacité lors d'un accrochage entre Russes et Ukrainiens, après la reprise de la Crimée par Moscou. En novembre 2018, deux vedettes et un remorqueur ukrainiens allant d'Odessa à Marioupol, en mer d'Azov, arrivent étrangement dans les eaux territoriales russes, où des commandos n'ont plus qu'à les cueillir. Krasnouha aidant, ces navires ukrainiens avait été trompés par leurs GPS - même par leurs boussoles ! Dès lors, attaquer l'Iran (comme l'Irak le fut en 2003), voire le bombarder, sera si coûteux militairement que Téhéran sera de facto sanctuarisé, hors attaque nucléaire.

À l'été 2020, la seule amorce de ce mouvement russe a jeté les Émirats, Bahrein, etc. dans les bras d'Israël. Arrimer la Russie aux "mers chaudes" était le rêve géopolitique des Tsars et de Staline : Poutine l'a réalisé.

4 - Pareil pour l'ultra-stratégique Soudan : depuis 2018, Erdogan et Poutine se rapprochaient du dictateur soudanais Omar el-Bechir - là aussi, opéraient des milices privées russes. Mais ayant vite jaugé le discrédit du corrompu Bechir, les deux compères ont manigancé un "soulèvement populaire" et confié le pouvoir à des militaires plus jeunes et présentables - tout autant à leur solde.

Seconde branche de la tenaille : une grosse base militaire russe est prévue à Port-Soudan, sur la mer Rouge. La aussi, défenses côtières... bases de missiles sol-air et systèmes de guerre électronique. Une note militaire prédit que "la complémentarité de ces systèmes d'armes empêchera l'accès à cette zone".

Golfe arabo-persique... Mer rouge... Comment finir d'encercler cette "zone des intérêts majeurs" ? Par une base en Mer d'Arabie : elle se prépare, Moscou reviendrait bientôt à Socotra, île où la marine soviétique était jadis implantée.

5 - Enfin, là aussi depuis fin 2018, on sait que des nageurs de combat et des troupes de marine, notamment russes et iraniens, s'entraînent ensemble.

Face à ce stratégique défi planétaire visant à extraire le grand espace eurasiatique de l'emprise américaine, Bruxelles patauge dans la COVID-19 et les médias français sondent la psychologie de Jonathann Daval.

Et les chefs d'état-major des deux ultimes armées présentables d'Europe, celles de la France et du Royaume-Uni ? Sans doute observent-ils, tristes et inquiets, l'immense jeu qui se joue loin d'une Europe au rancart.

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