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Russie : ce à quoi compte s’attaquer Poutine pour son 4ème mandat
©ALEXEY NIKOLSKY / SPUTNIK / AFP

Trop facile

Dimanche 18 mars, sans surprise, Vladimir Poutine a été réélu avec 76% des voix.

Michael Lambert

Michael Lambert

Michael Eric Lambert est analyste renseignement pour l’agence Pinkerton à Dublin et titulaire d’un doctorat en Histoire des relations internationales à Sorbonne Université en partenariat avec l’INSEAD.

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Atlantico : Avec un score record et un taux de participation plus élevé qu'en 2012, peut-on parler de victoire totale pour le président Russe ? 

Vladimir Poutine n’est pas une surprise mais atteste cependant de l’appauvrissement et du désintérêt  pour la politique en Russie. 
On peut dès lors légitimement s’interroger sur la capacité des citoyens russes, et encore plus de la “génération Poutine”, à adopter un raisonnement démocratique et de multipartisme après le départ de celui-ci (qui n’est pas éternel). On constate également, et c’est une rupture par rapport aux précédentes élections, un manque d’optimisme et de mobilisation de la part des russes qui résident à l’étranger. La victoire attendue renforce la sclérose politique du pays et laisse à craindre un renforcement du pouvoir autocratique et un affaiblissement de l’opposition aux Etats-Unis et en Europe (la plus active) qui se lasse de lutter sans aucun résultat concret depuis 1999. 
À l’étranger, cette victoire n’est pas/plus au coeur de l’attention médiatique, et aucun gouvernement n’espère un changement en ce qui concerne la ligne diplomatique de Poutine depuis la Guerre en Géorgie (2008) et l’annexion de la Crimée (2014). On assiste donc à la naissance d’un schéma pessimiste qui laisse au Président russe la liberté d’accomplir ce qu’il souhaite et de dénigrer le principe de démocratie sans aucune opposition. 
En ce sens, ce n’est pas une victoire totale du Président russe mais du principe d’autocratie sur celui de démocratie. 

Comment expliquer une si grande participation dans un contexte où l’issue était joué d’avance ?

Les plus pessimistes - notamment aux États-Unis et en Europe — diront que les chiffres de la participation sont le résultat d'une fraude massive pour augmenter la légitimité de celles-ci. Si tel est le cas, le pouvoir de Poutine ne repose pas sur un support du peuple mais sur son absentéisme. 
Les plus optimistes - en Russie - diront que le peuple russe ont fait le choix de soutenir massivement le Président car sa politique donne les résultats escomptés. En effet, après chaque conflit (Tchétchénie, Géorgie, Ukraine, Syrie) la légitimité du Président russe se renforce et avec son image de leader. Qui plus est, les citoyens russes n'associent pas forcement le gouvernement avec Poutine, qui pour eux est hors du système et incarne une forme de stabilité comme le font les Monarques.    
Poutine est parvenu à redonner sa fierté au peuple russe, humilié après la chute de l'URSS, la Crimée (re)-devenue russe, l’Ukraine ne rejoindra pas l’Union européenne / Otan sans trouver une solution au conflit qu’alimente le Kremlin, et la Syrie est désormais un avant poste-russe au Moyen-Orient. Pour résumer, la politique de Poutine, aussi catastrophique qu’elle puisse nous paraitre à l’étranger, est un succès aux yeux des habitants et cela explique le vote de ces derniers pour lui.

De l’objectif de remise à flots de l’économie russe du premier mandat de Vladimir Poutine aux tensions croissantes avec l’Occident qui caractérisa le dernier, quel sera, selon vous l’objectif ou les objectifs de ce nouveau mandat qui s’ouvre?

Il y a peu a attendre en ce qui concerne la politique nationale russe mais beaucoup à l’international. 
L’économie du pays ne dépend désormais plus des réformes de Moscou mais de la position économique de Beijing. La Chine est la seule - avec son nombre croissant de touristes et ses investissements le long de la nouvelle route de la soie - à pouvoir booster l’économie russe. Poutine adopte donc une position passive et laisse reposer la performance économique du pays sur celle de son voisin. 
À l’international, la Russie dispose cependant de perspectives favorables. L’Union européenne s’effrite (élections en Hongrie, Pologne, Autriche, le BREXIT, séparatisme en catalogne, la montée des extrêmes en France et en Italie, etc.) ce qui donne un certain crédit au projet d’Union (Économique) Eurasiatique. Qui plus est, l’Otan est affaiblit par les ambitions impérialistes d’Erdogan et l’isolationnisme de Trump alors que la Russie semble bien maitriser les territoires séparatistes en Europe de l’Est et les stratégies d’influence qui vont avec (Transnistrie, Est de l’Ukraine, Abkhazie, Ossétie du Sud). 
On peut s’attendre à une politique qui va s’orienter de plus en plus vers la Chine et au renforcement des cooperations régionales au sein de l’Union eurasiatique pour lui donner des aspects d’Union européenne. L’analyste politique n’est pas devin, mais la conjoncture qui vise au renforcement de la puissance chinoise amène à envisager l’émergence de tensions entre Moscou et Beijing entre 2018-2024 en raison du refus du Kremlin de laisser plus d’autonomie militaire à la Chine en Asie Centrale et en mer Noire.

Concernant les relations avec l'Europe, doit-on s'attendre à une poursuite de la diplomatie "musclée" affichée par Moscou depuis quelques années ?

Il faut prendre en considération les fragmentations internes aux deux ensembles. Si la Russie moscovite se détache de l’Occident, celle de Saint Petersburg souhaite partager davantage avec l’Europe et notamment les pays scandinaves. Les Républiques du Caucase russe souhaitent un rapprochement avec le Moyen-Orient, tandis que la Sibérie et les territoires du Far-East espèrent un rapprochement avec la Chine. Pour résumer, la Russie est un espace divisé sur l’avenir des relations avec l’Occident. 
Qu’en est-il de l’Europe ? Si la Pologne et l'Estonie s’opposent farouchement à la Russie, d’autres comme la Bulgarie et la Slovénie ne semblent pas se soucier du renforcement de l’influence de Moscou. L’Europe est divisée sur la ligne diplomatique à adopter avec parfois même une attitude schizophrénique propre à chaque pays. 
En Allemagne, la politique de Merkel souhaite plus de démocratie en Russie, mais cela ne semble pas entraver le dialogue sur les importations de gaz en mer Baltique. En France, Macron n’est pas apprécié des russes, mais Marine Le Pen l’est tout autrement. À quoi ressemblera l’Europe de demain ? Si la Russie ne changera certainement pas dans les 6 prochaines années, c’est probablement l’Occident qui va connaitre les mutations les plus profondes et décidera seul d’un rapprochement ou d’un éloignement avec Moscou. 

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