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Pour les Russes, l'opposition à Poutine c'est l'homme invisible
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Tsar star

Comme annoncé cette semaine, en 2012, Vladimir Poutine devrait succéder à Dimitri Medvedev à la tête de la Russie. Il faut dire que face à lui personne n'émerge réellement...

Macha Sarfati

Macha Sarfati

Journaliste, correspondante à Moscou, en Russie, pour des médias russe et français
Elle présente une émission quotidienne d'actualités sur la radio russe internationale, La Voix de la Russie, ainsi que deux programmes de débats politiques en français

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Samedi, on apprenait que Poutine serait à nouveau président en 2012, avec Medvedev comme Premier ministre : les deux images du poster s’inversent pour la deuxième fois, ce n’est une surprise pour personne et l’on peut utiliser le mode affirmatif, à plusieurs mois des présidentielles, pour désigner le futur président de la Fédération de Russie sans grand scrupule.

Voilà l’occasion de se demander s’il existe, au fond, une alternative à Poutine. En réalité, une chose est sûre, c’est que d’opposition politique à proprement parler, il n’en existe pas ; surtout, les quelques mouvements qui pourraient la représenter se trouvent loin de correspondre à ce qu’en attendrait un citoyen occidental, français par exemple.

Une opposition faible et trop disparate

D’abord parce que cette opposition est extrêmement faible et inaudible. Ensuite parce qu’elle est hétérogène à un point surprenant et que pourtant, si elle ne parvient pas à s’unir, c’est plutôt par manque d’énergie rassembleuse que par refus de mélanger les idéologies. En effet, dans le monde de l’opposition politique russe, les ultra-nationalistes et les socio-démocrates dialoguent sans scrupule. Kasparov le libéral et Limonov le national-bolchévique font tribune commune en 2006, lorsqu’ils créent un parti de peu de succès, « l’Autre Russie ». L’année dernière, quelques pas devant les représentants des partis extrémistes « Contre l’immigration illégale » ou « Force Slave », interdit, ( dont les initiales sont SS en russe), Sergueï Mitrokhine, le chef de la section moscovite de Labloko, le principal parti démocrate aujourd’hui, n’hésite pas à se recueillir de manière très symbolique sur la tombe du supporter du Spartak tué dans une rixe entre jeunes Russes slaves et caucasiens, et dont la mort a lancé en décembre 2010 une vague de manifestations nationalistes. Impossible de dessiner les contours de cette opposition floue, sans identités politiques bien différenciées.

S’il existe une sorte de démocratie en Russie, ce n’est pas une démocratie partisane. Bien-sûr, au premier chef des responsables, on trouve la sévérité du régime poutinien, fondée sur une doctrine de la verticale du pouvoir (les gouverneurs de région ne sont pas élus mais nommés, les manifestations d’opposants sont régulièrement interdites et réprimées  et ainsi de suite). Mais la structure du régime n’explique pas à elle seule la particularité de l’opposition politique russe.

C’est que le pays ne connaît pas de tradition du combat politique démocratique ; le mécontentement peut s’y exprimer, mais autrement que par le vote ou l’engagement partisan. Pour commencer, en Russie, les citoyens votent en général pour le parti au pouvoir (ce qui permet de prédire la réélection de Poutine en mars prochain), quand bien même ils ne sont pas dupes de ce qu’il lui propose. Le parti de Vladimir Vladimirovitch, Russie Unie, est surnommé de Moscou à Vladivostok « le parti des escrocs et des voleurs » par une population qui rit nonchalamment de se voir imposer à longueur de journaux télévisés  les deux faces du tandem Président-Premier ministre, et qui rit moins de constater chaque jour à quel point le pays vit dans une corruption généralisée. Mais sinon Poutine, qui d’autre ?

Plus une nostalgie qu'une opposition

De même que l’opposition n’existe à peu près pas au sein de la population, il serait vain de chercher parmi les auteurs, non seulement les plus lus, mais même les underground, des critiques auto-déclarés à Poutine ou à ses idées, et dont l’engagement ressemblerait à ce qu’en France on appellerait un combat humaniste ou de gauche. Le romancier Limonov, soutenu par l’icône de la « résistance » la journaliste Anna Politkovskaïa, tuée en 2007 dans des circonstances encore inexpliquées, est aussi le créateur d’un étonnant parti national-bolchévique. Le médiatique écrivain Dmitri Bykov est l’auteur d’une chronique satirique, parodie de poèmes classiques, tous les lundis sur la radio Echo Moskvy mais il ne revendique pas d’appartenance politique. Les anti-utopies de Vladimir Sorokine, qui imagine une Russie vieille d’une décennie supplémentaire repliée sur elle-même et dirigée d’une poigne autoritaire par une sorte de descendant d’Ivan le Terrible, provoquent la colère des jeunesses proches du pouvoir que sont les « Nachi », eux-mêmes descendants proprets et néanmoins brutaux des Komsomols, mais plutôt par leur teneur obscène que politique.

Oleg Lekmanov, professeur de littérature russe contemporaine à l’Université d’Etat de Moscou remarque : « Le lecteur français aimerait retrouver dans la littérature russe contemporaine l’héritage de la dissidence soviétique ; mais les auteurs d’aujourd’hui ne sont pas à strictement parler des opposants au régime poutinien. D’une manière générale, la réflexion idéologique en Russie ne passe pas par le politique. La critique sociale en littérature est générale, elle s’en prend aux rêves de la société de consommation, aux fantasmes de toute-puissance pétrolière de la Russie du XXème siècle, davantage qu’au manque de démocratie. Elle reprend plutôt, en les questionnant, les idées mises en avant par le Premier ministre et ancien président Vladimir Poutine, plutôt qu’elle ne les combat », poursuit-il même.

C’est un fait, les idées de l’actuel Premier ministre trouvent un large écho en Russie. La nostalgie, non tant du communisme, même khrouchtevien ou brejnevien, que d’une époque d’avantage égalitaire, où la vie semblait posséder un sens et où le pays était respecté, du moins craint, à travers le monde, est très répandue, comme l’attachement général à la patrie. En revanche, sont honnis le cynisme des dirigeants, le sentiment d’impunité des riches et puissants (responsables régulièrement,  à bord de leurs  voitures surmontées d’un improbable et immérité gyrophare, d’accidents de la route), l’inaction des gouverneurs, des responsables de compagnies aériennes, aérospatiales, nautiques, auxquelles le peuple reproche de provoquer, par sa négligence et son avidité, le déclin d’une partie de son industrie.

Les Russes voteront Poutine en 2012, même ceux qui ne croient pas en lui. Parce que l’opposition passe ailleurs que par les urnes, et qu’elle ne prend la forme ni d’une révolution, dont les Russes sont blasés, ni d’une littérature politisée, ni d’un essaim de mouvements engagés. Elle passe par un goût grandissant des élites pour l’auto-dérision – qui assiste aux spectacles, à 100 euros la place, de satire politique de l’écrivain Dmitry Bykov et de l’acteur populaire Mikhaïl Efremov…  Par le mécontentement diffus d’une jeunesse populaire, qui regrette la grandeur de la patrie et pleure l’humiliation de ses parents dans la débâcle post-communiste ; enfin, par des actions non-politisées, concrètes, lancées au jour le jour par des riverains  de la petite bourgeoisie qui décident de nettoyer avec efficacité un parc abandonné par les autorités, ou par des automobilistes de l’Extrême-Orient russe qui exigent, contre le code en vigueur, de pouvoir rouler à gauche, puisque leurs voitures viennent du Japon, où le volant est à droite. Mais gauche ou droite, rien n’est partisan dans cette question.

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